5 juin 1983 : Yannick Noah remporte Roland-Garros, les témoins racontent cette finale historique

L’avant finale

Robert Laurens, kinésithérapeute de la Fédération française de tennis détaché auprès de Noah pour le tournoi 

"Le dernier jour c'est le silence le plus absolu dans les vestiaires. Il n'y a que les deux joueurs, les deux coaches, les kinés, c'est surprenant. Yannick c'est un garçon qui a besoin de venir très tôt dans les vestiaires. Il ne veut pas parler. Il n'y en a qu'un qui lui adresse la parole, c'est Patrice Hagelauer. Il se prépare tranquillement, rentre progressivement dans son match. Il a eu une superstition ce jour-là: il a mis sa tenue qu'il portait lorsqu'il a joué Lendl."

Thierry Gilles, spectateur en tribunes, 17 ans à l’époque 

"J'en garde un souvenir... C'était un peu particulier parce qu'à l'époque, le 2e étage du Court central était composé de gradins non numérotés. Donc pour être bien placé il fallait arriver en premier. On arrivait à 7h le matin, pour avoir les meilleures places. Ce jour-là il y avait vraiment plus de monde, à 7h il y avait déjà beaucoup de monde. Toute la journée était sympa, il y avait une tension particulière. Comme les places n'étaient pas numérotées, il y a eu des gens qui sont arrivés juste avant le début de la finale et qui voulaient passer devant tout le monde. On était au bord de l'émeute. On était en plein soleil en plus donc les gens étaient un peu énervés. Tout le monde s'était retourné contre ces spectateurs. Dans L'Équipe de l'époque ils ne parlaient que de ça. J'avais été voir deux autres matchs de Noah pendant la semaine, et les gens sentaient qu'il pouvait se passer quelque chose, mais on n'y croyait pas trop quand même. En face il y avait Wilander qui avait gagné l'année d'avant. Mais Noah était sympa et beaucoup de gens l'aimaient pour ça, il disait ce qu'il pensait."

Patrice Hagelauer, entraîneur de Yannick Noah  

"Quand on arrive au stade, c’est la folie. Le cœur bat assez vite, mais il faut traverser le stade rapidement pour aller dans les vestiaires. Yannick était prêt, il a toujours adoré ces moments. Il jouait pour les finales, il adore ce monde-là, cela le transcendait. Dans les vestiaires, je lui disais 'profite, profite de chaque seconde, prends du plaisir!' Le jour de la finale, il n’y avait plus d’escaliers. C’était incroyable le monde qu’il y avait! On ne voyait plus les escaliers, c’était fou. Les gens étaient à fond derrière Yannick. On le ressentait. J’ai une anecdote assez amusante. Avant la finale, on s’entraîne au Racing Club de France, Yannick me demande de travailler son service. Il y avait un vieux monsieur qui le regardait faire ses services. En sortant du court, il vient vers nous et dit à Yannick: 'Monsieur Noah, pour votre service, lancez votre balle plus haut!' Chacun voulait amener sa contribution à Yannick pour qu’il gagne."

L’entrée sur le court et le début de la finale

Patrice Hagelauer, entraîneur de Yannick Noah  

"Quand il entre sur le court, on sent le combattant qui était là, qui était prêt. Dès le début du match, il met la pression. De mon côté, j’ai le cœur qui bat. Mais à aucun moment je n’ai de doute. J’avais le sentiment que Yannick avait les armes pour gagner."

Mathieu Camison, ramasseur de balles lors de la finale 

"Il y a quelque chose de particulier. Les joueurs entrent sur le court, Yannick arrive, c’est un peu comme l’entrée en scène d’une rockstar. Le public est debout. Il y a déjà une ambiance électrique. Rien que d’en parler j’ai les poils qui se dressent, j’ai des frissons. Parce que ça fait partie d’un de mes plus beaux souvenirs, un des événements très forts que j’ai vécu. Sur le court, je crois que tout le monde se met à croire que c’est possible et qu’il peut se passer quelque chose d’énorme. Yannick est extrêmement charismatique. Il arrive en finale, il est frais. Dans le stade, il se passe quelque chose de fort. Il a cette capacité à embarquer tout le monde derrière lui. Noah s’est servi de cette énergie. C'est un truc de dingue. J'ai des frissons en le racontant. C’est un moment super fort de ma vie. J’étais sur le terrain, un enfant de 12 ans à l’époque. J'ai eu la chance de le recroiser bien des années plus tard. Je suis allé me présenter à lui. Il a été très sympa et on a discuté. Je connais assez peu de gens qui sont capables de faire ça donc c'était très chouette. On a reparlé de tous ces moments-là et il a pris le temps."

Robert Laurens, kinésithérapeute de la Fédération française de tennis détaché auprès de Noah pour le tournoi

"Le stade est en ébullition, nous étions serrés les uns contre les autres, et on rêvait. Pour la première fois depuis le début du tournoi, on rêvait, et on se disait 'pourvu que cela marche'. Je suis dans la loge FFT le jour de la finale avec Patrice Hagelauer, et Jean-Paul Loth le directeur technique national. Au deuxième set, il se tourne vers nous et nous dit: 'j'ai des crampes'. Patrice Hagelauer, son entraîneur qui est à côté de moi, dit 'impossible'. C'était des crampes de tension nerveuse. Si vous observez bien les images de la finale, quelques jeux après un ramasseur de balles amène une lotion qu'il aimait bien, qui le rafraichissait. Et ça lui a fait du bien."

Pendant le match, Noah en mission

Mathieu Camison, ramasseur de balles lors de la finale 

"En fait, il est vraiment dans son match. Il est extrêmement concentré. Moi je le regarde avec beaucoup d'admiration. J'observe tous ses faits et gestes. Je l'observe au changement de côté, on est vraiment aux premières loges. J'essaie d'en prendre plein les mirettes. Mais pour Yannick, plus rien n’existe autour. Il est dans une énergie extrêmement positive. Mais sur cette finale aussi il est très gentil avec les ramasseurs. Il garde cette gentillesse et ce lien avec nous durant tout le match. Il n’a jamais un geste ni un mot de travers. J’en ai connu pourtant. Comme John McEnroe qui s’énerve, balance une balle et arrive dans ma cuisse. A peine il s’excuse. Alors que Noah, on se reconnaissait en lui. Il était un peu comme un grand frère."

Thierry Gilles, spectateur en tribunes, 17 ans à l’époque

"A Roland-Garros, le public français est assez particulier. Ils sifflent la moindre chose des joueurs français ou étrangers. Ce jour-là il y avait une communion vraiment complète. Le public ne sifflait pas. Tout le monde poussait derrière Noah. En haut on sentait une ambiance, les gens étaient debout. C'était presque comme un match de foot, les gens hurlaient. Alors que les autres finales c'était plutôt calme. Ce n'était pas des joueurs qui faisaient soulever les foules. Noah c'était un personnage assez particulier. Il parlait des insultes racistes qu'il recevait, il disait qu'il fumait de la marijuana. Mais il était très aimé des Français à l'époque."

La balle de match

Mathieu Camison, ramasseur de balles lors de la finale 

"C’est son jour et on sent cette ferveur monter, le stade est juste hystérique. Et surtout à la fin. Ça devient un peu du grand n'importe quoi. Le service d'ordre est totalement débordé. On nous demande, nous ramasseurs, de faire une haie d’honneur pour que Yannick puisse monter en tribunes. Il y a les caméras, les photographes, c'est un truc de fou. Les journalistes commencent à l'assaillir, à vouloir une réaction. Il dit: "laissez-moi je veux de l'air." Il est épuisé. Le public veut l’entendre faire un discours. Et là c'est très rigolo puisqu’à l'époque il n’y a pas de micro, il n’y a pas toute cette organisation, il a un pauvre petit micro-cravate avec un fil. Puis Yannick remercie la Fédération, ses coaches, la famille du tennis."

Robert Laurens, kinésithérapeute de la Fédération française de tennis détaché auprès de Noah pour le tournoi

"Ce que beaucoup de gens n'ont pas vu c'est que Yannick regarde en premier Patrice Hagelauer. Ensuite, il viendra dans notre box, et là il souffle à Hagelauer 'on a gagné'. Cela veut tout dire de Yannick, il était toujours dans le partage. Après ce titre, la fête a été une réussite totale, tous ses amies étaient là, il avait laissé la porte ouverte pour les gens du village. C'était une communion de pensée, une joie extraordinaire."

Patrice Hagelauer, entraîneur de Yannick Noah 

"Il s’est passé deux choses extraordinaires. Il gagne cette balle de match, il voit son papa qui saute des tribunes. Il court vers son papa qui court aussi vers lui, ils se serrent dans les bras. Et pour moi qui connaissais le parcours familial, c’était incroyable, un moment très très fort. Ensuite il écarte un peu tout le monde, il court vers nous. Il me serre dans les bras et me dit "on a gagné! On a gagné!" Ce qui, pour un entraîneur, est le plus beau moment de sa vie. Un moment dont on se rappelle toute sa vie. On le sait bien quand on est entraîneur, on met notre petite pierre à l’édifice, mais le champion c’est lui. Cela montre bien le côté plaisant chez Yannick, il était partageur. Il partageait avec le public, son émotion."

Article original publié sur RMC Sport