JEU DECISIF - Et si la Coupe Davis connaissait son Mai 68 ?

L’avenir de l’épreuve était sur toutes les lèvres lors des quarts de finale. La suite ? Elle est d’abord entre les mains des joueurs qui doivent mener la rébellion. S’il y a bien une vraie volonté collective…

Chacun aura vu le week-end dernier, à Gênes ou à Valence (photo), combien le coeur de la Coupe Davis battait encore très fort. Présent en Italie, David Haggerty, le patron de l’ITF, n’allait pas virer sa cuti sur le simple fait que cet Italie-France, champêtre et animé, a été un succès sur tous les plans. « Si ça se passait chaque fois comme ça, on n’aurait pas eu besoin de changer. C’est excitant de voir toute cette passion, a-t-il expliqué à L’Equipe. Mais la formule dont on parle ne va rien changer à tout ça. C’est un nouveau chapitre, une évolution où les top joueurs vont jouer. Le nouveau format a toutes les capacités de reproduire ce qu’on connaît, sur un lieu unique avec 18 équipes accompagnées de leurs fans, et trois matches garantis pour leur équipe ». Quant à l’ambiance de cette épreuve sans doute disputée en Asie ? « Je préfère me placer dans une perspective à l’échelle mondiale. Pas assez de gens peuvent voir un match concernant une rencontre précise de Coupe Davis. »

On le voit, Haggerty se la joue droit dans ses bottes. Sa vision des choses est dictée par les désormais fameux trois milliards de dollars -sur 25 ans- proposés par le fonds d’investissement Kosmos de Gerard Piqué, une somme qu’on ne balaye pas comme ça d’un revers de main, surtout lorsqu’elle est à destination d’une épreuve « marketingment » en difficultés et parfois trop discrète médiatiquement (les deux sont liés évidemment).

Mais est-il encore possible de changer les choses ? La solution ne viendra pas des Fédérations qui, à quelques exceptions près, vont voter comme un seul homme pour la réforme. Alors ? Seuls les joueurs peuvent encore sauver la Coupe Davis. Vu d’ici, où cette épreuve est une tradition, c’est l’évidence. Vu d’ailleurs, ce n’est pas le même son de cloche, puisque Rafael Nadal, Marin Cilic ou Novak Djokovic, entre autres, se disent favorables à la refonte.

A Gênes, Lucas Pouille a évoqué une éventuelle réunion des joueurs à Madrid ou Roland-Garros. Le numéro un français, très déterminé, va devoir emmener dans son sillage la nouvelle génération. Car ce sont les jeunes qui peuvent et doivent jouer les agitateurs. Ce n’est pas faire offense à Novak Djokovic ou Rafael Nadal de dire qu’ils ne sont pas l’avenir du tennis. Roger Federer, lui, est déjà ailleurs, à gérer sa propre boutique, la Laver Cup. Et puis la Coupe Davis, la vraie, la grande, la belle, celle qui vous hérisse les poils, celle du format « home/away », ils l’ont gagnée. Marin Cilic prétend que 90% des joueurs sont favorables au format Kosmos. A voir. Mais si tel est le cas, il faut que ceux qui croient encore à l’actuelle Coupe Davis s’engagent dans une campagne auprès de leurs collègues, et leur expliquer qu’ils ne vont pas de connaitre les mêmes frissons que leurs ainés. Ce ne serait quand même pas très charitable de laisser les Zverev, Rublev, Shapovalov ou Kyrgios aller « s’éclater » dans un stade aux trois quarts vide ou presque à Hong Kong. Si tant est qu’ils fassent le déplacement.

La rébellion doit donc venir de la jeunesse. Avec un seul mot d’ordre : le boycott et ainsi transformer ce projet en coquille vide, privé, par exemple d’une grande partie des cent meilleurs joueurs du monde. Cela nécessite donc un mouvement de masse, comme on l’a parfois vu dans les sports américains, auquel j’ai toutefois un peu de mal à croire, eu égard au prize-money colossal qui attend les participants.

A ce genre d’action, il faut aussi un leader capable d’échanger, de fédérer et de ferrailler. Particulièrement remonté contre la réforme, Lleyton Hewitt, joueur emblématique unanimement respecté, devenu capitaine de l’équipe d’Australie, pourrait être celui-ci (même si sa Fédération joue un double-jeu en collaborant avec le projet concurrent de l’ATP, vous suivez ?). Ce pourrait être Yevgeny Kafelnikov lui aussi très radical sur le sujet. Mais oui, seule l’annonce d’une future grève massive de l’épreuve pourrait contraindre Kosmos et l’ITF à revoir leur copie.

Mais attention, il ne s’agit pas de chasser Kosmos, mais bien de faire comprendre à ses dirigeants que leur vision des choses n’est pas celle des joueurs (a priori) et qu’il peut exister d’autres solutions afin de faire perdurer cette épreuve autrement sans la dénaturer. Bernard Giudicelli, président de la FFT et chairman de la Coupe Davis à l’ITF, a même déclaré à Gênes : « il y a des choses qui peuvent évoluer encore. Ne prenez pas encore comme argent comptant le projet. Les choses évoluent. On verra ce qui peut sortir lors de l’assemblée générale en août ».

On peut donc être un défenseur acharné du principe « home/away » et reconnaitre qu’il faut néanmoins redynamiser la Coupe Davis. En vrac, quelques idées : compétition sur deux jours type Fed Cup ? Vainqueur et finaliste directement qualifiés pour les quarts de finale ? Passage aux deux sets gagnants (une hérésie à mon avis mais s’il faut en passer par là, en gardant par exemple la finale en trois sets gagnants) ? Compétition jouée tous les deux ans ou sur deux ans ? Revenir au Challenge Round avec le vainqueur qualifié pour la finale l’année suivante. Re-introduction de points ATP ? Réduction du Groupe mondial à huit équipes au lieu de seize et ainsi diminuer le nombre de rencontres dans l’année ? Place plus adaptée dans le calendrier sans le premier tour et les demi-finales juste après des Grand Chelem…

Et puis surtout, il faut balayer une idée reçue : les tout meilleurs ne disputent pas assez la Coupe Davis. C’est faux. Regardez les stats du Big Four tout au long de leur carrière. C’est assez remarquable et ils l’ont tous gagnée au moins une fois. Alors bien sûr, les sponsors et la télévision aimeraient pouvoir bénéficier de la présence des stars du jeu de façon plus récurrente. Dès que sur un week-end, on se retrouve avec quelques absences conjuguées de joueurs du Top 10, on nous rejoue le refrain de la crise, que cette épreuve n’intéresse plus personne, etc… A force, cette petite musique s’est installée. Je veux croire que ces absences ponctuelles ne sont pas un drame parce que la force de cette épreuve – son histoire, l’idée de nation, l’enjeu- est au-dessus de ça (mais peut-être suis-je trop romantique). Si on aime le tennis, un cinquième match de Coupe Davis, quels qu’en soient les acteurs, demeure quelque chose à part.

Et puis, l’autre force de la Coupe Davis est qu’elle sera toujours un événement majeur localement, et donc une formidable promotion pour le tennis. C’est l’occasion pour nombre de villes dans le monde, privées de tennis de haut-niveau, d’accueillir un rendez-vous de premier plan. Et pour rester franco-français, l’arrivée des Bleus dans les régions tourne toujours à la fête. La refonte gommerait évidemment cette notion capitale en concentrant l’épreuve, au moins pour le groupe mondial, dans une seule ville par an.

Je le disais, c’est donc aux joueurs de se retrousser les manches. Et vite, car le vote de l’assemblée générale de l’ITF est prévu pour août prochain. Sont-ils assez nombreux pour secouer le cocotier ? Peuvent-ils trouver le temps de le faire ? A moins que l’ITF et Kosmos, doublés par le projet d’épreuves par équipes de l’ATP, identique au leur en terme de format, ne soient contraints de faire machine arrière… On peut toujours rêver…