À l’Assemblée nationale, le drame d’Annecy bouleverse la dernière journée consacrée aux retraites

POLITIQUE - Il était prévu de parler retraites, ce jeudi 8 juin à l’Assemblée nationale, et les débats s’annonçaient tendus, après la décision de Yaël Braun-Pivet de déclarer irrecevable l’amendement LIOT pour abroger la réforme des retraites. Il n’en a presque rien été : les discussions se sont concentrées sur la démocratie et les institutions de la Ve République, entre invectives et leçons de politesses. Avant que le drame d’Annecy ne bouleverse la séance et l’ambiance.

Dès 9 heures, le ton est donné. À l’entrée de la présidente Yaël Braun-Pivet, la gauche de l’hémicycle reste assise, ostensiblement. Les rappels au règlement s’enchaînent : « Votre choix porte un coup terrible à notre démocratie parlementaire », tonne d’emblée le premier orateur, le communiste du Puy-de-Dôme André Chassaigne. Démocratie, le mot est lâché. Il ne sera question que de cela, ou presque, pendant les quatre premières heures.

Les évocations de la Constitution se multiplient, avec, illustration éloquente, un exemplaire posé devant chaque député LIOT dès le début de la séance. « Vous avez dit, madame la Présidente que les règles étaient les mêmes pour tout le monde. Cette déclaration est particulièrement piquante aujourd’hui, car les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde », fustige à son tour Marine Le Pen.

« Moi on m’a appris à dire bonjour, mais bon. Manifestement ce n’est pas le cas de tout le monde » - Yaël Braun-Pivet à Clémentine Autain.

Rares sont les interventions à porter véritablement sur la réforme des retraites. À la tribune, Charles de Courson détaille bien les « trois raisons qui justifiaient, selon nous, la suppression de l’article 7 » sur le recul de l’âge de départ à 64 ans, mais même lui ne résiste pas à un tacle à l’égard de Yaël Braun-Pivet : « Madame la présidente, bravo pour le déni de démocratie ! ».

Le brouhaha est permanent. Les leçons de courtoisie, fréquentes. Ainsi, l’élue France Insoumise Clémentine Autain se fait reprendre de volée à la tribune pour ne pas avoir salué la présidente et les ministres présents, comme le veut l’usage. « Moi on m’a appris à dire bonjour, mais bon. Manifestement ce n’est pas le cas de tout le monde », cingle Yaël Braun-Pivet au Perchoir. Un peu plus tôt, le président du groupe Horizons ; Laurent Marcangeli, s’est indigné : « J’ai été assez choqué de voir tout à l’heure que l’ensemble de l’hémicycle ne s’est pas levé lorsque vous avez pénétré dans l’hémicycle. Nous avons eu une démonstration lamentable du manque de respect des députés de la NUPES vis-à-vis des coutumes de ce Parlement ».

Après le brouhaha, le silence de l’émotion

Cette ambiance électrique perdure jusqu’à presque 11h. Il ne reste plus que trois orateurs avant la fin de la discussion générale mais un autre sujet commence à circuler dans l’hémicycle. Une dizaine de minutes plus tôt, les médias se sont fait l’écho d’une attaque au couteau à Annecy. Un premier bilan provisoire donne sept blessés, dont six enfants en bas âge. Mathilde Panot prend la parole : « Avant de faire mon rappel au règlement, j’imagine que toute l’assemblée s’y associe, je voudrais dire l’émotion de mon groupe face à l’attaque au couteau et aux 6 enfants en bas âge blessés à Annecy », déclare la cheffe de file insoumise, dans un hémicycle soudainement plus calme. Des applaudissements se font entendre et, d’un commun élan, les députés de tous bords se lèvent. Le geste, spontané, est d’autant plus remarquable après des heures d’attaques ad hominem.

Yaël Braun-Pivet reprend la parole pour rapporter les maigres éléments connus. « Il y a de très jeunes enfants en bas âge qui sont en état d’urgence absolu, et je vous invite à respecter une minute de silence pour eux, pour leurs familles, pour que, nous l’espérons, les conséquences de cette attaque gravissime, ne conduisent pas la nation à être endeuillée. » Un silence de cathédrale se fait dans l’hémicycle. Pour la toute première fois en trois heures de discussions houleuses.

« Quand il se passe quelque chose comme ça, on est d’abord saisi par l’effroi, c’est normal », confie au HuffPost le socialiste Arthur Delaporte. Les dernières interventions se déroulent plus sereinement. Mais cette atmosphère ne dure pas. À la faveur d’une suspension de séance, Aurore Bergé se présente devant les journalistes, salle des Quatre Colonnes, entourée des deux députés Renaissance de Haute-Savoie. Elle est grave : « Être dans l’hémicycle en ce moment sur une bataille de chiffonniers, sur une recevabilité d’amendements, nous semble être en décalage quand des enfants sont en état d’urgence d’absolue et que l’effroi submerge notre pays », déclare la présidente des élus Renaissance, s’attirant immédiatement les foudres des opposants qui crient à l’instrumentalisation.

La « bataille de chiffonniers » prend fin, de toutes les façons, moins de dix minutes plus tard. À 11h25, un Bertrand Pancher à la mine grave, entouré de l’ensemble du groupe Liot qu’il préside, annonce le retrait des deux articles restants de la proposition de loi. Sans l’article 1, « tout ça n’avait pas de sens ».

Le « Serment du 8 juin » de la NUPES

Le match est plié. Dans les couloirs, les échanges portent autant sur la situation à Annecy que sur la proposition de loi LIOT. Chacun dit son émotion, sa tristesse ou son effroi. Son indignation aussi, dans l’opposition, en réaction aux propos de la cheffe de file des députés Renaissance. « Mettre en parallèle un débat parfaitement légitime sur les retraites et dire, parce qu’il y a un drame, qu’on ne pourrait plus en parler, c’est de la récupération honteuse », tacle Olivier Faure auprès du HuffPost, tandis que Charles de Courson souffle : « Indigne, c’est indigne. Mais venant d’elle, plus rien n’étonne ».

Est-il déçu d’avoir dû retirer sa proposition de loi, star de la niche transpartisane ? Il assure que non. Certains, à gauche, regrettent à demi-mot ce choix. La veille, un amendement socialiste pour réclamer un rapport au bout de 6 mois d’application de la réforme a réussi à passer l’obstacle de la recevabilité. Selon Arthur Delaporte, le maintien de la PPL avec l’amendement aurait permis un vote. « Mais on ne peut que comprendre la décision des LIOT fasse à une telle forfaiture parlementaire », soupire-t-il. Charles de Courson balaie : « L’amendement socialiste demandait un rapport, il n’avait aucune portée ». Le député vedette du groupe Liot retourne dans l’hémicycle. Même si leur proposition phare n’a pas été adoptée, lui et ses collègues ont jusqu’à minuit pour défendre six autres textes, dont un sur les Outre-mer et un autre pour « renforcer l’engagement des citoyens dans la vie démocratique ». Décidément le mot du jour.

Le combat parlementaire contre les retraites s’achève. Ou presque. Car les inflexibles de la NUPES n’entendent pas renoncer. « Malgré l’émotion qui traverse la France aujourd’hui, nous voudrions redire des choses qui selon nous sont importantes », déclare Mathilde Panot, après avoir rendu hommage aux victimes. Quelques instants auparavant, dans une mise en scène dont les insoumis sont friands, en écharpes devant l’Assemblée, les chefs des groupes parlementaires EELV, PCF, PS et LFI ont fait le « serment du 8 juin », dans lequel ils s’engagent à « agir sans relâche, par tous les moyens institutionnels à notre disposition, (...) pour rassembler une majorité qui mettra fin à cette réforme injuste et injustifiée ». Reste à savoir quels sont ces moyens. Et surtout, pour quelle efficacité réelle.

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