« Chaque fête des mères me rappelle que je n’ai pas été aimée par la mienne » - Témoignage

« Chaque année j’en ai ras le bol des spots de pub larmoyants qui célèbrent la « merveilleuse connexion » entre une mère et ses enfants »
« Chaque année j’en ai ras le bol des spots de pub larmoyants qui célèbrent la « merveilleuse connexion » entre une mère et ses enfants »

TÉMOIGNAGE - J’ai aujourd’hui 42 ans, et j’ai vécu la majeure partie de ma vie dans l’illusion que j’avais eu une enfance « normale » ou, du moins, que j’avais été aimée par ma mère. Il y a six ans, celle-ci est tombée gravement malade.

Pour m’accompagner dans l’épreuve difficile de sa fin de vie, j’ai entamé un suivi psychologique qui m’a petit à petit amenée à faire voler ma vie en éclat : au gré des séances, j’ai pris conscience du fait que ma mère était maltraitante et qu’à 36 ans, j’étais encore sous son emprise. Un moment difficile à de nombreux égards, qui m’a obligée à décomposer ma vie entière sous mes yeux. Mensonge, manipulation, humiliations permanentes, punitions quand j’exprimais la moindre opinion, relation d’emprise…

Tout ce que j’avais érigé en norme, dans ma relation avec ma mère, était en réalité de l’abus. Depuis, chaque début de mois de juin, la fête des mères me plonge dans une tristesse profonde, et j’en ai ras le bol des spots de pub larmoyants qui célèbrent la « merveilleuse connexion » entre une mère et ses enfants.

Les relations mère-enfant, un mythe très loin de ma réalité

En prenant conscience que j’avais été victime de maltraitance toute ma vie, j’ai aussi appris qu’adulte, je pouvais encore me reconstruire. Et ce, en déconstruisant l’image de ma mère, l’empreinte qu’elle avait eue sur moi, mais aussi l’image d’Épinal de la mère dans notre société.

Car on vante partout, des publicités aux affiches, aux films ou aux livres, une image glorifiée de la maternité et du lien qui unirait immédiatement mère et enfant dès les premières minutes de la grossesse. On nous répète que « l’amour maternel est immédiat, dès que tu es enceinte, tu aimes ton enfant ». Ah bon ? Nombreuses sont celles qui rappellent que c’est un fantasme plus qu’une réalité. On nous dit que parce que notre mère nous a donné la vie, à la fête des mères, il faut lui rendre un peu de ce don. On nous parle d’amour inconditionnel. Mais moi, je n’ai connu qu’un amour très conditionné. Et quand on ne nous a rien donné, qu’est-ce qu’on rend ?

Les enfants maltraités sont effacés par ces illusions

Chaque année, la fête des mères ne fait qu’appuyer sur le fait que quand on a été une enfant victime de violences – verbales, dans mon cas – de la part de ses parents, on n’a pas droit à la parole : on est effacé par l’immense illusion de l’amour maternel. J’en ai fait l’expérience quand j’ai essayé de parler de mon vécu autour de moi, admettre qu’il y a des mères qui peuvent faire du mal à leurs enfants, c’est difficile.

J’ai l’impression que le seul endroit où les enfants malheureux ont le droit d’avoir une histoire, c’est dans les faits divers. Pourtant, se reconstruire est une tâche immense : une mère qui ne vous aime pas, c’est une promesse qui n’a pas été tenue. J’ai l’impression qu’on nous ment quand on nous vend cette maternité officielle, célébrée, triomphante. À côté, il y a toutes les questions que ces enfants bancals, dont je fais partie, se posent. Qu’est-ce qu’on devient quand on n’a pas été aimé ? Si toutes les mères sont aimantes, de manière inconditionnelle, alors, est-ce que ce qui m’est arrivé est de ma faute ?

Tous les ans revient cette douleur quand on vous explique à ne plus en pouvoir que c’est merveilleux d’avoir une maman. Je sais que c’est le cas pour de nombreux enfants, mais ce n’était pas merveilleux d’avoir la mienne. Et ce vécu, je ne veux pas qu’on essaie de l’effacer.

Je ne veux pas empêcher les gens heureux de célébrer leur mère

Pendant quelques années, la fête des mères et toutes les fêtes de famille étaient pour moi d’une violence inouïe. Maintenant, il ne reste plus qu’un peu de tristesse et la nostalgie de quelque chose que je n’ai pas connu. Je me dis que ça doit être super d’avoir une mère qui est contente de vous voir, qui aime vos cadeaux, qui aime entendre votre voix…

Je ne veux pas empêcher les gens heureux d’avoir une célébration de leur mère. Je connais les tendances très culpabilisantes de notre société : on culpabilise les gens qui ont eu une mère aimante de trop la célébrer parce que d’autres n’ont pas eu cette chance, on culpabilise aussi ceux qui disent qu’ils n’ont pas eu une bonne mère, parce que c’est synonyme d’être une mauvaise personne… Mais peut-être qu’un peu plus de modération, en cette période où les publicités pour la fête des mères nous envahissent un mois avant cette date, pourrait faire du bien à d’autres.

Car il m’a fallu du temps pour cesser de culpabiliser face à ce que je ressentais pour ma mère, ce qu’elle m’avait fait subir, et j’espère que prendre la parole aidera d’autres personnes à se sentir moins seules, à se dire que le problème ne vient pas d’elles dans cette période où on célèbre une vision fantasmée du lien mère-enfant et de la famille.

La fête des mères c’est finalement un beau mensonge social, comme Noël.

À voir également sur Le HuffPost :

10 signes qui montrent vous avez une relation déséquilibrée avec votre mère

Chiara Mastroianni, mère d’Anna Biolay, médusée par les attaques sur le physique de sa fille