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« La Fédération française de football et le loup »

Adrien Taquet, ancien Secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles (photo prise le 23 décembre 2021)
ELIOT BLONDET / AFP Adrien Taquet, ancien Secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles (photo prise le 23 décembre 2021)

ELIOT BLONDET / AFP

Adrien Taquet, ancien Secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles (photo prise le 23 décembre 2021)

TRIBUNE - Le fondement de la vie en société a consisté, pour chacun d’entre nous, à abandonner un peu de notre liberté individuelle au profit de la puissance publique qui, en échange, organise notre vie collective et nous protège, notamment les uns des autres. Trahir ce devoir de sécurité, ne plus être en mesure d’assurer la protection de nos enfants, c’est rompre le Pacte social. Et alors, l’homme redevient un loup pour l’homme, et pour ses enfants.

C’est ce qui est en jeu ces derniers jours, avec les révélations qui frappent la Fédération française de football (FFF) et la façon dont elle a géré des cas d’agression sexuelle sur des mineurs de 13 ou 14 ans par certains de ses cadres. Responsable des filles à Clairefontaine, entraîneuse de l’équipe de France féminine, éducateur au centre de formation, responsable des arbitres… À chaque fois, l’institution fédérale a fait preuve d’une inaction ou d’une lenteur qui démontrent l’absence de prise de conscience à la fois de l’ampleur et de la gravité des faits. Mais elle a surtout, et c’est plus grave encore, escamoté la réalité : si les personnes incriminées ont pour la plupart été licenciées ou écartées de leurs responsabilités au sein du giron fédéral, les raisons de ces mises à l’écart ont été gardées secrètes. Ces « éducatrices » et « éducateurs » ont ainsi pu conserver leur licence et continuer d’exercer leur métier auprès d’enfants, dans d’autres clubs que l’on avait omis de mettre au courant, l’une à Metz, l’autre dans le Rhône.

Cette politique de la dissimulation, au nom de la protection de l’institution et de la discipline, à défaut de protéger les mineurs, n’est pas nouvelle ni propre au football. Mais dans tous les cas, elle expose nos enfants à la récidive de prédateurs sexuels qui n’ont pas été dénoncés aux autorités administratives et judiciaires, pas été jugés, pas même suspendus, à titre conservatoire et préventif, de leur capacité à travailler auprès de mineurs – ce que l’article 85 des règlements de la FFF permet pourtant, même en l’absence de condamnation pénale.

« Cette politique de la dissimulation expose nos enfants à la récidive de prédateurs sexuels »

La lutte contre les violences sexuelles dans le sport a été le point de rencontre de nos combats communs avec Roxana Maracineanu. Parce que le sport est le lieu où des millions d’enfants fréquentent des adultes dans une relation asymétrique souvent exacerbées par le rapport du coach à son élève. Parce que le rapport au corps y occupe une place spécifique, dans certains sports en particulier. Dès le plan de lutte contre les violences de novembre 2019, nous avons ainsi renforcé le contrôle des antécédents judiciaires de toutes personnes travaillant auprès de mineurs, dont la liste a été encore élargie par la loi du 7 février 2022 sur la protection des enfants. La ministre des Sports de l’époque a également généralisé le contrôle d’honorabilité des 2 millions de bénévoles, si essentiels pour faire vivre nos clubs.

La prévention de la récidive est évidemment fondamentale, mais il faut intensifier encore les actions en amont pour sensibiliser les enfants eux-mêmes. Commençons par rendre à nouveau obligatoires les cours d’éducation à la sexualité à l’école. Nous avions obtenu avec Elisabeth Moreno que soit mené un audit sur la réalité de cet enseignement, qui a révélé qu’il ne bénéficiait qu’à 1 élève sur 5. Le contenu a été réactualisé depuis, pour y intégrer les questions du consentement, des menaces nouvelles liées aux réseaux sociaux, de l’exposition précoce à la pornographie, du risque prostitutionnel, etc. Il faut désormais qu’il bénéficie à tous les enfants, dès leurs 4 ans et jusqu’au lycée, comme c’est le cas dans de nombreux pays.

La prévention doit également être renforcée au sein des clubs amateurs ou préprofessionnels comme les centres de formation. Des associations font un travail formidable, qui doit continuer à être soutenu par les pouvoirs publics mais aussi par les clubs, pour qu’il bénéficie aux enfants sur tout le territoire – sans oublier les Outre-mer, où il est grand temps d’affronter le sujet des violences sexuelles sur enfants sans tabou. La formation initiale des éducateurs va en parallèle être renforcée d’un module obligatoire portant sur l’éthique et l’intégrité, notamment pour leur faire prendre conscience que certains comportements ne sont pas souhaitables ni acceptables – faire passer un entretien à un mineur seul et la porte fermée, échanger des SMS avec un enfant, etc.

« La FFF ne peut plus omettre de signaler à sa tutelle des affaires de violences sexuelles sur mineurs »

Quand on sait que les enfants handicapés sont 4 fois plus victimes de violences sexuelles que la moyenne, il est également impératif pour l’ensemble du mouvement sportif d’intensifier la réflexion initiée au sein du Comité paralympique et sportif français par Marie-Amélie Lefur. Ou ce sont les plus vulnérables parmi les vulnérables qui seront une fois encore oubliés et invisibilisés.

Mieux protéger nos enfants enfin, impose de s’interroger sur les relations qu’entretiennent les fédérations avec leur autorité de tutelle. Y compris s’agissant de la plus puissante d’entre elles, qui accueille le plus grand nombre d’enfants issus de tous les milieux.

La FFF ne peut plus omettre de signaler à sa tutelle des affaires de violences sexuelles sur mineurs, elle se doit d’être exemplaire sur le traitement réservé aux comportements déviants des personnes sous sa responsabilité. Cela commence par une transparence absolue dans ces affaires, et par la garantie que les procédures de signalement soient effectives, et que les victimes seront accompagnées. Tout cela sous le contrôle strict du ministère des Sports, qui doit pleinement exercer son pouvoir de contrôle et de sanction sur des instances qui, rappelons-le, n’existent ni n’agissent que par délégation de service public, et bénéficient d’argent public. Ou alors le ministère faillira lui aussi à son devoir de protection envers nos enfants.

Suite aux dernières révélations par la presse, la ministre Oudéa-Castéra a diligenté un audit sur le fonctionnement global de la FFF. Gageons que celui-ci n’oubliera pas de se pencher sur la façon dont cette instance a géré les affaires de violences sexuelles sur mineurs dans le giron fédéral, en établissant les responsabilités individuelles. Mais ne nous y trompons pas : si le résultat doit uniquement conduire à la mise à l’écart de certains de ses cadres, ce sera une occasion manquée, celle de reconnaître que c’est le système dans son ensemble qu’il convient de réformer, une culture nouvelle de la protection qu’il convient de renforcer.

Manquer cette occasion, c’est accepter de continuer à égrener les victimes. Nos enfants tout d’abord, qui continueront d’être des proies en puissance. Les éducateurs ensuite, qui effectuent un travail formidable et souffrent de voir celui-ci sali par le comportement de quelques-uns. Le football, qui finira par voir le nombre de ses licenciés diminuer. Les pouvoirs publics enfin, envers lesquels la confiance qui nous rassemblait continuera de s’effriter.

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