JEU DÉCISIF - Jean-François Caujolle : « La Next Gen devra attendre que Djokovic, Nadal et Federer posent la raquette… »

Observateur avisé du circuit, le patron de l’Open 13 de Marseille, dont le coup d’envoi est donné ce lundi, livre ici son sentiment sur la Next Gen. Une génération à laquelle il a souvent ouvert les portes de son tournoi.

Denis Shapovalov, l’une des attractions de cet Open 13 et une des figures les plus attendues de la Next Gen. (<em>Photo : EFE/EPA/KOEN VAN WEEL</em>)
Denis Shapovalov, l’une des attractions de cet Open 13 et une des figures les plus attendues de la Next Gen. (Photo : EFE/EPA/KOEN VAN WEEL)

Vous qui aimez mettre en avant les jeunes joueurs, quel regard portez-vous sur cette génération qui tarde brille souvent sur le circuit ATP mais tarde à s’affirmer en Grand Chelem ?
La Next Gen, ce sont des jeunes. Et ce qu’il manque à la jeunesse, par définition, c’est la maturité, la sagesse et un peu plus de constance. Au-delà des Grand Chelem, on voit qu’ils peuvent faire de supers semaines en « 250 », « 500 » ou « 1000 », comme gagner des tournois mais on voit aussi qu’ils peuvent perdre au premier tour de chacune de ces catégories de tournois. Ce qu’il manque, c’est un niveau général. Ils ont un potentiel de top 10 -il y en a qui y sont ou sont à la porte-, et peuvent battre n’importe qui. OK. Mais en Grand Chelem, c’est un autre problème. Car c’est un autre tennis, au meilleur des cinq sets. Il faut y arriver dans la pleine capacité de ses forces physiques. A part Nadal, qui a été assez exceptionnel dans ce domaine, les autres joueurs obtiennent plus tard leur plénitude physique. Et ils doivent aussi comprendre le travail qu’il faut accomplir pour l’obtenir. Je ne suis donc pas surpris par cette situation. Hyeon Chung qui, lui, a une grosse étoffe physique et qui a eu des problèmes de blessures, est peut-être le joueur le mieux armé pour aller loin dans les tournois en cinq sets. Il s’est d’ailleurs hissé en demi-finales l’an passé en Australie. Pour moi, il y a donc vraiment deux circuits, deux tennis : il y a les joueurs du circuit ATP et les joueurs de Grand Chelem, comme Stan Wawrinka par exemple, qui en est le prototype, un joueur exceptionnel sur les longues durées, avec une force physique incroyable. Andy Murray aussi en était un prototype. Les joueurs de la Next Gen vont gagner en maturité et se renforcer physiquement et seront certainement plus forts dans les Grand Chelem. Sauf que tant qu’il y a Federer, Nadal et Djokovic, je ne vois pas grand monde pour les déloger.

Justement, la Next Gen prendra-t-elle un jour le pouvoir ou tous ces jeunes devront-ils patienter jusqu’à la retraite du trio magique ?
Ils devront attendre que ces trois-là posent la raquette. Je ne vois pas qui va y arriver. Les joueurs comme Nadal, Djokovic ou Federer deviennent très forts à partir des quarts de finale ou demi-finales en Grand Chelem. Et comme ils ont rarement été inquiétés dans les premiers tours, ils y arrivent avec plus de fraicheur. C’est donc très compliqué pour leurs adversaires. On a une génération qui déphase un peu tout, trois extra-terrestres. Tout a été pipé, les repères ne sont plus les mêmes. Un Shapovalov qui a un jeu exceptionnel, que l’on compare souvent à John McEnroe, n’a pas encore l’assise d’un McEnroe justement, qui avait un schéma de jeu très précis, ce que n’a pas encore le Canadien. Zverev, je peux le comparer à un Ivan Lendl, mais il n’a pas la même puissance physique et mentale. Chung, on peut le comparer à Mats Wilander ou à Michael Chang, mais il lui manque aussi un petit quelque chose. Ce petit quelque chose, l’aura-t-il un jour ? Tsitsipas, c’est un super joueur, mais il est encore friable. Non, je ne vois personne déloger les Djokovic, Nadal ou Federer, tant qu’ils seront là.

Quel est celui que vous préférez regarder jouer ?
J’aime les jeux excentriques. Nick Kyrgios est celui que je préfère, même s’il n’est plus tout à fait dans la Next Gen. Il y a aussi Felix Auger-Aliassime et Denis Shapovalov. Mais j’aime bien aussi le tennis de Chung avec son jeu de métronome. Stefanos Tsitsipas a un revers super intéressant. Les deux jeux auxquels je m’identifie le moins sont ceux de Borna Coric et Sasha Zverev. C’est moins fantasque. Ce n’est qu’un goût personnel. Ce n’est pas un jugement sur le joueur. Shapovalov, par exemple, on se demande ce qu’il va faire quand il va taper la balle. Et souvent, il réalise le coup que l’on n’attend pas.

Celui qui a le plus grand avenir ?
Difficile à dire. Le plus facile, c’est d’arriver à être numéro 7 ou 8 mondial, bien que ce soit évidemment très très difficile. Quand je vois l’abnégation, le professionnalisme, la détermination des Federer, Nadal ou Djokovic, même d’un Cilic ou d’un Del Potro, la souffrance qu’ils ont endurée pour y arriver, je me demande comment les jeunes vont réagir face à ça ? Sur la route du sommet, il y a des paliers. Kyrgios n’a toujours pas passé le premier stade de la souffrance ou du professionnalisme. Shapovalov vient, à peine, de passer le premier stade, il n’a pas encore passé le deuxième. En revanche, Chung a passé le troisième ou le quatrième, Coric aussi. Le Croate est d’ailleurs celui qui a le degré le plus élevé de professionnalisme. Il y a donc plusieurs écueils à franchir et on voit, à chaque fois, s’il y a une limite physique, tennistique ou mentale pour le joueur en question. Et là-dessus, pour l’instant, aucun des joueurs cités n’a encore passé tous ces échelons.

Parmi cette Next Gen, un Français ne cesse de progresser : Ugo Humbert. Quel regard porte le gaucher Caujolle sur ce nouveau gaucher pour le tennis français ?
Je le trouve très intéressant. Je ne lui mettrais pas de limite justement. Il y a des joueurs que l’on attend et qui sont prévisibles finalement. A l’inverse, Humbert, je le lui trouve un horizon élargi. Alors peut-être qu’on découvrira dès la fin de cette année qu’il y a une limite, mais pour l’instant, je ne la vois pas vraiment. Il a de la fraicheur, des coups performants. Et j’aime bien les joueurs qui ont des coups inattendus…

Un mot sur le tableau de cet Open 13, cru 2019 ?
J’ai dit que j’étais comme Thomas Tuchel quand il a appris qu’il n’aurait ni Neymar ni Cavani pour affronter Manchester United. Il a dit, « ce n’est pas grave, on va jouer » et il a démontré que son équipe était très forte même sans ses deux joueurs phares. Nous, nos deux joueurs phares, Murray et Karen Khachanov, on les a perdus, mais malgré tout, il y a un tableau très très dense. Si on prend les chiffres, on n’a jamais eu un tableau en classement aussi faible sur les huit têtes de série. La tête de série Une n’est pas top 10, bon il est 12e (Tsitsipas), on a seulement deux gars dans les vingt premiers, ce n’est jamais arrivé dans l’histoire du tournoi. Il y a le cas de Jo Tsonga, qui est un vrai top 10, ou celui de Goffin, top 10 en puissance, ou Gaël Monfils, un extra-terrestre, que je place dans une catégorie à part des joueurs de tennis. Avoir Gaël dans un tableau, c’est un pur plaisir pour moi. Je suis d’ailleurs un des rares organisateurs à être comme ça, parce qu’avec Gaël, on peut s’attendre au meilleur comme au pire. Mais le pire n’est jamais sûr, et s’il advient, on y est préparés. Je crois donc qu’il y aura du plaisir cette semaine. J’ai parfois eu des tableaux plus forts en nom ou en classement. Mais ils ne m’avaient pas forcément procuré beaucoup de plaisir…