Les abayas se multiplient dans les établissements scolaires publics, en dépit de la loi sur la laïcité à l'école

Les abayas se multiplient dans les établissements scolaires publics, en dépit de la loi sur la laïcité à l'école

Les atteintes à la laïcité à l'école ont enregistré une hausse en mars et avril, par rapport à cet hiver. Et face à ce constat se pose notamment la question des abayas, alors que le ministre de l'Éducation nationale a réuni les recteurs des différentes académies pour faire le point sur les incidents liés au port de ces robes amples et longues assimilées à une tenue traditionnelle de l'islam, mais situées dans une sorte de zone grise, rapporte Le Parisien.

Tenue tolérée

Devant un lycée public de Lyon, les adolescentes enlèvent leur voile au dernier moment, juste avant de franchir les grilles. Mais leur abaya reste tolérée par l'établissement, une pratique en désaccord avec la loi du 15 mars 2004 sur la laïcité à l'école. "Sur 30, on doit être 16, ou 18, à porter l'abaya", ce qui concerne aussi des élèves non voilées, assurent des lycéennes interrogées par BFMTV.

"Il y a quelques profs qui nous regardent mal (...) mais il n'y en a aucun qui a osé parler" de la tenue qu'elles portent, ont-elles encore déclaré.

Aucun des professeurs contactés n'a accepter de témoigner face caméra, mais interrogé par BFMTV sous couvert d'anonymat, l'un d'eux évoque une pression pesant sur l'ensemble de l'établissement, créée volontairement ou non par les élèves portant l'abaya.

"Il arrive que certaines élèves fassent des remarques à des enseignantes, surtout l'été, lorsque les bras sont découverts", détaille-t-il.

Zone grise légale

Pour cet enseignant, "la mixité au sein du lycée est de plus en plus compliquée" à conserver. Si pour le voile, le débat est tranché par la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou tenues "par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse", cette robe longue assimilée à un vêtement traditionnel de l'islam fait partie d'une zone grise légale.

Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, déclarait en octobre dernier sur France info que les abayas étaient "bien sûr des marqueurs religieux (...) Est-ce que quand on n'est pas de religion musulmane, on porte des abayas? La réponse est 'non'", ce qui semblait indiquer qu'en vertu de la loi du 15 mars 2004, ces tenues n'avaient pas leur place dans les établissements scolaires publics.

L'État, dans sa loi pour une école laïque, n'a pas dressé de liste des tenues ou signes prohibés. Et le ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye, a réfuté l'idée d'en créer une, le 17 novembre dernier, alors qu'il était interrogé à ce propos au Sénat. "Nous nous aventurerions sur un terrain extrêmement complexe", avait-il indiqué.

"D'un point de vue juridique, l'abaya n'est pas simple à définir et nous serions contournés la semaine suivante par une longueur de robe, une forme de col, par tel ou tel accessoire qui prolongerait le problème de semaine en semaine et nous contraindrait à multiplier les circulaires", avait encore précisé le ministre.

Les atteintes à la laïcité à l'école sont cependant reparties à la hausse au printemps, avec entre 400 et 600 signalements selon les mois. Et la moitié des cas sont liés au port de tenues ou de signes religieux, dont font partie les abayas.

Aux chefs d'établissements de déterminer

La loi est "plutôt imprécise", puisqu'elle ne qualifie pas les tenues religieuses, a estimé Carole Zerbib, cheffe d'établissement à Paris et membre de l'Observatoire de la laïcité du SNPDEN-UNSA, sur le plateau de BFMTV. Au sujet précis de l'abaya, une circulaire de septembre 2022 demande aux chefs d'établissement de déterminer "si la tenue est religieuse ou pas". Et ce, sur la base de deux principaux critères: "La fréquence du port de la robe" et le "refus de l'élève de l'ôter ou non", détaille-t-elle.

"Nous devons entamer un dialogue avec l'élève et éventuellement avec sa famille, en lui expliquant la loi de 2004 et en lui montrant que sa tenue est une tenue religieuse", explique Carole Zerbib.

Mais pour les chefs d'établissements, la difficulté est que le nombre d'élèves portant les abayas va croissant, et qu'il est difficile de pouvoir prendre le temps de dialoguer avec tant d'élèves et de familles à ce sujet, d'autant qu'un protocole est mis en place.

Protocole précis

Jean-Pierre Chantin, professeur d'histoire-géographie, référent laïcité de son établissement, explique sur BFMTV que "quelqu'un qui fait de son vêtement une revendication politique ou religieuse va être entendu d'abord par le chef d'établissement".

Ensuite, "il faut avoir un entretien conjoint avec la famille. Et si tant est que l'on a trouvé un terrain d'entente, on vient de consacrer cinq ou six heures à une jeune fille ou à un jeune homme. Si on en a quatre ou cinq on peut peut-être le faire, mais ça devient limite", alors qu'au-delà de cinq élèves concernés, "on ne peut plus gérer, ce n'est pas possible", avertit Didier Georges, élu au SNPDEN-UNSA, en charge des questions de laïcité.

Dans les deux établissements du Rhône où l'équipe de reportage de BFMTV s'est rendue, jusqu'à 170 abayas ont été dénombrées. Interrogé, le recteur de l'académie de Lyon a déclaré qu'il agirait dès la rentrée prochaine, en faisant signer aux élèves et parents un formulaire sur les règles en vigueur concernant les tenues vestimentaires.

Outre l'importance du dialogue et de la pédagogie, Carole Zerbib estime qu'il faut se poser la question de l'adhésion au projet républicain des élèves.

Pour Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale et invitée du Face à Face BFMTV-RMC ce mercredi, le port de l'abaya à l'école est "inacceptable". Pour elle, enlever le voile, "c'est la moindre des choses" et les abayas "ne doivent en aucun cas être tolérées".

Article original publié sur BFMTV.com