Erdogan réélu en Turquie : qu’attendre de son troisième mandat ?

La foule turque célèbre la victoire de Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle, le 28 mai.
La foule turque célèbre la victoire de Recep Tayyip Erdogan à la présidentielle, le 28 mai.

TURQUIE - Cinq années de plus. C’est sans surprise que le président turc Recep Tayyip Erdogan a remporté dimanche 28 mai l’élection présidentielle face au candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu, leader du CHP à la tête d’une coalition de six partis. Il a récolté 52,2 % des voix des électeurs contre 47,8 % pour son concurrent.

L’hyperprésident Erdogan reste donc à la tête du pays qu’il dirige depuis 20 ans, d’abord en tant que Premier ministre puis chef de l’État depuis 2014. Qu’attendre de ce nouveau mandat ? Nicolas Monceau, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul, répond au HuffPost.

Le HuffPost : Comment analyser le score d’Erdogan pour ce second tour ?

Nicolas Monceau : Ce n’est pas une victoire éclatante ou triomphale. En nombre de voix remportées, cela correspond à ce qu’il avait récolté en 2018 dès le premier tour. D’ailleurs si on cumule les trois candidats d’opposition de la précédente élection présidentielle, on atteint les 47-48 % obtenus par Kiliçdaroglu ce dimanche.

On disait Erdogan affaibli et usé avec la crise économique, la dérive autoritaire, les tremblements de terre et ses conséquences, l’usure du pouvoir après 20 ans à la tête de l’État avec l’AKP (parti de la justice et du développement, son parti, NDLR). Finalement, il a été en capacité de résister dans les urnes.

Il ressort même renforcé de cette séquence électorale puisqu’il est réélu pour un troisième mandat et qu’il conserve sa majorité au Parlement (les élections législatives à un tour ont eu lieu le 14 mai, date du premier tour). Toutefois, il faut distinguer les résultats d’Erdogan et ceux de l’AKP. Ce dernier est en déclin, il a perdu des sièges par rapport à son allié le MHP (extrême droite).

Au niveau de la politique intérieure, quelles sont les priorités du président réélu ?

Pendant la campagne, Erdogan a annoncé un certain nombre d’orientations pour répondre aux défis mais dans une volonté de continuité. Il a ainsi formulé des promesses sociales qui devraient être mises en œuvre : augmenter les salaires des fonctionnaires, les pensions des retraités, les livraisons de gaz gratuit.

Sa priorité est de répondre aux attentes de la population, qui veut surtout une solution à la crise économique. Beaucoup de décisions seront déterminées par ce prisme-là, dont ses relations avec les États étrangers comme l’Égypte, Israël ou les Émirats arabes unis, afin de sortir la Turquie de son isolement et redévelopper des relations commerciales ou obtenir des soutiens financiers.

Et au niveau international, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine ?

Pour l’instant, la Turquie devrait maintenir son statu quo et sa politique d’équilibriste pour dialoguer avec les deux belligérants. Elle va soutenir l’Ukraine, sans dénoncer ouvertement la Russie ni appliquer les sanctions. Ankara veut rester une puissance de médiation, à l’image de son rôle dans l’accord sur les céréales. Comme la situation ne bouge pas beaucoup sur le terrain ukrainien, Erdogan ne devrait pas non plus changer de position.

L’autre dossier important est l’Union européenne, mais règne une grande incertitude. Des dirigeants, dont Emmanuel Macron, ont félicité le président pour sa victoire et appelé à reprendre les discussions sur certains enjeux. Il pourrait effectivement y avoir une reprise du dialogue pour répondre à la priorité turque qui est l’économie. À l’inverse, l’immobilisme pourrait perdurer par exemple sur le processus d’intégration de la Turquie à l’UE.

Il y a aussi l’Otan, dont le prochain sommet se déroulera à Vilnius, en Lituanie, en juillet prochain. Ankara va-t-elle maintenir sa décision de bloquer l’entrée de la Suède dans cette organisation ? Maintenant qu’il est réélu, Erdogan va-t-il revoir sa position et en fonction de quelles garanties ? Une évolution est possible dans les prochains mois.

Maintenant, que vont devenir Kemal Kiliçdaroglu et l’opposition ?

L’alliance d’opposition s’était constituée uniquement pour les élections. Après cet échec, est-ce que les dirigeants des partis membres seront maintenus ? Quid de Kiliçdaroglu ? Pour les prochaines élections dans cinq ans, on peut en tout cas penser qu’il ne sera plus à la tête du CHP (qu’il dirige depuis 2010) ou du moins qu’il ne sera pas le candidat à la présidentielle.

En effet, un des éléments mis en avant pour expliquer la défaite de la coalition concerne le choix du candidat. Kiliçdaroglu n’était peut-être pas le bon. Des questions ont émergé sur sa personnalité, sa stratégie, la manière dont il a mené la campagne, son durcissement de ton pendant l’entre-deux-tours pour séduire les ultranationalistes.

Kiliçdaroglu a quand même réussi à provoquer un second tour, une première pour Erdogan. Cela va-t-il pousser le président à infléchir certains aspects de sa politique ?

Le président est en position de force avec les majorités présidentielle et parlementaire, tout devrait donc continuer comme avant. Il n’y a pas de raison pour qu’il y ait de changement fondamental. En célébrant sa victoire dimanche (voir notre vidéo ci-dessous), Erdogan aurait pu tenir des propos conciliants. Au contraire, il a très vivement critiqué son adversaire et les Occidentaux. Il n’y a pas de volonté d’apaisement.

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