JEU DECISIF - COUPE DAVIS - Nous nous sommes tant aimés

Comment se résoudre à voir la Coupe Davis, ce concentré de passions et d’émotions, devenir une autre compétition ? Eh oui, le coeur à ses raisons que la raison ignore…

Comme l’an passé lors du quart de finale face à la Grande-Bretagne à Rouen, ni Jo-Wilfried Tsonga, ni Gaël Monfils, ni Richard Gasquet et ni Gilles Simon ne feront partie de l’équipe de France qui va aller défier l’Italie à Gênes à partir du 6 avril.

Depuis 2005, c’est simplement… la deuxième fois qu’au moins un de ces quatre joueurs ne fait partie des sélectionnés en équipe de France. C’est dire leur poids dans l’histoire des Bleus depuis presque 15 ans, une histoire longue, agitée, terminée (ou pas encore, on va voir…) par la conquête du Saladier l’an passé.

Leurs absences conjuguées avant ce déplacement en Italie, pour blessure, méforme ou friture sur la ligne avec le capitaine Yannick Noah, sont circonstancielles mais commencent aussi à dessiner les contours d’un changement de génération. En tout cas, ces défections tombent surtout à un moment charnière.

Vous le savez, la Coupe Davis est en train de vivre une drôle de révolution et va sans doute devoir adopter un changement de formule radical, conséquence d’une guerre entre l’ATP et l’ITF. Et je réalise tout à coup que si la course au Saladier d’Argent devient une sorte de Coupe du Monde avec toutes les équipes réunies en un même lieu sur une dizaine de jours dès 2019, nous pourrions donc vivre, dans une semaine, notre toute dernière « vraie » rencontre de Coupe Davis avec l’équipe de France, pour peu que les Bleus s’inclinent en Italie, ce qui est largement du domaine du possible. On pourrait donc ne plus jamais voir Tsonga & Cie en Coupe Davis « vieille » formule. Eh ouais !

Rien que d’y penser, j’en frissonne déjà. La Coupe Davis est le fil rouge de ma passion pour le tennis, démarrée au milieu des années 70 par la lecture de Tennis Magazine où les compte-rendus consacrés « à la Davis » me faisaient rêver. Et pas seulement ceux consacrés à l’équipe de France, telle par exemple, la finale Chili-Italie en 1976, remportée par Adriano Panatta et les siens sur la terre battue de Santiago. En 1982, je suis pensionnaire et nous n’avions pas eu cours le vendredi après-midi afin de pouvoir suivre sur une veille télévision installée dans le réfectoire, le premier simple de la finale 1982 entre la France et les USA : Noah-McEnroe. Souvenir inoubliable. Chacun se rappelle où il se trouvait un certain week-end de décembre 1991.

Depuis, le lien ne s’est jamais rompu, bien au contraire, puisque nombre de rencontres de Coupe Davis sont désormais en bonne place parmi mes plus beaux souvenirs professionnels comme les victoires de la France face à la Suède à Malmö ou à Melbourne contre l’Australie. Avant d’avoir l’opportunité de filmer l’équipe en coulisses en 2009 et d’ainsi passer de l’autre côté du rideau.

Je me permets de parler de moi car la Coupe Davis touche d’abord à l’intime des passionnés. Parce que son histoire, sa formule originelle, son ambiance à nulle autre pareille, ses embrouillaminis à répétition, ses surprises, ses matches de légende par dizaines, et le fait bien sûr qu’il y soit question du drapeau, lui ont donné une patine unique qui nous touche au coeur. Quiconque a assisté un jour à une rencontre de Coupe Davis sait de quoi je parle. C’est pour ça qu’on l’aime tant.

Alors, oui, l’idée que tout cela va disparaitre me peine profondément. Je veux bien entendre tous les arguments économiques du monde pour expliquer cette mise à jour, qu’il faut vivre avec son temps, qu’elle n’est plus adaptée aux exigences du circuit d’aujourd’hui et des vedettes, etc… etc… Soit. Mais c’est juste oublier, qu’au-delà du jeu lui-même, c’est son format, unique, qui a fait son succès : un feuilleton (quatre rendez-vous dans l’année depuis 1981) avec des épisodes au long cours, grâce aux matches en cinq manches et ces trois jours de compétition, un temps long finalement, propice à tous les rebondissements. Ce sont donc ces racines-là que l’on est en train d’arracher. Et sans racines…

Alors soyons constructifs et optimistes. Puisqu’il faut visiblement en passer par-là, allons-y. Voyons. Jugeons sur pièce. Et si cette Coupe Davis « reloaded » ne fonctionne pas, l’ITF et ses richissimes partenaires financiers seront contraints de faire machine arrière et de revenir à une formule proche de celle d’aujourd’hui. A l’échelle de son histoire plus que centenaire, la Coupe Davis peut tout fait survivre à deux ou trois éditions made in Coupe du Monde par équipes. Ça ne sera même qu’une péripétie finalement.

Il va donc falloir profiter pleinement de cet Italie-France. Et puis croisons les doigts pour que Jérémy Chardy, Lucas Pouille, Adrian Mannarino, Pierre-Hughes Herbert et Nicolas Mahut s’imposent dans la cocotte minute du stade Valletta Cambiaso de Gênes. Histoire de continuer à être invités à la grande table, encore une fois ou deux. Pour le McDo, on verra plus tard…