"On est au 21e siècle": ces Iraniennes qui ôtent leur hijab ou se rasent les cheveux pour défier le régime

Les iraniennes Narges Jalali (gauche) et Reyhane Parsa (droite) en train de se couper et de se raser la tête en signe de protestation. - Twitter / Instagram
Les iraniennes Narges Jalali (gauche) et Reyhane Parsa (droite) en train de se couper et de se raser la tête en signe de protestation. - Twitter / Instagram

Dès son plus jeune âge, Masih Alinejad enlevait son hijab "en secret", "comme beaucoup de femmes". "Pas en public, sinon c'était prendre le risque d'être arrêtée", explique-t-elle. "Je me souviens qu'une fois je suis allée au Liban, je marchais sans voile dans la rue et j'ai eu une attaque de panique lorsque j'ai croisé la police."

"Voilà ce que nous fait ce régime: partout où elles vont, les femmes ont peur", résume cette militante féministre iranienne de 45 ans, exilée aux États-Unis.

Masih Alinejad se bat depuis des dizaines d'années contre le port du hijab obligatoire en Iran. En effet dans le pays, les femmes sont forcées de se couvrir les cheveux en public. La police des mœurs, chargée de faire respecter le code vestimentaire strict de la République islamique, leur interdit également de porter des manteaux au-dessus du genou, des pantalons serrés, des jeans troués ou des tenues de couleurs vives.

"Les femmes sur le devant de la scène"

Mais ces derniers jours, les Iraniennes ne cachent plus leur colère après la mort de Mahsa Amini. Le 16 septembre dernier, la jeune femme de 22 ans est décédée après avoir été arrêtée et rouée de coups pour "port de vêtements inappropriés" par la police des mœurs.

Depuis, l'évènement a déclenché une vague de manifestations dans tout le pays, qui ont fait au moins 31 morts selon le bilan d'une ONG. Malgré la répression, des Iraniennes manifestent têtes nues en brandissant leurs voiles, en les brûlant ou en scandant le mot "Liberté".

"Ce qui est inédit dans ces manifestations, c'est qu'on retrouve les femmes au devant de la scène", note Azadeh Kian, professeur de sociologie à l'université Paris Cité et spécialiste de l'Iran, interrogé par l'AFP.

"J'étais remplie de dégoût et de colère"

En soutien, de nombreuses Iraniennes de la diaspora se filment en train de brûler leur voile ou de se couper les cheveux en signe de solidarité. C'est ce qu'a fait l'Iranienne Narges Jalali, 53 ans, dans une vidéo publiée sur Twitter il y a quelques jours.

"J'étais remplie de dégoût et de colère, alors j'ai pensé que la seule chose qui était en mon pouvoir, c'était de m'asseoir et de me couper les cheveux", explique à BFMTV cette Iranienne, aujourd'hui réfugiée en Suède où elle est serveuse depuis plusieurs années .

"L'idée qu'au 21e siècle, on tue une jeune fille parce qu'elle porte une robe, ça m'a choquée, et je pensais que ça aurait tout à fait pu m'arriver", confie-t-elle.

"Je me suis mise à la place de la mère de Mahsa", explique Narges Jalali. "Maintenant je vis dans un pays libre mais pendant 43 ans, j'ai vu les femmes se faire humilier, battre et emprisonner à cause du hijab. Nous sommes nombreuses à dire depuis des années que nous ne voulons plus le porter, mais personne ne nous écoute!"

"Mahsa est devenue un symbole"

"Les Iraniennes sont furieuses (...) Mahsa est devenue un symbole de résistance contre l'obscurantisme et la dictature islamique", analyse Masih Alinejad, qui a été contrainte de quitter le pays en 2009 pour ses critiques à l'égard de la République islamique iranienne. La journaliste iranienne vit désormais en exil à New York, d'où elle a lancé plusieurs mouvements de contestation pour dénoncer le port du hijab forcé.

Pour elle, "la mort de Mahsa Amini a eu l'effet d'un déclencheur pour les Iraniennes". "On est à un point de bascule parce que de nombreuses femmes s'identifient à cette jeune femme. Elles se disent que ça aurait pu arriver à leurs propres filles: Mahsa était innocente, elle ne participait à aucune manifestation. On voyait juste un peu ses cheveux, et pour ça elle a été tuée et tabassée à mort."

"Ça fait 40 ans que les Iraniennes subissent ça! (...) On est au 21e siècle! On ne veut plus voir nos compatriotes risquer leurs vies pour avoir montré un petit bout de cheveux", appuie la militante féministe.

Il y a quelques mois, l'Iranienne Reyhane Parsa, 23 ans, avait elle aussi utilisé ses cheveux comme symbole de résistance. Cette jeune actrice, considérée comme l'étoile montante du cinéma et de la télévision en Iran, a quitté le pays pour la Turquie en 2020. La jeune femme était devenue la cible du régime pour avoir publié sur Instagram des photos d'elle portant un hijab jugé "trop lâche".

Depuis Istanbul où elle vit désormais loin de sa famille, Reyhane Parsa a ensuite publié sur le réseau social une vidéo d'elle en train de se raser le crâne en signe de défiance envers le régime. Une autre vidéo la montre en train de retirer son hijab, tout en affirmant ne pas "violer les lois de la République islamique puisque ses cheveux mesurent moins de 2 centimètres". Depuis, l'Iranienne exilée affirme faire l'objet de nombreuses pressions et menaces de la part des renseignements iraniens, même depuis la Turquie.

La vie des Iraniennes, "faite de contradictions et de paradoxes"

Sur le réseau social, la jeune femme explique avoir fait cela "pour les souffrances que cela représente d'être une femme encore aujourd'hui": "Je dédie ce geste à la colère et à la patience de toutes les femmes du Moyen-Orient, nous voulons la liberté et en avons assez de votre obscurantisme." Une vidéo qu'elle a choisi de republier lundi pour soutenir le mouvement de protestation qui a gagné son pays d'origine.

"Quand je l'ai fait, je savais que les cheveux avaient une importance capitale pour eux (...) Donc je me suis dit 's'ils sont prêts à me tuer parce que j'ai découvert mes cheveux, alors mieux vaut ne plus avoir de cheveux!'", déclare à BFMTV.com la jeune actrice.

Si les Iraniennes s'en prennent aujourd'hui, comme elle, au hijab, c'est parce qu'il représente "le symbole le plus visible de l'oppression" de la République islamique d'Iran à leur égard, estime Masih Alinejad.

"Ce qui est arrivé à Mahsa peut arriver à n'importe quelle femme en Iran, à n'importe quel moment", estime-t-elle. Les femmes iraniennes sont menacées de mort tous les jours, tout le temps, que ce soit par leur famille, la société ou bien le gouvernement."

"La vie est Iran est très difficile à vivre pour les femmes: elle est faite de beaucoup de contradictions et de paradoxes", abonde Reyhane Parsa, qui fait part de "son immense tristesse" devant les évènements qui touchent son pays. "La souffrance, elle est dans les gênes des femmes iraniennes. Ce n'est pas nouveau, nous souffrons depuis des décennies mais malgré tout, aujourd'hui nous sommes pleines d'espoir et nous sommes prêtes à combattre."

View this post on Instagram

! 🐚🐪

A post shared by Viktorija Burakauskas (@toribur) on Jan 21, 2020 at 8:43am PST

Reyhane, Narges ou encore Masih... Les femmes iraniennes interrogées appellent la communauté internationale à "ne pas fermer les yeux sur ce qui se passe" et à s'engager pour mettre fin au régime en place en Iran. En pleine répression des manifestations, la rencontre à New York entre Emmanuel Macron et le dirigeant ultraconservateur iranien mercredi a fait réagir dans le pays, même si le président français assure avoir fait part à son homologue iranien du "choc qui a été le sien à la nouvelle de la mort de Mahsa Amini après son arrestation".

Article original publié sur BFMTV.com