Coupe de France: Entre enfer et paradis, Annecy se prépare au choc face à Toulouse

Ils auraient pu remplir sans problème une enceinte de 40.000 personnes. Mais ils ne seront que 13.500 ce jeudi soir pour la réception de Toulouse en demi-finale de Coupe de france, dans ce Parc des Sports d’Annecy reconnaissable à ses tribunes d’un autre temps, avec son béton élimé et ses huit couloirs réservés à l’athlétisme qui éloignent acteurs du terrain et des tribunes.

Mais qu’importe cet inconfort, surtout si le mauvais temps s’invite – une partie des tribunes n’est pas abritée - les places se sont arrachées: "Il y a eu près de 60.000 connections en simultané lors de leur mise en vente", expliquent les dirigeants. Des "heureux élus" qui savourent: "Tout le monde nous en parle, on nous demande des places via des messages et des mails, détaille Christiane Levet, présidente du groupe de supporters "Fécé Force 12". On sent que les gens se disent: "Y a quelque chose qui se passe. C’est incroyable."

Un "quelque chose" qui convoque des souvenirs sur papiers jaunis, ceux déroulés au siècle dernier, quand le club local bataillait en Ligue 2 – on appelait cela la 2e division, Groupe B à l’époque – avec au mieux, une 9e place au cours de son quinquennat à ce niveau (1988-1993).

Les politiques suivent l'engouement

Idem au niveau des politiques locaux. Témoin, Catherine Allard, adjointe au maire écologiste d’Annecy. Elle l’affirme sans problème: "même moi qui n’est pas "pro-foot", je prends du plaisir, avoue l’élue, y a tout dans un match de foot, l’ambiance, la convivialité, les commentaires, le plaisir de voir du sport. C’est bon enfant. Très familial. C’est une vitrine et l’exemple du sport d’Annecy." Elle rappelle, aussi opportunément et dans un grand sourire, que l’arrivée de la nouvelle municipalité "verte", en juillet 2020 coïncide avec l’envol du dernier étage en date de la fusée, la création de la "SAS FC Annecy" pour encadrer juridiquement la partie "professionnelle" du club dans la foulée de l’accession en National en mai de la même année.

Paradoxale situation où une municipalité "verte", pas forcément tournée vers le sport business doit coopérer l’ascension d’une discipline qui ne charrie pas forcément ses valeurs? "Non, je ne suis pas d’accord, coupe Catherine Allard. Le foot a les mêmes valeurs que tous les sports collectifs. C’est du travail, de l’abnégation, de la solidarité. Ce club a une fondation qui œuvre sur de jolis projets participatifs, notamment avec les jeunes. C’est important à nos yeux."

Il se murmure aussi, sentant aussi la vague ballon rond, que le maire François Astorg ait lui aussi tranché lors d’une soirée de partenaires de début de saison: "Annecy, il n’y a pas de questions à se poser, c’est une terre de foot. Point." Lors des matches décisifs, l’élu enfile souvent le maillot du club comme le premier supporter qu’il entend être. Il n’était pas le dernier dans les loges du Vélodrome le 1er mars dernier, lors du quart de finale historique (2-2, 6/7 aux tirs au but) à encourager puis à fêter l’exploit. Présente aussi à Marseille, Catherine Allard affine le tableau local: "Annecy est surtout une terre de sport en général avec 222 associations diverses, hockey, rugby, hand, volley, traversée du lac à la nage et autres. Dans cette ville, on aime d’abord le spectacle ; on aime l’engouement qui va avec les grands événements. Et quand il y a des épopées, l’Annécien, qui est un amateur de spectacle avant tout se déplace."

Et des événements, le FC Annecy les multiplie. Sébastien Faraglia, le président affiche les données chiffrées: "Nous faisions partie des plus belles affluences de CFA, puis en National c’était pareil, détaille-t-il. Le 13 mai, dans le match décisif face à Sedan, le stade était rempli à ras bord. Cette demi-finale, c’est notre quatrième "guichets fermés" en sept mois. Ces chiffres sont assez forts pour montrer qu’il se passe un truc, que ce n’est pas récent, même si la Coupe décuple l’attrait."

L'exploit du Vélodrome comme catalyseur

Si tout va très vite au FC Annecy dans la période "post Covid", la "prise d’élan" ressemble à un long sentier, en pente douce: trois montées successives de Régional 2 à Nationale 2 entre 2013 et 2016, puis quatre saisons en salle d’attente avant l’accélération vers le National en mai 2020 et la Ligue 2, le 13 mai 2022 avec ce succès (2-0) face à Sedan. Qu’il semble ainsi loin le temps de la liquidation judiciaire en 1993 et de sa dégringolade en DHR (l’équivalent de la 8ème division) l’année suivante. "Nous avons toujours voulu un projet à long terme et qui soit pérenne", rappelle Sébastien Faraglia. L’actuel président, ancien joueur dans les années 90, se souvient de la dégringolade de son "FéCé". Il impose la patience à tous: "Je rappelle que le nom de code du projet en 2017 était, "Twenties", comme pour donner du temps au temps dans cette fourchette d’une dizaine d’années pour arriver à nos fins."

De quoi réveiller, au foot, la "Venise des Alpes", surnom donnée à ce chic coin de Haute-Savoie, niché entre son lac et les montagnes des Aravis et des Bauges qui le ceinturent et le surplombent? "Je dirai plus que c’était plus une passion endormie sur le territoire", précise Grégory Monod, entrepreneur dans l’immobilier, passionné de foot et partenaire de nombreux clubs sur la région dont... le GFA Rumilly-Vallières, héros de la Coupe de France 2021 qui avait battu... Toulouse en quart de finale au Parc des Sports d’Annecy: "Venir ici dans ce stade, même un peu "vielliot", décrypte l’homme d’affaires, c’est plus rassembleur que d’autres disciplines, peut-être plus élitistes qu’il y a dans le département."

Car au niveau économique aussi, le frémissement se ressent: "nous avons un vrai souci de places dans les loges, on sent la fierté dans l’approche de ce rendez-vous quand mes interlocuteurs en parlent..." constate Grégory Monod qui a dû gérer des demandes via SMS et mails par dizaines.

Et pour surfer sur le précédent tour qui offrait pour le premier quart de finale du club bientôt centenaire (né en 1927), le club avait invité tous ses actionnaires (20) et bon nombre d’autres parmi les 200 entreprises qui suivent à leur rythme financier l’essor du FCA: "Pour ceux qui ont pu aller à Marseille, cela a resserré les liens, se souvient Grégory Monod. Beaucoup seront là pour épaissir cette boule de neige afin de montrer que le foot peut être un grand moment de vie et de passion. Tous se disent maintenant: nous, nous sommes présents pour investir car nous croyons en ce projet."

Maintien ou Stade de France?

Mais dans cette ambiance, l’épée de Damoclès du maintien rode. Plutôt écartée avant le quart de finale à Marseille avec à l’époque, le 1er mars - + 9 points par rapport au 1er relégable avec une bonne 12e place à la 25e journée - elle réapparait un mois plus tard: la marge se réduit comme peau de chagrin, avec un 15e rang et deux longueurs d’avance sur Laval (17e et 1er relégable): "Vous avez vu le parcours de Toulouse, coupe Laurent Guyot. Cinq défaites sur les six derniers matches, cela ne vous rappelle rien?" Annecy accumule les mêmes statistiques: 0-3 face à Metz, 2-1 à Grenoble, 1-1 face à EAG et 4-0 à Nîmes: "Nous sommes à notre place il n’y a pas à paniquer, tempère le technicien savoyard. Profitons de ce bon moment, tâchons d’être à la hauteur parce qu’on sait ce qui nous attend; nous savons ce qu’il y a en face de nous; et puis nous allons relever le challenge avec le sourire mais avec beaucoup de détermination. Il ne faut pas oublier que nous sommes l’avant-dernier budget de Ligue 2."

Avec un sacré grand écart potentiel dans cette période où tout est possible: d’un côté aller au stade de France, emporter le trophée et faire la Coupe d’Europe en septembre prochain tout en étant en... National en cas de relégation: "oulala, notre objectif, c’est le maintien à 100%, nous sommes focus sur cela, mais cela ne veut pas dire que nous ne jouerons pas ce match à fond..." évacue, diplomatiquement, dans un large sourire Madyen El Jaouhari, le milieu de terrain. Son patron lui vient en aide, avec une autre formule: "La Coupe, c’est une formidable parenthèse, résume Sébastien Faraglia. Si on se maintient, la saison sera réussie. Si on ajoute, une finale, elle sera magique. Et si en plus, on gagne, elle sera extraordinaire. Il faut d’abord la réussir cette saison."

Imiter Evian Thonon-Gaillard

Aller en finale... Ne serait-il pas le trait d’union pont entre deux vies du 21e siècle du Parc Municipal des Sports? Celle du club cousin, éphémère pensionnaire du foot professionnel entre 2011 et 2015, l’ETG, Evian-Thonon-Gaillard, dont le siège était à 85 km de là, au bord du Lac Léman mais le lieu d’expression au bord de celui... d’Annecy!: "Cette passion du foot est revenue par l’ETG avec la finale de la Coupe de France en 2013, se rappelle Christiane Levet. Nous venions voir l’ETG en Ligue 1 et son épopée de 2013 avec l’élimination du PSG, notamment. Nous retrouvons cette magie de la Coupe qui avait embrasé toute la Haute-Savoie. Nous ne sommes ni Lens, ni St Etienne mais le public demande de belles équipes et de beaux matches. Là, cela en est un."

"L’ETG", ce club hybride sur les ruines duquel le FC Annecy a petit à petit soigné son retour qui avait mis le feu au lac avec une belle épopée, accrochant à son tableau de chasse, le 17 avril 2013, le PSG d’un certain Zlatan Ibrahimovic qui avait même manqué son pénalty (1-1, 4-1 tab) tout comme Thiago Silva, avant le feu d’artifice face à Guingamp (4-0). En finale, Bordeaux mettra un terme au rêve : 3-2. Deux ans plus tard, le club descendait en Ligue 2 puis douze mois après était liquidé.

Un souvenir qui reste vivace: "Il y a une force dans ce stade bondé qui va apporter un atout énorme pour Annecy, pense Grégory Monod. Et repeindre aux couleurs rouges du FCA, un TGV pour aller à Paris, comme l’ETG l’avait fait en rose, en 2013, c’est plus qu’un rêve d’enfant pour moi, qui pourrait s’accomplir."

Côté des fans, des "Force Fécé 12" au "Raiders 74", ils sont déjà dans le match avec tifo géant, craquage de fumigènes à l’arrivée des joueurs et lancement de 1500 ballons (s’ils arrivent à temps …): "Nous, on y croit, lance Christiane Levet. Dix ans après, ce serait beau! Marseille, voir ce match, ce suspens... C’était incroyable. Vivre des moments comme ceux-ci. C’était magique. Nous n’arrivions pas à partir de Marseille. C’était magique. Notre équipe peut encore nous faire vibrer. Pourquoi pas encore les tirs au but après Belfort, le Paris FC et l’OM. J’y crois …"

Laurent Guyot en rajoute: "J’ai eu la chance de faire une finale de Coupe de France en tant que joueur en 1993. Il y a trente ans. Vous savez ce que vous vous dites dans ces cas-là? Après avoir pris une raclée par les PSG, vous vous dîtes: ce n’est pas grave! Je vais en jouer une autre. Mais parfois il faut attendre trente ans... Donc il faut aussi savoir saisir sa chance. Et si pour saisir sa chance, l’élément de motivation c’est de se dire qu’on peut faire une finale dans un stade mythique, eh bien il ne faut surtout pas s’en priver surtout quand on est un joueur ou un coach du FC Annecy."

Catherine Allard: "un pari, je n’aime pas en faire. Quand je me souviens de Marseille où c’était "wahou", je me dis qu’après ce match là, ils méritent d’aller en finale."

Il y a donc ce "quelque chose qui se passe" (Christiane Levet) qui enveloppe la période d’une douce espérance: "Allez au Vélodrome, cela nous faisait peur. Nous avons cru à l’impossible, cela a marché. Là, il faut continuer d’y croire!" Ce sera d’ailleurs inscrit sur une banderole que Christiane Levet se prépare à installer dans le stade, histoire que l’épopée continue. Et histoire aussi de lancer le feu d’artifice, prévu le soir de la montée en Ligue 2 en mai dernier mais resté dans les cartons, au dernier moment à cause de la météo défavorable!

Article original publié sur RMC Sport