Barrage de Kakhovka: des ONG dénoncent des conséquences environnementales et humaines "sans précédent"

Destructions d'écosystèmes, inondations, pollution, menaces énergétiques: la destruction du barrage de Kakhovka, dans le sud de l'Ukraine, pourrait avoir des conséquences environnementales et humaines "sans précédent", estiment ce mercredi plusieurs experts et associations de défense de l'environnement.

Selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui accuse la Russie d'être "coupable d'un écocide brutal", il "s'agit de la plus grande catastrophe environnementale causée par l'homme en Europe depuis des décennies".

Ce terme d'écocide a récemment été défini par le Parlement européen comme toute "infraction pénale environnementale causant des dommages graves et étendus ou durables ou irréversibles à la qualité de l'air, du sol ou de l'eau, ou à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes". Fin mars, Bruxelles a ouvert la voie à la reconnaissance de l'"écocide" dans le droit de l'UE.

Une "mortalité massive d'organismes aquatiques"

La première conséquence, liée au déversement des 18 milliards de tonnes d'eau que retenait le barrage, le Dniepr, quatrième fleuve le plus long d'Europe, subira une grave perturbation de ses écosystèmes jusqu'aux zones côtières de la mer Noire, estime l'ONG ukrainienne Ecoaction.

Selon elle, une "mortalité massive potentielle d'organismes aquatiques (poissons, mollusques, crustacés, micro-organismes, végétation aquatique)" mais aussi de rongeurs, dont certains sont endémiques ou déjà menacés, est attendue, "entraînant une détérioration de la qualité de l'eau due à la décomposition des organismes morts".

Les animaux domestiques ou en captivité sont également en danger, souligne le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), qui fait déjà état d'une "situation désastreuse".

"Les refuges sont déjà débordés par les demandes de sauvetage. À Nova Kakhovka (...) un petit zoo a été totalement inondé - tous les animaux, à l'exception des cygnes, sont morts", explique Natalia Gozak, une responsable d'IFAW en Ukraine.

La végétation ne sera pas épargnée non plus, notamment celle en amont du barrage qui "mourra à cause du drainage, tandis que les zones situées en aval seront inondées, y compris les complexes steppiques et forestiers qui ne sont pas adaptés à la submersion, ce qui entraînera leur engorgement et leur destruction", prévoit Ecoaction.

Pollution massive et menace pour la faune et la flore

Plusieurs parcs naturels nationaux ukrainiens, dont la réserve de biosphère de la mer Noire classée à l'Unesco, sont directement menacés.

Une pollution massive résultant du déversement des ordures, produits agrochimiques et autres matières dangereuses, ainsi que de l'inondation et de la désactivation des systèmes de traitement des eaux usées et des systèmes d'égouts, est également à prévoir.

Selon des responsables ukrainiens, 150 tonnes d'huile de moteur se seraient déversées mardi dans le Dniepr, "avec le risque que 300 tonnes supplémentaires s'infiltrent", représentant "une menace pour la faune et la flore".

"Plus de 40.000 personnes risquent d'être en zones inondées", a averti dès mardi le procureur général ukrainien Andriï Kostine, en annonçant des évacuations massives.

La barrage de Kakhovka est aussi utilisé pour fournir de l'eau potable et l'irrigation pour la partie méridionale de l'Ukraine, déjà l'une des plus sèches du pays. Sa destruction constitue donc un risque majeur pour l'alimentation en eau de millions de personnes.

Des "terres arides, voire désertiques, dans les prochains mois"

Cette pénurie d'eau pourra entraîner une désertification de certaines zones, estime IFAW.

"La biomasse pourrissante de la flore et de la faune aquatiques se transformera en terres arides, voire désertiques, dans les prochains mois", anticipe Natalia Gozak, avec pour conséquence un changement dans les microclimats et les températures, ce qui pourrait entraîner "une vague de nouveaux migrants climatiques et hydriques dans d'autres régions d'Ukraine et d'Europe".

La centrale nucléaire de Zaporijjia, occupée par l'armée russe, est une nouvelle fois fragilisée après la destruction du barrage, dont l'eau est utilisée pour refroidir le combustible et éviter un accident nucléaire.

"Le refroidissement de la centrale est actuellement assuré par de l'eau pompée dans des bassins situés sur le site, conçus à cet effet. Il n'y a pas de risque à court terme pour la centrale", rassure toutefois l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français ce mercredi.

Les craintes sont plutôt d'ordre économique: "L'absence de refroidissement pour les six réacteurs signifie que la centrale ne sera pas opérationnelle dans un futur prévisible, ce qui entraîne une perte d'environ 13% de la capacité de génération électrique ukrainienne", souligne Malte Janssen, de l'University of Sussex Business School.

Les dommages concerneront aussi vraisemblablement l'agriculture et l'élevage, laissant craindre un désastre humanitaire. L'Ukraine est l'un des principaux pourvoyeurs mondiaux de céréales.

Article original publié sur BFMTV.com