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En foot, l’Arabie saoudite « marche sur les plates-bandes du Qatar »

Cristiano Ronaldo le 9 mars 2023 avant le match entre Al-Nassr et Al Ittihad, pour le championnat saoudien.
Cristiano Ronaldo le 9 mars 2023 avant le match entre Al-Nassr et Al Ittihad, pour le championnat saoudien.

FOOTBALL - Après l’arrivée en grande pompe du portugais Cristiano Ronaldo au club d’Al-Nasr en début d’année, une autre grande star du foot va incessamment s’envoler pour l’Arabie saoudite. Le Ballon d’Or 2022 Karim Benzema, qui a annoncé dimanche 4 juin son départ du Real Madrid après 14 saisons, a conclu un accord avec Al-Ittihad.

Le champion du monde argentin Lionel Messi, délivré de son contrat avec le PSG, pourrait les suivre. Des parachutes dorés pour ces joueurs en fin de carrière de 35 ans (38 ans pour Ronaldo), dont les transferts s’évaluent à plusieurs centaines de millions d’euros, et une belle opération de communication pour le royaume saoudien qui cherche sa place sur la scène internationale.

« Ces gros coups ne sont pas une surprise » pour Carole Gomez, doctorante en sciences du sport de l’Université de Lausanne, interrogée par le HuffPost. « Depuis 2015-2016, l’Arabie saoudite a un intérêt croissant dans le sport. C’est passé par différents canaux : accueillir des Super Coupe d’Espagne et d’Italie, des tournois de boxe, de tennis, le rallye Dakar depuis 2020 », liste-t-elle.

Le Qatar, nouvelle star du foot

Sans oublier le foot, poursuit Carole Gomez : « L’Arabie saoudite est devenu en 2018 l’un des principaux pays en termes de sommes dépensées pour faire venir les joueurs dans son championnat, a recruté l’entraîneur Rudy Garcia, a fait une bonne performance à la Coupe du monde 2022... »

Une question de soft-power, d’influence « douce », qui s’inscrit dans le cadre du plan de transformation et de modernisation du pays « Vision 2030 » voulu par le nouveau maître du royaume, Mohammed ben Salmane (MBS). Une manière aussi de faire oublier la guerre au Yémen, la question des droits de l’Homme après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, ou encore le manque de droits accordés aux femmes.

Mais c’est également une volonté pour Riyad de ne pas se laisser concurrencer par le Qatar, devenu une véritable vitrine du football dans la péninsule arabique. Le petit émirat de 2,6 millions d’habitants (contre 36 millions pour l’Arabie saoudite) a en effet misé sur ce sport dès la fin des années 1990 et remporté en 2010 l’organisation de la Coupe du monde 2022, une des compétitions les plus regardées dans le monde.

La péninsule arabique, avec l’Arabie saoudite et le Qatar.
La péninsule arabique, avec l’Arabie saoudite et le Qatar.

Ce coup de projecteur sur le Qatar a réveillé ses voisins. « Ce qui était pris à la légère et raillé par les autres pays de la région est devenu un vrai sujet d’intérêt. Depuis, l’Arabie saoudite veut montrer que le Qatar n’est pas la seule puissance dans cette zone géographique et cherche à marcher sur ses plates-bandes », explique Carole Gomez.

« L’Arabie saoudite n’a pas besoin de Messi ou de Benzema »

Toutefois, leurs stratégies diffèrent. « Le Qatar était un pionnier et avait tout à construire », rappelle Kévin Veyssière, analyste en géopolitique du sport et fondateur du média en ligne FC Geopolitics, contacté par le HuffPost. L’émirat, très peu connu, avait aussi « peur de se faire manger par l’Arabie saoudite, comme le Koweït avec l’Irak [le premier a été envahi par le second en 1990, NDLR] ».

Pour s’émanciper et gagner en visibilité, le Qatar a d’abord créé Al Jazeera et a investi dans le sport pour organiser des événements sportifs. Plus tard, il a acheté le PSG et ses joueurs-stars, s’est introduit dans les instances de décision, a multiplié les sponsors (par exemple avec Qatar Airways), et a fondé la chaîne Bein Sports. Une stratégie multi-facettes que n’a pas suivie, du moins jusqu’à présent, Ryiad.

« L’Arabie saoudite n’a pas besoin de Messi ou de Benzema pour être un acteur puissant vu son poids diplomatique, cultuel, et économique avec sa production de pétrole. Sa stratégie est donc plus hésitante, plus opportuniste et se fait par à-coups, sans plan précis comme a pu le faire le Qatar », analyse Carole Gomez.

Plusieurs autres stars dans le viseur de Riyad

Le recrutement de Ronaldo, et les potentielles arrivées de Benzema et Messi, montrent-ils un tournant dans la stratégie de l’Arabie saoudite ? « Elle devient plus agressive, monte en puissance. La première fois, on peut penser que c’est un coup d’éclat. Mais la deuxième fois, on ne peut que comprendre que c’est calculé », souligne Carole Gomez. De fait, selon une source interrogée par l’AFP, le Croate Luka Modric, les champions du monde français Hugo Lloris et N’Golo Kanté, ou encore l’Espagnol Sergio Ramos seraient également dans le viseur du royaume.

« Les Qataris sont allés financer les grandes compétitions pour s’appuyer sur des marques. Nous faisons venir les stars chez nous pour remplir les stades saoudiens, avec un public saoudien, et braquer les regards sur le royaume », a de son côté analysé un homme d’affaires saoudien discutant avec la correspondante des Échos à Dubaï, Laura-Maï Gaveriaux.

Dans un article, le New York Times explique cependant que l’Arabie saoudite ne souhaite pas concurrencer la Premier League anglaise ou la Ligue 1. Le but est de s’imposer comme puissance de sport pour, à terme, organiser avec l’Égypte et la Grèce la Coupe du monde de foot 2030. Et même plus tard les Jeux olympiques et paralympiques, le graal pour cette nation en quête de reconnaissance.

Si cet objectif est atteint, « l’Arabie saoudite rattraperait son retard accumulé face au Qatar », assurent Carole Gomez et Kévin Veyssière. De quoi faire perdurer les rivalités entre les deux pays, qui pourraient bien dépasser les frontières du sport.

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