Emery - Favre : combat rapproché

Dimanche soir, le PSG accueille l’OGC Nice au Parc des Princes, pour un choc au sommet de la Ligue 1 entre le champion en titre et l’actuel leader. Une rencontre qui est aussi celle de deux entraîneurs précédés d’une solide réputation, et que les convictions rapprochent plus qu’elles ne les distinguent. Décryptage.

Emery/Favre : combat rapproché
Emery/Favre : combat rapproché

L’affiche est alléchante. D’un côté, un quadruple champion de France revanchard après une défaite cinglante concédée à Montpellier (3-0) et un nul inquiétant en C1; de l’autre, une équipe que personne n’avait vu venir et qui endosse depuis onze journées le costume de leader avec autorité et décontraction. Inutile de dire que dimanche soir, le Parc promet d’être plein et les téléspectateurs nombreux pour assister à la rencontre qui opposera le PSG à l’OGC Nice. Un duel en haute altitude, qui va aussi opposer pour la première fois deux des techniciens les plus en vue du championnat, Unai Emery et Lucien Favre.

Si la confrontation entre les deux hommes s’annonce intéressante, il est difficile de parler de “choc des cultures” pour évoquer ce match dans le match, tant les similitudes sont nombreuses entre l’entraîneur vaudois et son homologue espagnol. Du traditionnel “passionné”, au non moins récurrent “méticuleux”, les qualificatifs qu’on leur prête sont d’ailleurs souvent semblables. La liste des rapprochements possibles ne se limite cependant pas à quelques adjectifs…

Un parcours brillant

Partout où ils sont passés ou presque, Emery et Favre ont réussi. En 25 ans d’une carrière commencée en 1991 avec les juniors du FC Echallens, l’entraîneur helvète est toujours parvenu à élever le niveau de ses équipes. Du Yverdon-Sport FC, qu’il a hissé en Ligue Nationale A, au FC Zurich, avec lequel il a remporté deux titres de champion de Suisse, en passant par Mönchengladbach, où son travail a permis au club de quitter la zone de relégation pour finir sur le podium de la Bundesliga, Lucien Favre a fait merveille. Une réussite saluée par deux titres de meilleur entraîneur de Suisse, et trois d’Allemagne.

De son côté, Emery n’est pas en reste. Propulsé entraîneur-joueur de la modeste équipe de Lorca en 2004, l’Espagnol est parvenu dès sa première saison sur le banc (et sur le terrain) à faire monter le club en Liga Adelante. Un goût de la promotion sportive qu’il a inoculé avec un bonheur égal à Almería, propulsé dans l’élite au terme d’un exercice 2006-2007 maîtrisé de bout en bout. Cette réussite ne s’est plus démentie depuis, comme en témoignent ses trois podium avec Valence, ses couronnes européennes avec Séville, et sa 4è place de meilleur entraîneur du monde dans le classement 2015 de l’International Federation of Football History and Statistics.

Des travailleurs acharnés et méthodiques

Une attention aux détails portée à un niveau obsessionnel, des matchs visionnés plus d’une dizaine de fois en compagnie de ses adjoints pour en analyser tous les paramètres, des notes sur plus d’une centaine d’équipe, des séances vidéos réputées pour leur exhaustivité… La méthode Emery est désormais connue et repose sur un socle qui se résume en un mot : travail.

Un terme qui n’est pas étranger au vocabulaire de son homologue suisse, dont les carnets sont tout aussi remplis. Quand il ne les noircit pas, Lucien Favre n’hésite pas à faire des heures sup’ avec les joueurs volontaires à l’issue des entraînements – millimétrés -, quitte à mouiller le maillot en cas de besoin. Le tout en prenant soin de distiller d’innombrables conseils individuels. Wylan Cyprien, dont l’enchaînement contrôle-projection vers l’avant dynamise depuis quelques temps l’entrejeu niçois, en sait quelque chose.

L’obsession de la progression

Si Favre et Emery sont aussi opiniâtres, c’est qu’ils sont l’un comme l’autre habités par une volonté farouche de faire progresser leurs joueurs, individuellement et collectivement. Se présentant volontiers comme des professeurs, ils cherchent systématiquement à les sortir de leur zone de confort pour les forcer à se transcender. C’est à cette aune qu’il faut juger l’exigence dont l’Espagnol fait preuve avec Marco Verratti, qu’il pousse à dépasser son rôle de relayeur pour se présenter davantage devant le but. A en juger par ce qu’il a obtenu de Banega et N’Zonzi à Séville, il est fort probable qu’à terme, le milieu italien parvienne à améliorer ses stats. Côté suisse, l’intégration discrète mais bien réelle de Rémy Walter dans le onze titulaire, ou encore l’amélioration du pressing de Younès Belhanda, illustrent une même capacité à pousser les joueurs à exploiter la pleine mesure de leur potentiel.

Un sens aigu de la psychologie

Grand lecteur d’ouvrages sur le leadership, Emery place la psychologie au centre de sa gestion de groupe. Objectifs : obtenir le meilleur rendement possible de ses joueurs et aiguiser leur esprit de compétition, quitte à bousculer les egos. Même si l’étrange apathie qui semble frapper en ce moment le collectif parisien ne plaide pas en faveur du travail mental effectué par l’entraîneur espagnol, sa reconquête du vestiaire à l’automne, tout comme la progression de Ben Arfa ces dernières semaines, atténuent toutefois cette impression.

Tout aussi attaché à l’aspect psychologique du management, Lucien Favre n’adopte cependant pas la même approche en la matière que l’entraîneur parisien. Adepte du vouvoiement, il garde une distance respectueuse avec ses joueurs – ce que ces derniers apprécient, y voyant une marque de considération – tout en cultivant la proximité nécessaire pour leur faire passer les messages opportuns. Et à en juger par l’épaisseur des lauriers que les pensionnaires du Gym lui tressent, la méthode doit avoir quelques vertus. Et puis un homme capable de gérer Balotelli est forcément un fin psychologue (voire un bon psychiatre).

Le goût de la verticalité

C’est connu, ni Emery ni Favre ne sont des inconditionnels du “tiki-taka” – expression que le Vaudois ne parvient d’ailleurs pas à prononcer et que l’entraîneur espagnol qualifie volontiers de “fantasme de supporter”*. S’ils ne dénigrent pas pour autant la possession et les attaques placées, les deux techniciens leur préfèrent un jeu plus direct, où pressing haut, “cassage” de lignes et contre-attaque occupent une place prépondérante. Dans cette optique, il n’est pas étonnant de constater que l’un comme l’autre considèrent les latéraux comme des armes offensives indispensables.

Pragmatiques, pas dogmatiques

Il serait pourtant faux de voir dans cette inclination commune pour la verticalité la manifestation d’une forme de rigidité tactique. Pragmatiques, Emery et Favre savent s’adapter si les circonstances l’exigent. Il n’est ainsi pas rare de voir le 3-5-2 du Gym se muer en cours de rencontre en 4-2-3-1 ou en 4-4-2 au gré de son déroulement. Si l’entraîneur espagnol privilégie davantage la stabilité du système durant les matchs que son homologue suisse, il sait également faire preuve de souplesse en cas de nécessité. Le retour partiel à un jeu de possession lors des dernières journées de championnat, conforme au souhait exprimé par ses cadres à l’automne, l’atteste.

Relativement large, le spectre des qualités communes aux deux hommes ne doit cependant pas occulter certaines différences :

Le tempérament

Que ce soit sur ou en dehors du terrain, l’entraîneur espagnol transpire la passion, version latine. Souvent remuant sur le bord du terrain, il joue volontiers de son caractère volcanique et entier avec ses joueurs, qu’il s’agisse de les féliciter ou de leur passer un savon. Plus équanime, Favre n’est pas du genre à pousser des gueulantes dans sa zone technique. Pour autant, il sait aussi recadrer les siens si nécessaire, comme Malang Sarr, le week-end dernier à la mi-temps du match contre Toulouse. Alors que le jeune défenseur central s’apprêtait à répondre aux questions de Laurent Paganelli, l’entraîneur suisse ne s’est pas privé de le soustraire au micro du journaliste. Sans un mot plus haut que l’autre, cela va de soi.

Les références

Emery ne se reconnaît pas de figure tutélaire à son poste. Ses références, l’entraîneur espagnol les puise ailleurs. Dans certains matchs, voire certaines séquences de jeu, dont il s’inspire au besoin ultérieurement. Pour Lucien Favre, la référence absolue reste Ferguson. Ou plus précisément, les Red Devils de Sir Alex, version 1990-2000 (Giggs, les frères Neville, Beckham, Scholes…). La raison : il s’agissait d’une équipe jeune et talentueuse, que le manager écossais avait su façonner avec succès.

La place des jeunes

Bien qu’il ait déjà accordé du temps de jeu à certains jeunes issus du centre de formation cette saison (Ikoné, Kimpembe, Augustin notamment), Emery ne cherche pas à les inscrire durablement dans sa rotation. Récemment encore en conférence de presse, il déclarait d’ailleurs être ouvert à des prêts lors du mercato hivernal. Un choix qui s’explique bien sûr par la dimension du club de la capitale, dont le projet s’est principalement construit autour de joueurs confirmés ou de stars en devenir, mais qui ne semble pas attrister outre mesure le technicien espagnol.

A contrario, Lucien Favre a toujours expliqué que la politique niçoise de formation et de recrutement des jeunes, qui prévaut depuis le passage de Claude Puel à la tête des Aiglons, avait largement contribué à sa venue sur la Côte d’Azur. Le Suisse s’est d’ailleurs rapidement inscrit dans le sillage de son prédécesseur, comme l’illustrent la révélation du jeune Sarr (17 ans) et l’arrivée de Cyprien (21 ans). En dépit du changement d’entraîneur, Nice demeure ainsi la deuxième équipe la plus jeune d’Europe. Pas de quoi perturber un Lucien Favre habitué à relever des défis de ce genre : lorsqu’il avait remporté le titre avec Zurich la première fois, il l’avait fait avec une équipe dont la moyenne d’âge excédait à peine 21 ans. De bon augure pour la suite…

*extrait d’une interview accordée à nos confrères de So Foot