Jeux Olympiques Tokyo 2021 : Annia Hatch, rejetée par Cuba, médaillée olympique avec les États-Unis

Malgré son statut de meilleure gymnaste cubaine de tous les temps et de double médaillée olympique avec les États-Unis, la carrière d’Annia Hatch semblait vouée à l’échec. Mais rien n’a pu empêcher cette incroyable athlète d’aller de l’avant.

À première vue, la carrière d’Annia Hatch, la plus grande gymnaste cubaine de tous les temps et double médaillée olympique avec les États-Unis, semblait vouée à l’échec. Elle a surmonté un rejet de l’académie de gymnastique, les blessures, les moqueries et le racisme, et est même devenue un sujet de discorde supplémentaire entre Cuba et les États-Unis. Mais cette athlète extraordinaire n’a reculé devant rien.

En 1996, alors qu’elle était au sommet de sa carrière, les autorités sportives de l’île ont refusé de la laisser concourir aux Jeux d’Atlanta. Après la plus grande déception de sa vie sportive, Annia s’est mariée et a émigré aux États-Unis, où, après une pause de 5 ans, elle est devenue double médaillée olympique à l’âge inhabituel de 26 ans. En 2008, son nom a été inscrit au Hall of Fame de gymnastique américain.

Aujourd’hui, Annia a 43 ans et deux enfants en bas âge. Elle est désormais entraîneur. En pleine pandémie de Covid-19, elle a donné des cours en ligne depuis chez elle, à Long Island (État de New York), et a rejoint PyL, une ligue professionnelle de gymnastique fondée par Yin Alvarez, l’ancien entraîneur de la gymnaste cubano-américaine médaillée olympique, Danell Leyva. L’organisation s’occupe de la reconversion professionnelle des athlètes après leur carrière sportive.

Annia, qui n’est pas retournée à Cuba depuis 21 ans, est immergée dans la culture anglophone et peine parfois à trouver les mots dans sa langue maternelle. Peu bavarde mais expressive, l’athlète cubano-américaine a accordé un entretien téléphonique de plusieurs heures à Yahoo Sport pour évoquer son expérience à Cuba et aux États-Unis, ainsi que les défis qu’un athlète olympique doit affronter.

Elle a affronté le racisme avec ténacité et talent

Déjà toute petite, Annia, connue à Cuba sous son nom de jeune fille, Portuondo, aimait l’activité physique. Elle est née dans la province de Guantanamo, à l’est de Cuba, mais a déménagé très jeune à La Havane avec sa mère, Maria Soto. À l’âge de 4 ans, elle a été recrutée pour pratiquer la gymnastique. Deux ans plus tard, elle n’a pas été acceptée à l’École nationale de gymnastique.

"Lors de mon premier essai, j’ai été recalée parce que mon apparence ne collait pas à ce qu’ils recherchaient, pas à cause de mes performances. À 6 ans, ils me trouvaient trop musclée, avec un gros fessier et des pieds plats. Après quelques jours, ils m’ont fait repasser le test. J’ignore encore pourquoi ils ont changé d’avis. J’ai été acceptée." Annia est très vite sortie du lot grâce à ses excellents résultats sportifs, mais aussi car dans les années 1980, elle était l’une des seules gymnastes noires à Cuba, un pays où la population est majoritairement métisse.

"Les entraîneurs nationaux avaient pour modèle les athlètes russes, qui étaient grands et peu musclés. C’était raciste, car on pensait que les filles avec un tel gabarit avaient plus de chances de réussir dans les compétitions internationales. À cette époque, la Escuela Nacional manquait de moyens et ne voulait pas dépenser de l’argent pour quelqu’un qui, selon eux, n’était "pas au niveau" pour représenter Cuba, mais je leur ai prouvé qu’ils avaient tort. J’ai changé les mentalités, et ils ont commencé à croire que les gymnastes noirs étaient doués. Ils ont alors recruté plus d’athlètes noirs et métisses", raconte Annia Hatch.

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Deux anges gardiens

Mais le racisme n’a pas été le seul obstacle rencontré. Après s’être blessée à l’âge de 7 ans, elle risquait d’être évincée de l’École nationale de gymnastique. Mais l’entraîneur René Sanson, qui l’accompagnera pour le reste de sa carrière sur l’île, est intervenu. "Il a dû signer un document afin qu’ils ne me virent pas de l’école. Il croyait en mon potentiel, mais personne ne voulait m’entraîner à l’époque", explique Annia, qui considère ce geste de Sanson comme "un cadeau du ciel".

Annia garde aussi un très bon souvenir de Teresa Oliva, la directrice technique de l’École nationale de gymnastique. On la surnommait la Marta Karolyi de Cuba. Elle était aussi noire et a tout fait pour qu’Annia puisse participer aux compétitions internationales. L’athlète cubaine a vécu à l’internat de l’école entre 6 et 13 ans. Ça lui a permis d’éviter le problème des transports pour les athlètes de haut niveau cubains. Mais ça n’a fait qu’envenimer les choses pour elle qui évoluait déjà dans un environnement compétitif.

"Je n’aimais pas l’école. Je n’avais pas beaucoup d’amis. J’étais toujours triste et, dès que je le pouvais, je préférais rentrer chez moi pour dormir tranquillement. J’étais constamment harcelée. Les filles se moquaient de mes cheveux crépus, dont je ne savais pas m’occuper. J’avais 6 ans. Un jour, j’étais douée pour la gym, le lendemain, j’étais nulle. Je n’avais pas besoin de m’entraîner car j’allais de toute façon gagner. Je n’avais pas beaucoup d’amis car on se moquait de moi en permanence", se souvient-elle.

Sa première compétition internationale

"J’avais 9 ans, c’était en Argentine, et j’ai gagné deux médailles d’argent, au sol et au saut de cheval, resitue Annia Hatch. Après ça, ils ont commencé à me considérer comme une gymnaste. J’ai participé à plein de compétitions en Europe. À 10 ans, j’ai eu la chance d’affronter Tatiana Gutsu, future championne olympique aux Jeux de Barcelone en 1992. Elle a fini première au sol, et j’ai fini deuxième dans l’une de ces compétitions."

"En 1990, à 12 ans, j’ai participé aux championnats panaméricains des enfants aux États-Unis, où j’ai vu l'Américain Dominic Dawes gagner chez les seniors, poursuit la gymnaste. J’ai gagné chez les juniors. Lors de ma première Coupe du monde, j’ai fini dixième, et quatrième aux barres parallèles, mais je commençais à me faire un nom à l’international."

Les limites de l’entraînement à Cuba

"Les conditions n’étaient pas optimales, juge aujourd'hui Annia Hatch à propos de l'époque où elle s'entraînait à Cuba. Je n’avais pas de voiture pour aller à l’entraînement. À vélo, je mettais parfois 45 minutes à une heure pour me rendre au gymnase. J’étais épuisée en arrivant. Parfois, on venait me récupérer, mais pas toujours. Je finissais l’entraînement vers 21 h 30, je rentrais à 22 h et je me couchais à 23 h 30. Je me réveillais vers 5 h du matin, et je recommençais."

"Vers l’âge de 12 ans, après avoir remporté deux fois les Jeux d’Amérique centrale (six médailles d’or la première fois, et cinq d’or et une de bronze la seconde), ils ont mis un appartement à ma disposition, car je ne vivais pas dans des conditions adéquates", raconte la championne.

"Mon entraîneur a beaucoup parlé de mes conditions de vie à l’Institut national du sport, qui gère la politique appliquée aux athlètes de l’île. Depuis notre arrivée à La Havane, je vivais dans un taudis, une vieille maison à plusieurs chambres, partagée par différentes familles. La façade avant tombait en ruines et quand mon entraîneur est venu, il a scruté le plafond et a paniqué. J’ai vécu dans cette maison entre 2 et 12 ans. Ils m’ont enfin donné un appartement."

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Le coup dur qui mit fin à la carrière d’une star

Annia a été la première latino-américaine à décrocher une médaille aux championnats du monde de gymnastique, à Porto Rico, en 1996. "C’était incroyable, se remémore-t-elle. Aucun gymnaste de la région, homme ou femme, n’avait été médaillé jusqu’à ce que je décroche le bronze au saut de cheval. J’ai reçu une plaque et même de l’argent du gouvernement cubain pour avoir été la première latino-américaine à décrocher une médaille en Coupe du monde. La Fédération internationale de gymnastique (FIG) m’a invitée à participer aux JO d’Atlanta."

Mais les autorités sportives de Cuba (INDER) ont balayé cette opportunité d’un revers de la main en décidant de financer le voyage uniquement pour l’équipe masculine de gymnastique. "J’étais encore à Porto Rico, après la Coupe du monde, et mon entraîneur a téléphoné à l’INDER pour trouver une solution afin que je puisse participer aux Jeux, mais ils n’ont pas fourni de réponse concrète, relate Annia Hatch. Il s’est rendu compte qu’ils ne m’enverraient pas aux Jeux et a décidé de rester vivre à Porto Rico, car il pensait qu’il n’aurait aucune chance de pouvoir s'installer aux États-Unis."

"En rentrant à Cuba, j’ai pensé qu’ils changeraient d’avis, mais là non plus, je n’ai pas reçu de réponse claire, car ils ne voulaient pas que je prenne ma retraite si tôt. J’ai continué pendant un an, participé aux championnats nationaux et au tournoi 'Guillermo Montada'. Mon corps et mon esprit n’arrivaient plus à suivre. J’étais découragée, car mon unique entraîneur était parti, je ne faisais plus confiance à la plupart des techniciens présents, et j’avais peur de me blesser."

Et ce qui devait arriver, arriva. "J’ai officiellement pris ma retraite en 1997, lors d’un événement national, où j’ai reçu un trophée et une plaque devant les caméras de télévision, explique la gymnaste. J’ai décidé d’arrêter ma carrière car après avoir passé trois mois à Porto Rico pour les championnats du monde, à mon retour, j'avais dû passer le bac. À Cuba, on ne vous laisse pas souffler. J’ai dû passer l’examen d’entrée à l’université dans la foulée."

"Je l’ai raté, et je n’ai pas été autorisée à le repasser. J’ai représenté le pays lors de compétitions internationales, comment ont-ils pu refuser de me laisser me préparer pour l’université ?, s'interroge la championne. Ils m’ont dit : 'Soit tu réussis, soit tu seras écartée et tu n’iras peut-être pas à la fac.' Vu que j’ai échoué, j’ai dû attendre deux ans pour savoir si je pouvais entrer à la fac et obtenir un diplôme en culture physique. Ayant beaucoup fait pour mon pays en tant qu’athlète, j’étais furieuse de me voir refuser la chance de devenir professeure de gymnastique. J’aurais adoré enseigner là-bas. J’ai entamé les démarches pour étudier l’histoire de l’art, mais j’avais déjà décidé de me marier et de partir."

Retour sportif aux États-Unis

Annia a épousé Alan Hatch, un entraîneur américain et ancien gymnaste, avec lequel elle a entretenu une relation secrète pendant une partie de son temps passé à Cuba. En 1999, la jeune femme est arrivée aux États-Unis et a débuté des études de stylisme en parallèle de son poste d’entraîneur de jeunes athlètes dans le gymnase qu’elle possédait avec son mari.

Au départ, elle a pensé à participer aux Jeux de Sydney en 2000, mais les autorités cubaines ont refusé de lui fournir l’autorisation pour qu’elle puisse représenter un autre pays, malgré l’intervention en personne de l’ancien président Jimmy Carter auprès de Fidel Castro, à la demande de la Fédération international de gymnastique (FIG).

"Cuba ne voulait plus que je participe à des compétitions. Ils ont rétorqué que je n’étais pas officiellement à la retraite, et je leur ai prouvé que si. J’avais apporté la vidéo de la cérémonie, ce qui prouvait qu’ils mentaient, et que tout était en règle, j’avais bien pris ma retraite. J’avais aussi signé un contrat avec la Fédération nationale de gymnastique quand j’étais mineure. Il n’était plus valable car ma mère ne l’avait pas signé à l’époque. La FIG a demandé à Carter d’intervenir et, au bout d’un an, ils m’ont enfin autorisée à concourir. J’étais citoyenne américaine et ils ne pouvaient plus m’en empêcher."

Un camp d'entraînement digne de Sparte

Annia a décidé de revenir à la compétition après avoir appris que son ancienne coéquipière cubaine, Leyanet Gonzalez, était sortie de sa retraite à 22 ans, après être devenue mère. "J’étais ravie, parce que je me sentais également capable de revenir après tant d’année et de recommencer à zéro, explique-t-elle. J’ai repris l’entraînement en 2000. J’ai mis six mois à retrouver mon niveau de compétition. Les trois premiers mois de préparation physique furent les plus difficiles. Je ne voulais pas me blesser."

"L’étape suivante fut les sélections américaines. Malgré une première compétition très compliquée pour moi, j’ai fini quatrième lors d’un championnat national, ce qui m’a permis de décrocher ma place pour participer au camp d’entraînement de Marta Karolyi, alors coordinatrice de l’équipe nationale américaine de gymnastique", raconte Annia Hatch.

"S’entraîner avec Marta était très intense, trop stressant. On n’avait pas le droit de s’asseoir; une fois, j’étais malade et je toussais. Marta m’a fait comprendre que tousser était interdit. J’ai trouvé ça pire qu’à l’armée. Si vous étiez mentalement préparée, pas de problème, ils vous aidaient. Mais dans le cas contraire, vous preniez la porte. J’ai survécu grâce à tous les obstacles que j’avais surmontés à Cuba. Comparé à mon passé, ce n’était pas si difficile. Par exemple, toutes les filles se plaignaient des conditions d’hébergement. Moi, je les trouvais très bien. À Cuba, je me couchais parfois sans manger, ou très peu. Ce n’était pas facile."

Les JO, aboutissement ultime

"Ils m’ont appelée en dernier ! J’ai été surprise, se souvient la gymnaste. J’étais l’étrangère du groupe et la plus âgée, la grand-mère de l’équipe et de tous les gymnastes olympiques. Ils m’ont laissé participer car ils savaient que j’aiderais l’équipe. Aujourd’hui, concourir à cet âge-là est normal." Mais sa route jusqu’à Athènes fut semée d’embûches inattendues. Peu avant les Jeux de 2004, elle s’est ainsi gravement blessée au genou, au niveau du ligament croisé antérieur. Les médecins n’étaient pas sûrs qu’elle puisse retourner à l’entraînement.

"J’ai vraiment pensé que c’était la fin de ma carrière, car c’était une blessure grave, qui inquiétait les médecins, reconnaît Annia Hatch. Ils ignoraient si mon genou se stabiliserait. D’habitude, ça prend 8 à 10 mois pour guérir à 100 %. J’ai mis quatre mois."

"Il y aura toujours des obstacles"

"Le premier jour de compétition aux Jeux, comme j’étais la dernière qualifiée pour la finale, Marta Karolyi ne me croyait pas capable de décrocher une médaille. Elle m’a dit que j’avais échoué. Je ne suis pas tombée mais mon saut n’était pas terrible. Je suis partie et j’ai prié Dieu très fort cette nuit-là, en lui demandant de me laisser aller en finale. J’étais sixième."

"Lors de la finale, j’ai fait un saut de moins que ce qui était autorisé pour être en mesure d’aller au bout. J’ai décroché la médaille d’argent, malgré le fait que je me voyais remporter l’or. Mais j’ai été surprise de voir la Roumaine Monica Roșu faire un saut plus difficile que le mien, et comme mon genou m’inquiétait, je me suis arrêtée là."

Selon Annia, ce que la gymnastique lui aura apporté de plus important, c’est "la ténacité pour faire face aux obstacles et aux problèmes, la discipline, et le courage de toujours aller de l’avant, sans se frustrer, car il y aura toujours des obstacles. Plus important que la victoire, c’est le chemin qui y mène; ça m’a beaucoup aidée dans l’éducation de mes enfants."

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