Anti-vaccin, adepte du jeûne et du crudivorisme: pourquoi Thierry Casasnovas est dans le viseur de la justice

La chaîne Youtube de Thierry Casasnovas est suivie par 512.000 abonnés. - Youtube
La chaîne Youtube de Thierry Casasnovas est suivie par 512.000 abonnés. - Youtube

"Le départ de la santé, c’est la reprise en main de notre vie, c’est l’autonomie. Autonomie, ça veut dire que tu te fixes tes propres règles." Depuis neuf ans, Thierry Casasnovas poste des vidéos sur sa chaîne Youtube spécialisée sur la santé.

Ses conseils: une alimentation à base de jus de légumes et de fruits crus et des périodes de jeûne, afin de renforcer son système immunitaire. Jusque-là rien d'alarmant, mais le Catalan de 46 ans affirme également que "la maladie n'existe pas". "Il y a des symptômes", que l'on peut combattre, selon lui, sans traitements médicaux.

Enquête ouverte

C'est aujourd'hui ce qui inquiète les autorités alors que la chaîne YouTube de cet habitant des Pyrénées-Orientales atteint désormais les 512.000 abonnés. Une enquête a été ouverte cet été par le parquet de Paris pour "mise en danger de la vie d'autrui" et les investigations ont été confiées à l'Office central pour la répression des violences aux personnes, a appris BFMTV de sources concordantes, confirmant une information de LCI. Selon nos informations, cette enquête a été ouverte à la suite d'un signalement de la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

La Miviludes est, depuis le début de l'épidémie actuelle, saisie de nouveaux signalements tandis que Thierry Casasnovas exprime son ressenti dans de nouvelles vidéos. Dans l'une d'elles, datée du 5 mai, l'ancien boulanger estime que le Covid-19 n'est pas "l'unique problème, c’est peut-être un révélateur de notre état de santé extrêmement détérioré dans nos pays occidentaux". Un discours qui frôle presque les théories complotistes lorsque le Youtubeur évoque l'épidémie comme une "opération" qui "a été montée" avec "arrogance".

"Le coronavirus, si j’étais ministre de la Santé, ça serait réglé rapido, lance-t-il dans une autre vidéo, supprimée depuis. Bain froid et jeûne pour tout le monde, un petit peu de jus de carottes et vas-y que je t’envoie."

Le "mythe" Casasnovas

L'aventure Internet de Thierry Casasnovas débute en 2011. Visage émacié, cheveux en bataille, allure de baroudeur, il apparaît devant la caméra pour vanter les mérites d'un "mode de vie crudivore". L'homme s'appuie alors sur sa propre expérience pour faire sa démonstration: ex-drogué et alcoolique, il raconte avoir eu plusieurs pathologies graves, dont la tuberculose, conduisant à une forte perte de poids, d'abord traitée par les traitements médicamenteux. Puis par un régime "crudivore omnivore" avec lequel les symptômes disparaissent progressivement. Lui-même parle "d'incroyable résurrection".

Il se sert de son propre mythe pour servir d’argument, le message est de dire 'si ça a marché pour moi, c’est que ça fonctionne', tranche le porte-parole du collectif L'Extracteur.

Ce collectif de citoyens s'est créé il y a six mois alors que chacun des membres essayait, dans son coin, d'alerter sur les dangers de la "méthode Casasnovas". "On assiste à une déconstruction de la parole scientifique, de celle des médecins, poursuit le porte-parole de ce collectif qui souhaite rester anonyme. Il y a une remise en cause totale de la vaccination des enfants, une remise en cause du bien-fondé de la science, de notre connaissance médicale actuelle. Tout en faisant la promesse de soigner, au mieux sa méthode donne des faux espoirs, au pire elle présente un réel danger."

"Soigner définitivement"

Aujourd'hui, la Miviludes a reçu plus de 500 signalements. En 2018, la mission avait été destinataire de 44 alertes. À ce jour, pour l'année 2020, il y en a eu 70. La raison de cette augmentation? La diffusion, parmi les quelque 1370 vidéos en ligne, de vidéos "pour faire tomber les idées reçues sur les pathologies".

En octobre 2016, Thierry Casasnovas, filmé au milieu d'un jardin, plateaux de légumes devant lui, propose de "soigner définitivement l'arthrose". Selon lui, le remède se trouve moins dans les médicaments, "qui ne font que taire la douleur", que dans un mode de vie sain et à l'écoute de son corps.

En mai 2017, sur sa chaîne rebaptisée Regenere, du nom de son association créée en 2012, il s'attelle à une autre maladie chronique: le diabète. "Si elles (les maladies chroniques, NDLR) sont chroniques et ne vont qu’en s’aggravant, c’est parce qu’elles sont traitées de la manière dont elles sont traitées actuellement et qui sont juste une aberration totale", estime Thierry Casasnovas, ajoutant "que le mode actuel du traitement du diabète ne fonctionne pas". Il fait alors une promesse à ses spectateurs: "Dans trois semaines, tu n'es plus diabétique". Car pour lui, la cause du diabète est l'insuline que prennent les malades.

Et de faire ce constat, citant plusieurs études: "Plus tu prends de l’insuline, plus tu es diabétique et plus tu es gros".

"Voilà les besoins de votre corps"

Thierry Casasnovas s'attire les foudres de deux jeunes diabétiques. Les deux jeunes Marseillaises sont à l'origine de la chaîne YouTube Diab'Aide. "Nous sommes sur une vidéo de type propagande, il est en train de diffuser de fausses informations qui peuvent tuer des gens", jugent les soeurs jumelles, elles-mêmes diabétiques. Les deux jeunes femmes réagissent notamment au témoignage recueilli par Futura Sciences au milieu du mois de juillet qui révèle qu'un adolescent a terminé dans un état grave après avoir cessé son traitement contre le diabète, selon son père après avoir visionné des vidéos de Thierry Casasnovas.

Est-ce cette affaire qui a poussé la justice à ouvrir une enquête? Est-ce une vidéo de juin 2019 sur le cancer qui a alerté à nouveau la Miviludes? "On ne meurt pas du cancer, on meurt par ignorance", plaide alors Thierry Casasnovas qui propose alors "un programme anti-cancer". "Voilà les besoins de votre corps, et que vous fassiez chimio, radio, quoique ce soit, votre niveau de santé restera déplorable", poursuit-il. La Miviludes qui était déjà vigilante quant aux messages délivrés par le naturopathe s'inquiète désormais de ce discours.

En 2018 d'ailleurs, Thierry Casasnovas a contacté lui-même la mission interministérielle pour connaître les éléments que l'institution détient sur lui. Dans un courrier datant du 27 mars de cette même année, que nous nous sommes procuré, la mission lui rappelle que "le seul contenu doctrinal" n'est pas "suffisant pour caractériser un risque de dérive sectaire", développant alors l'ensemble des critères qu'elle observe. Elle note également que la "déstabilisation mentale se révèle toujours présente dans les cas de dérives sectaires".

La Miviludes indique alors que les méthodes proposées par Thierry Casasnovas "présentent des risques pour la santé des adeptes", mais note pour autant qu'elle "ne fait pas état de dérives avérées" le concernant.

Des victimes "honteuses"

"C’est moins la nature du moyen, la méditation, une alimentation plus saine, qui est en cause, que le fait d’en faire un dogme, presque religieux et donc dangereux, note le docteur Bruno Boyer, président de la section santé publique du Conseil national de l'Ordre des médecins. Lorsque vous prescrivez un traitement à une personne malade, ça ne va pas forcément la rendre malade mais ça va la détourner d’un traitement qui lui garantissait une guérison ou tout au moins une amélioration de son état".

Les différents témoignages recueillis par les associations proviennent d'ailleurs souvent de l'entourage des personnes adeptes des régimes alimentaires proposés par Thierry Casasnovas. Des proches inquiets de voir ces personnes "dépérir".

"Les victimes ressentent de la honte, elles n'ont pas envie de dire qu'elles y ont cru, décrypte le porte-parole du collectif L'Extracteur. Par ailleurs, beaucoup de victimes n’ont pas conscience que ces méthodes sont dangereuses ou que c’est grave, qu’elles peuvent faire perdre des années de traitements ou provoquer une perte d’espérance de vie".

Dans un témoignage recueilli, une personne livre son histoire familiale. Sa mère atteinte d'un cancer des poumons suit un "régime draconien à base de raisin et de jus sans aucun contrôle médical" alors que son frère regarde les vidéos du naturopathe youtubeur. Sa mère a perdu 35 kilos, cette personne estime que le régime strict est "dramatique sur sa santé".

D'autres témoignages parlent de "personnes fragilisées moralement" à qui on fait "miroiter des miracles". En mai dernier, Thierry Casasnovas s'en prend également au vaccin contre le Covid-19 dans une vidéo où il intervient avec trois autres personnes.

"Ces gens-là savent apporter des réponses simples à des questions très compliquées, on apporte des réponses qui tombent sous le sens", détaille Annie Guibert, présidente du Centre contre les manipulations mentales. "Il capitalise sur la détresse des gens, notamment ceux atteint de maladie chronique", abonde le collectif L'Extracteur.

"Conseils génériques"

Le nom "L'Extracteur" a été choisi en rapport avec les revenus que tire Thierry Casasnovas de ses partenariats, notamment avec une marque d'extracteur de jus. Un lien vers le site de la marque figure sous ses vidéos. Les prix de ces produits oscillent entre 399 et 1599 euros. Le naturopathe, qui est également conseiller municipal de son village de Taulis, dans les Pyrénées-Orientales, propose par ailleurs des formations thématiques moyennant 300 euros par participant.

Contacté à plusieurs reprises, Thierry Casasnovas n'a pas répondu à nos sollicitations. Sur la page de présentation de sa chaîne YouTube, il est indiqué qu'il s'agit d'une "chaîne de vulgarisation qui propose des conseils génériques en alimentation, et plus largement en hygiène de vie, destinés aux personnes souhaitant adopter une approche plus naturelle". Et de préciser en guise d'avertissement:

"Les conseils qui vous sont proposés ne remplacent en aucune façon une consultation médicale. Les recommandations diététiques suggérées ne le sont qu'à titre de cure ponctuelle de revitalisation, et ne doivent être entamées que si un avis médical a été sollicité avant".

Article original publié sur BFMTV.com