TOUT COMPRENDRE - Pourquoi la campagne de lutte contre l’homophobie a tourné au fiasco en Ligue 1

TOUT COMPRENDRE - Pourquoi la campagne de lutte contre l’homophobie a tourné au fiasco en Ligue 1

Qu’est-ce que la journée contre l’homophobie?

Après quelques actions sporadiques (lacets arc-en-ciel), la Ligue de football professionnel (LFP) organise depuis cinq ans cette journée contre l’homophobie auprès des 40 clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 le week-end précédent la journée mondiale de la lutte contre l’homophobie (programmée le 17 mai). Depuis trois ans, elle invite les joueurs à arborer un maillot avec le numéro floqué en arc-en-ciel alors que les arbitres, délégués et entraîneurs sont invités à porter un brassard aux mêmes couleurs. L’action s’est aussi concrétisée par la pose des deux équipes mélangées derrière la banderole "Homos ou Hétéros, on porte tous le même maillot" avant chaque match. Les maillots des joueurs seront mis aux enchères au profit des associations Foot Ensemble, PanamBoyz & Girlz United, et SOS Homophobie entre le mercredi 17 mai à 16h et le dimanche 4 juin à 16h sur la plateforme MatchWornShirt.

Depuis quand date ce boycott?

Pour la première édition de l’opération en 2019, la LFP avait invité les capitaines, arbitres et entraîneurs de porter un brassard arc-en-ciel. Plusieurs d’entre eux s’en étaient passés à l’instar de Radamel Falcao, alors à Monaco, qui avait remis le brassard à son entraîneur, Leonardo Jardim. D’autres l’avaient imité comme Fayçal Fajr (Caen) et Jérémy Morel (Lyon). La saison dernière, le Parisien Idrissa Gueye avait boycotté la rencontre face à Montpellier pour ne pas avoir à porter le numéro arc-en-ciel. Il s’était déjà absenté lors de ce rendez-vous la saison précédente en passant davantage inaperçu. Moins soutenu par son club en 2022, le Sénégalais avait provoqué une vive polémique qui avait même engendré une petite crise diplomatique entre les instances footballistiques de deux pays.

Pourquoi les cas ont augmenté en 2023?

Les boycotts des saisons précédentes ont mis en alerte les observateurs sur les absences suspectes cette saison. A ce titre, le nombre de cas a augmenté cette année entre le joueur de Guingamp (L2) Donatien Gomis, ceux de Toulouse (Zakaria Sboukhlal, Moussa Diarra et Saïd Hamulic) ou l’attaquant de Nantes Mostafa Mohamed. Plusieurs joueurs ont aussi évité de poser derrière la banderole "Homos ou Hétéros, on porte tous le même maillot" avant le coup d’envoi de chaque rencontre, même s’ils ont tenu leur place sur le terrain avec le maillot au numéro arc-en-ciel. Plusieurs entraîneurs se sont aussi passés du brassard (Frédéric Antonetti, Olivier Pantaloni, Laurent Blanc, Eric Roy, Bruno Genesio, Igor Tudor et Alexandre Dujeux). Eric Roy, entraîneur de Brest, a provoqué l’indignation en accusant la LFP de fausser le championnat en programmant cette journée en fin de saison, alors que de nombreux joueurs la boycottent. Bruno Genesio, entraîneur de Rennes, juge cette journée "pas nécessaire".

Pour quels motifs des joueurs boycottent l’opération?

Pour justifier leurs boycotts, les joueurs mettent majoritairement en avant leur conviction religieuse. S’il ne s’était pas exprimé, Radamel Falcao, évangéliste, aurait évité le brassard arc-en-ciel en raison de sa religion. Zakaria Aboukhlal, milieu de Toulouse de confession musulmane, s’est justifié de la sorte, tout comme Mostafa Mohamed (Nantes). Invité d’Apolline Matin sur RMC ce lundi, Yoann Lemaire, fondateur de l'association Foot Ensemble, estime avoir "sous-estimé le problème" et pointe du doigt l’interprétation de la religion par certains joueurs. "En 2023, on est obligé de travailler avec des théologiens pour parler d’homophobie dans le football, confie-t-il. Alors qu’il y a quelques années en arrière, non. Les joueurs sont assez bavards sur le sujet, ils ont envie de dire les choses. Ils disent tout de suite: ‘Ma religion dit ça, ma religion condamne ça…’. Il y a des moments où ils ne la maitrisent pas (la religion) et disent un peu n’importe quoi. (...) Même pour la Bible, avec les évangélistes, on me dit que c’est Adam et Eve et pas deux Adam, que la Bible condamne. On est obligé de discuter avec eux. Et ça leur plait, parce qu’ils voient qu’on s’intéresse à eux."

Quelles sanctions pour les joueurs?

Muette sur ces boycotts, La Ligue n’a pas vraiment les moyens de sanctionner. L’article 2.1.d. de son règlement disciplinaire prévoit bien des sanctions contre "tout comportement contraire à la morale, à l’éthique ou portant atteinte à l'honneur, à l’image ou à la considération de la FFF, de la LFP, d’un de leurs dirigeants, d’un assujetti ou d’un tiers, ou, plus généralement, du football français. (…) Tout assujetti, portant une accusation à l’encontre d’un autre assujetti, est susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires s’il n’apporte, à l’appui, une présomption grave ou un commencement de preuve." Mais le texte sanctionne des actions contre d’autres acteurs du foot, ce qui n’est pas exactement le cas ici. L’absence de Gueye la saison dernière avait suscité un certain malaise notamment parce que le joueur n’avait jamais assumé publiquement les raisons. En se justifiant cette année, Aboukhlal et Mohamed risquent-ils une sanction des instances? Cela reste très flou. La seule entité pouvant actionner des sanctions reste les clubs, appelés à prendre leur responsabilité par Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports, dimanche dans Stade 2.

Article original publié sur RMC Sport