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Abroger la retraite à 64 ans? Les scénarios possibles devant la commission des Affaires sociales

Abroger la retraite à 64 ans? Les scénarios possibles devant la commission des Affaires sociales

Rendez-vous décisif pour l'avenir de la réforme des retraites. À partir de ce mercredi 9h30, les députés membres de la commission des Affaires sociales se penchent sur la proposition de loi du groupe Liot qui veut abroger la récente évolution portée par l'exécutif.

Les 72 parlementaires peuvent décider d'adopter, modifier ou retoquer ce texte qui veut revenir sur le recul de l'âge légal à 64 ans. Avec une mission pour les macronistes: compliquer son arrivée dans l'hémicycle le 8 juin prochain et couper ainsi court à tout nouveau débat sur l'allongement de l'âge de départ.

• Scénario 1: la proposition de loi est adoptée en commission, le débat aura lieu dans l'hémicycle

C'est l'option favorite des oppositions qui ont ferraillé contre la réforme des retraites. Après discussion des députés qui siègent dans la commission des Affaires sociales, le texte est adopté dans la version proposée par les députés du groupe Liot.

Concrètement, cette version contient un article premier qui abroge la retraite à 64 ans - l'âge légal de départ reviendrait à 62 ans - suivi de deux autres qui créent de nouvelles taxes sur le tabac et renvoient à l'organisation d'une "grande conférence de financement" pour "envisager de nouvelles pistes de financement" des caisses de retraite.

Cette option permettrait au texte d'arriver sans encombre en séance le 8 juin prochain. Les députés se pencheraient alors directement sur la version défendue par le groupe Liot qui a déjà tenté, sans succès, de renverser le gouvernement par une motion de censure en avril dernier, après l'adoption par 49.3 de la réforme des retraites.

Sur le papier, ce scénario n'est pas impossible. 32 des membres de la commission appartiennent à la majorité et devraient voter le rejet du texte. Mais 34 autres sont susceptibles de dire oui à son adoption en additionnant les forces du RN, de toute la Nupes, et de 2 députés LR qui ont voté en faveur de la motion de censure.

"C'est vrai mais on compte bien appuyer sur les 5 autres députés de droite qui soutiennent la réforme pour être en position de force et faire capoter son adoption", décrypte un député Renaissance, routard du Parlement auprès de BFMTV.com.

L'optimisme est d'autant plus permis que la députée LR Justine Gruet - qui avait voté pour la motion de censure le 20 mars dernier - sera remplacée par sa collègue Véronique Louwagie, qui n'a, à l'inverse, pas voté cette disposition.

Par ailleurs, 3 élus de droite de la commission - Philippe Juvin, Alexandre Vincendet et Yannick Neuder - ont déjà annoncé vouloir voter contre l'adoption de la proposition de loi. Thibault Bazin interviendra sur une autre thématique en commission des Lois et sera remplacé par sa collègue Anne-Laure Blin. Reste l'inconnue du vote du député LR Stéphane Viry qui n'a pas répondu à nos sollicitations.

"Les LR vont nous mettre des bâtons dans les roues. Je ne crois pas vraiment à l'adoption pure et simple", prédit un proche du président du groupe Liot.• Scénario 2: la proposition de loi est rejetée en commission, la majorité reprend la main

C'est l'hypothèse qui a la faveur du camp présidentiel. "Ce serait le rêve", imagine un poids-lourd de la majorité. "Ça nous sortirait des embrouilles en plus de renvoyer un signal fort dans l'opinion."

Si les députés de la majorité font le plein et que les 5 LR sur les 8 que compte la commission disent non à la proposition de loi, elle sera rejetée. Les députés Liot devraient alors déposer un amendement pour sauver leur texte et lui permettre d'être examiné dans l'hémicycle le 8 juin prochain.

De quoi permettre à l'exécutif de reprendre la main lors des débats en séance. La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet pourrait alors déclarer irrecevable cette proposition de loi au titre de l’article 40 de la Constitution.

Cette disposition précise que toute proposition de loi qui présente une nouvelle charge financière pour l'État doit être compensée financièrement. Si la numéro 1 de l'Assemblée dégainait cette cartouche, les débats en séance s'arrêteraient alors. Prévue par le règlement intérieur de l'Assemblée nationale, la manœuvre aurait tout d'une déclaration de guerre avec les oppositions, n'ayant encore jamais été utilisée jusqu'ici.

"S'ils nous sortent l'article, on va leur en sortir un autre: l'article 24. Il spécifie que 'le Parlement vote la loi'. Ça suffit à un moment de ne pas vouloir que les députés s'expriment", s'énerve-t-on dans le camp des Liot.

Autre hypothèse: que le bureau de l'Assemblée nationale reprenne la main après le dépôt du nouvel amendement et le déclare irrecevable avant le passage dans l'hémicycle. Si le règlement statue bien "qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité des (...) amendements", l'usage veut que de nouveaux amendements ajoutés à une proposition de loi rejetée par une commission ne repassent pas devant le bureau.

"Juridiquement, rien n'oblige le bureau à se réunir. Mais on se rend compte qu'on a des habitudes parlementaires qu'on peut remettre en cause en reprenant des points méconnus du règlement", remarque le professeur de droit public Benjamin Morel.

• Scénario 3: la proposition de loi est adoptée en commission mais sans l'abrogation, la majorité reprend la main

La voie médiane qui pourrait être choisie par les députés de la commission des Affaires sociales pourrait être d'adopter la proposition de loi en l'expurgeant de l'article premier qui veut mettre fin à la retraite à 64 ans.

"Ce serait un jugement plutôt équilibré qui permet le débat tout en retirant une disposition qui ne respecte pas la Constitution", avance un député macroniste.

Ce vote contraindrait les Liot à faire revenir cet article en séance dans l'hémicycle le 8 juin prochain par un amendement. Là encore, ce geste redonnerait la main à Yaël Braun-Pivet qui pourrait déclarer que l'ensemble de la proposition de loi grèverait de façon disproportionnée les finances publiques, la rendant irrecevable.

"On serait vraiment dans de l'inédit", remarque le constitutionnaliste Paul Cassia.

"Les députés ont l'habitude de laisser une certaine tolérance en matière de niches parlementaires. L'idée est de ne pas brider les oppositions quand on sait qu'on parle de textes qui n'ont quasiment aucune chance de s'appliquer un jour", juge encore ce spécialiste de droit public.

Dans cette hypothèse, "on ne va pas se laisser marcher sur les pieds", répond de son côté l'entourage du président du groupe Liot, Bertrand Pancher. "C'est du judo politique. Ils tentent une prise, on en tente une autre. On va aller au bout en s'appuyant sur le Conseil constitutionnel."

Pour faire monter la pression, ce dernier s'est fendu d'une lettre ouverte à Emmanuel Macron ce mardi, l'appelant à ne "pas bâillonner le Parlement". Le président avait d'ailleurs appelé au vote des députés sur cette proposition de loi, y voyant "l'occasion de continuer à expliquer notre projet" sur la réforme des retraites le 14 mai dernier.

Article original publié sur BFMTV.com