Attaque au couteau à Annecy: pourquoi le parquet antiterroriste ne se saisit-il pas?

Attaque au couteau à Annecy: pourquoi le parquet antiterroriste ne se saisit-il pas?

Un homme seul, muni d'un couteau, qui s'en prend à des civils au hasard sur l'espace public... En 2018, après une attaque au couteau dans le quartier de l'Opéra à Paris - tuant une personne et faisant plusieurs blessés - ou en 2020 quand un assaillant a blessé mortellement deux personnes à Romans-sur-Isère, le Parquet national antiterroriste (Pnat) s'était saisi de l'enquête.

Dès jeudi matin, et l'attaque au couteau qui a fait six blessés, dont quatre enfants, à Annecy, le Pnat a été informé. Depuis, il "évalue" la situation, signifiant que les actes réalisés dans le cadre de l'enquête ouverte par le parquet d'Annecy pour "tentative d'assassinat" sont étudiés. Mais pourquoi ne se saisit-il pas?

Le critère de l'intentionnalité

Les actes de terrorisme sont définis dans le Code pénal comme les "infractions commises intentionnellement et ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". Autrement dit, pour que le Pnat se saisisse, il faut qu'il soit démontré que l'assaillant avait clairement l'intention par ses actes de troubler l'ordre public. Et chaque affaire est singulière.

"L'horreur, ce n'est pas que du terrorisme", précise une source judiciaire.

Dans le cas d'Annecy, c'est, dans un premier temps, le mode opératoire de l'assaillant qui a poussé le Pnat à suivre de près la situation. Les éventuelles revendications idéologiques, et le fait que l'assaillant dit agir "au nom de Jésus-Christ", n'ont pas eu de réelles conséquences, étant notamment apparues lors de l'enquête.

Pour exemple, quand un homme a attaqué deux policiers au couteau "au nom du Prophète" à Cannes, en novembre 2021, le Pnat ne s'est pas saisi. Idem pour l'attaque devant un centre culturel rue d'Enghien à Paris en décembre dernier au cours de laquelle trois Kurdes avaient trouvé la mort. Pour la justice, l'homme voulait s'en prendre à des "personnes étrangères" et "n'avait pas de visée particulière" contre les membres de cette communauté.

Acte prémédité, profil de l'auteur...

Ce qu'il faut comprendre, c'est que le saisissement du parquet national antiterroriste, et ses magistrats spécialisés, dépend de différents critères: la volonté de troubler l'ordre public, le profil de l'auteur et sa motivation.

En lien avec le parquet local, le Pnat regarde comment l'assaillant, un réfugié syrien de 31 ans, est passé à l'acte, s'il a préparé son attaque. Abdalmasih H. est arrivé en France à l'automne dernier, il était sans domicile fixe. Qu'a-t-il fait ces derniers mois? Était-il à Annecy? Des témoins évoquent sa présence dans le parc du Pâquier, où l'attaque a été commise, depuis "2-3 jours".

L'attaque était-elle préméditée? Toujours sous le prisme de l'intentionnalité, les magistrats vont ainsi étudier les images de vidéosurveillance, sa téléphonie, notamment pour savoir s'il était en lien avec d'autres personnes, ses comptes en banque. Le contenu du sac avec lequel il a été vu les jours précédents les faits va être examiné pour voir s'il a laissé des écrits sur son geste.

Sa personnalité va, elle-aussi, intéresser le Pnat. Abdalmasih H. était inconnu des services de police et de la justice. Ce dernier a quitté la Suède il y a huit mois. Qu'a-t-il fait par la suite? A-t-il rencontré des gens?

Il n'était pas non plus connu pour des troubles psychologiques ou psychiatriques. Un médecin psychiatre, venu dans le cadre de sa garde à vue, l'a trouvé "anxieux, dépressif" mais a jugé son état compatible avec une audition. Son ex-femme, qui réside en Suède, l'a décrit auprès de BFMTV comme "un homme gentil".

Une saisine possible à tout moment

Enfin, le Pnat attend aussi de ces auditions devant les enquêteurs de la Direction centrale de la police judiciaire, saisie de l'enquête. Va-t-il reconnaître son geste? Va-t-il exposer ses motivations? Jeudi, la procureure de la République d'Annecy précisait, qu'à ce stade, il n'y avait "aucun mobile terroriste apparent".

La garde à vue, si l'enquête reste sous la qualification de "tentative d'assassinat" peut durer jusqu'à 48 heures.

À tout moment, le Pnat peut se saisir des faits, qui seront alors qualifiés de terroristes. Elle peut le faire avant la fin de la garde à vue, mais aussi dans les prochains jours ou les prochains mois, et ce alors qu'une information judiciaire doit être ouverte par le parquet d'Annecy. Cette saisine permettrait alors une augmentation des moyens d'enquête.

Article original publié sur BFMTV.com