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2023: Quand le football permet d'approcher les sommets de la bêtise

Dans une saison qui, finalement, avait été bien moins prolifique que la précédente sur ce terrain glissant, les deux soirées du weekend nous ont encore offert quelques brillantes démonstrations de la bêtise dont sait parfois faire preuve certains occupants des tribunes. A Bordeaux, vendredi soir, un "membre émérite du Virage Sud (…) connu pour son calme et sa mesure" (dixit les Ultras marines eux-mêmes) voit Lucas Buades marquer un but sous ses yeux. Après un bon début de match de son équipe, le scénario imaginaire de la victoire par 6-0 convoquée sur tous les Spaces Twitter du monde bordelais est contrarié par un réel toujours aussi récalcitrant. Le désir ne se faisant pas réalité, la frustration monte, comme au rayon confiserie des grands magasins le samedi après-midi. Le quadragénaire affûté, chef d’entreprise aux cheveux poivre-et-sel, descend alors de sa tribune d’un pas décidé, passe l’infranchissable (non) barrage de stadiers.

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C’est le procureur de la République adjoint de Bordeaux qui raconte la suite: "Quand il a vu le joueur exprimer sa joie au bord du terrain, il dit avoir eu le sentiment qu'il venait narguer les supporters bordelais." N’écoutant que son virage, l’ultra venait venger la foule dont il était le roi. Lucas Buades était coupable, donc, d’avoir exprimer trop de joie, ou mal, ou pas comme il aurait fallu, pas comme il l’aurait voulu. Enfin, quoi, il était coupable. Point. Verdict du tribunal des passions Un joueur par terre, la honte et un match interrompu. Encore une fois, la bêtise crasse préférait la violence à la frustration, la voie de fait à la voix de la raison. Et encore, on n’était que vendredi.

Nunchakus en famille

Comme le temps presse, on passera sur l’envahissement de pelouse au Havre alors que le match de la montée n’était pas officiellement terminé (et aurait pu condamner le club à rejouer la partie). On passera sur la révolte du coach havrais, Lukas Elsner, lui-même désarmé face aux imbéciles normands, trop heureux de remplir leur profils Instagram de photos floues sur la pelouse. On passera sur les supporters du Parc des Princes sommés de célébrer une défaite 3-2 contre Clermont à grand coup de sons et lumière, sur les moues éloquentes de Messi et Neymar, futurs parias célébrés en grande pompe avant de quitter le club par la porte de derrière, sur l’improbable attelage Henry-Nagelsmann promis au banc qui promet de faire le bonheur des amateurs de naufrages en haute mer. Il faut aller vite, oui, alors on ira directement à ce qui est l’Everest de la connerie footballistique française. Et, une fois n’est pas coutume, ce week-end, elle était corse.

Car il faut bien le dire, tout ce qui s’est déroulé autour de ce consternant Ajaccio-OM, des incidents dès la veille du match, en passant par la sauvagerie des affrontements verbaux et physiques entre supporters des deux camps à coup de piles, pierres, feux d’artifice, insultes et cris de singe, tout cela (sans parler de la bouderie de Tudor), relève de la haute-montagne de la débilité. Et le pire c’est qu’on s’habitue. Tout cela ressemble au pétard près, à ce qui s’était déroulé à Saint-Etienne l’an passé dans des circonstances similaires (pour mémoire: des barrières métalliques et des feux de Bengale lancés en direction d’une tribune familiale). A ce qui s’était déroulé aussi à Charléty en décembre 2021 (des Nunchakus, des cagoules, des feux d’artifice en tribune pour un match de Noël), en septembre 2021 à Nice quelques mois auparavant (50 cas sociaux venus se battre contre un joueur de football). A ce qui se déroule, au fond, dans les stades de France tous les week-ends quand un jeune arbitre siffle un peu de travers, quand un joueur adverse a le malheur de passer un petit pont au fils d’un gueulard de main courante.

Le marteau et les clous

A Ajaccio, samedi, après une attaque de 200 supporters marseillais, les héros corses ont atteint le sommet de leur ascension au moment de s’en prendre à une famille qui avait le malheur de porter un maillot qui ne leur plaisait pas. C’est à cet instant précis que la bêtise crasse se changea en sauvagerie. Le petit Kenzo, 8 ans, atteint d’une tumeur au cerveau, était venu voir ses idoles (marseillaises) pour s’asperger de quelques gouttes de joie miraculeuse dans un quotidien terrible. Tandis que le petit guettait l'apparition, il a été "bousculé, (…) a pris un coup". Le père de l’enfant a pris "deux coups de poing, ils m’ont demandé d’enlever le maillot j’ai enlevé mon maillot, ils sont repartis et je les ai vus le brûler quelques mètres plus loin." De quelle nature est cette violence qui s’exerce en meute sur le plus faible d’entre nous? Que faire de cette radicalité aussi insupportable que scandaleuse? Quelle sera la prochaine cible? Un hôpital qui aurait le malheur de retransmettre le mauvais match? Des personnes âgées qui passeraient par là et avoueraient une admiration pour le joueur d’une équipe interdite ? La bêtise est totalitaire. Pourquoi? Parce que sous le marteau de l’imbécile, pas d’innocent, chaque personne est un clou à enfoncer.

Entre ces cas isolés qui n’en sont pas, donc, deux points communs: 1/l’incapacité à digérer la moindre frustration côté tribune. Quand un joueur adverse enfreint la limite toute relative entre le chambrage et la provocation, on s’empresse d’aller le corriger manu militari sous les vivats de la foule (en espérant sans doute une promotion). 2/Côté dirigeants, plus grave encore, la peur de déplaire est à ce point installée qu’on a de plus en plus de mal à distinguer dans les meutes énervés la casquette du président de celle du groupe ultra. Au point, chose étonnante, que la connerie n’est même plus un défaut. Chez certains, elle est convoquée comme circonstance atténuante. Lisez l’édifiant communiqué d’excuse l’ACA Ajaccio qui tout en déplorant, à juste titre, des "actes inqualifiables" concède, en même temps, une étrange hiérarchie dans la connerie tolérable et sa manifestation. "Même la plus extrême bêtise ne saurait excuser ces comportements." Remarquez la subtilité de la concession. La bêtise n’est plus un crime. C’est désormais une circonstance atténuante. Continuons à grimper. En matière de bêtise footballistique, la limite c’est le ciel.

Article original publié sur RMC Sport