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JEU DÉCISIF - COUPE DAVIS - Des larmes, quoi qu’il arrive…

Jérémy Chardy et Jo Tsonga ouvriront le bal ce vendredi face à Borna Coric et Marin Cilic pour ce France-Croatie des adieux. Que cette finale soit à la hauteur de l’histoire et du prestige de cette épreuve magnifique ! Et dimanche soir, on sortira les mouchoirs.

<em>REUTERS/Pascal Rossignol</em>
REUTERS/Pascal Rossignol

Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle mais Vincent Cognet dans L’Équipe de ce jeudi matin a bien raison : il y a le tennis et la Coupe Davis. Ce sont finalement deux sports différents. D’un côté, le bon élève qui se lave les dents le soir et range sa chambre. De l’autre, le cancre plein de charme qui vit dans le bordel. Il ne s’agit pas d’en préférer un. Mais le monde est bien plus beau avec les deux.

A repenser encore à cette putain de réforme de la Coupe Davis, je me dis qu’elle colle parfaitement à son époque, en fait. Celle du retour d’une bien-pensance certaine où l’on contrôle plus qu’on ne libère. La Coupe Davis, c’est comme un film de Claude Sautet : on s’aime, on se déchire, on pleure, on rit, on se retrouve, on boit, on fume, on roule vite la nuit sous la pluie. Cette nouvelle coupe du monde, appelons-la comme ça, c’est une mauvaise comédie US formatée où tout se passe comme prévu. D’une table étoilée, direction le McDo. Bon appétit.

Ah c’est sûr qu’à Madrid, en terrain neutre, un jeudi après-midi, ce sera un peu moins haut en couleurs qu’un dimanche de vraie Coupe Davis en Amérique du Sud par exemple. Il n’y flottera pas la même pression non plus. La Coupe Davis va mourir sous sa forme actuelle, et avec, ce cocktail d’envie et de peur qui fascinait tant les joueurs. « Il faut y aller une fois pour comprendre » me dit un jour Cédric Pioline qui eut du mal à appréhender cette épreuve avant de devenir un grand joueur de Coupe Davis. Y plonger une première fois, donc. Ensuite, c’est quitte ou double. Certains s’y noient, d’autres s’y révèlent. Ou ne savent plus où ils habitent : j’ai vu un grand joueur français ne pas vouloir y aller… avant de finalement remporter un match énorme face à un crack du circuit. Va comprendre, Charles…

L’argent, cette assurance en trompe-l’œil, le terrain neutre et des matches au meilleur des trois sets, vont gommer une notion qui parfois changeait tout et nous a fait aimer cette épreuve plus que tout : l’irrationnel. La Coupe Davis est une épreuve où ce sentiment est venu à maintes reprises bousculer la logique et rompre les équilibres. Et c’est en cela que Vincent (Cognet) a vu juste, le bougre : la Coupe Davis est bien un autre sport. En tennis, un 240e mondial adepte des surfaces rapides, ne bat pas en cinq manches sur terre battue, après avoir été mené deux manches à rien, un adversaire espagnol vainqueur de Roland-Garros quelques semaines plus tard (à vous de trouver…)… En Coupe Davis, oui !

Quelques semaines après sa victoire dans le match décisif du succès des Bleus en 1996 face à la Suède, Arnaud Boetsch m’avait confié combien ce jour-là, il était dans une sorte d’état second, à la fois noué par l’enjeu mais en même temps porté par l’idée que c’était le jour de sa vie. Boetsch fait partie des joueurs qui plaçaient la Coupe au-dessus de tout, même d’une victoire en Grand Chelem. Ce jour de décembre 1996, à Malmö, lors d’un dimanche interminable, il s’est retrouvé dans la position de tout perdre (trois balles de match en faveur de son adversaire Nicklas Kulti) avant de l’emporter. « Jamais de la vie, je ne gagne ce match sur le circuit. Ce jour-là, j’ai refusé la défaite parce que c’était la Coupe Davis. Je n’oublierai jamais le regard de Yannick avant que je n’aille servir pour tenter de défendre la première balle de match ». Et sans irrationnel, pas de défaite pour les Bleus face à l’Inde dans les Arènes de Fréjus en 1993 et surtout pas d’Henri Leconte en 1991, évidemment. L’histoire est tellement dingue qu’on l’a racontée mille fois, et qu’elle ne s’usera jamais. Elle fait d’ailleurs la Une de notre quotidien préféré ce jeudi matin.

On pourrait multiplier à l’envi les exemples venus de toutes les nations. Allez, un petit dernier pour la route quand même : est-il possible de s’incliner en ayant neuf balles de match, sur son service et dans le même jeu ? Oui. C’est arrivé à Michaël Stich face à Andreï Chesnokov, au cinquième set du cinquième match de la demi-finale 1995, Russie-Allemagne, lors de la rencontre la plus hallucinante à laquelle il m’a été donné d’assister, disputée sur une terre battue transformée en champ de patates en raison d’un arrosage excessif. Il y a de la sauvagerie dans un match de Coupe Davis. On va en faire un colloque de comptables. Les fichiers Excel seront bien remplis, avec tout plein de millions de dollars dans la colonne crédit. Tu veux un Perrier rondelle pour fêter ça ?

Alors pour cette dernière, il n’est pas possible que le scénario soit raplapla, qu’on n’en prenne pas plein les mirettes et les oreilles. Ou alors cette Vieille Dame qu’est la Coupe Davis aura déjà rendu les armes, abattue de savoir qu’elle entre prochainement en maison de repos alors qu’elle aurait voulu continuer à danser pour l’éternité. Non, je veux croire qu’une dernière fois, le suspense et la folie douce vont s’inviter au banquet et que cette ultime représentation sera un feu d’artifice, quel qu’en soit le résultat.

D’ailleurs, en vieux sorcier, Yannick Noah a mis les ingrédients pour : en simple, le vendredi, il a choisi d’aller au bout de sa démarche avec Jo Tsonga, 259e mondial, revenu d’entre les morts, au-dessus duquel planent pas mal d’inconnues, mais dont on sait aussi la détermination revancharde après les finales de 2010 et 2014. Noah a également sorti de sa manche Jérémy Chardy, amateur de terre battue indoor, maître ès gifles en coup droit, très costaud lors des entraînements, laissant ainsi sur le banc -pour le moment- Lucas Pouille, son homme de base. Chardy-Coric, Tsonga-Cilic. Sur le papier, au regard de la forme des uns et des autres ces derniers mois, mieux vaut avoir un maillot rouge et blanc sur les épaules. Mais ce n’est pas du tennis, on vous dit, c’est la Coupe Davis !