JEU DÉCISIF - Mauresmo ou le sens de l’histoire…

L’équipe de France de Coupe Davis s’est trouvé un(e) capitaine de choc : Amélie Mauresmo. Pouvait-il en être autrement ? Non. Et c’est tant mieux.

Donc, Amélie Mauresmo est une femme. Et donc, Amélie Mauresmo va diriger l’équipe de France masculine de tennis. Sonnez hautbois, résonnez musettes ! Mais si notre société était réellement avancée, nous ne serions pas en train de nous féliciter d’un tel événement simplement en raison de la nature des chromosomes de l’intéressée. Ce qui devait être la normalité ne l’est pas encore, mais positivons: en cette année où la voix des femmes se fait bien mieux en entendre en Occident, la FFT, d’une certaine manière, s’est mise au diapason en offrant à l’ex-numéro un mondiale les clefs du camion bleu. L’audace est rarement l’apanage des institutions sportives, ces temples du conservatisme. Alors, lorsque c’est le cas, applaudissons.

Mais le tennis n’est pas une histoire de gênes. Le plus intéressant dans cette nomination n’est pas qu’Amélie soit une femme mais bien qu’elle est la plus qualifiée pour ce poste. Inutile de vous rappeler son palmarès, le plus étincelant pour un joueur ou une… joueuse française dans l’après-guerre. Mauresmo, notre Suzanne Lenglen de l’ère moderne, gagnante à Wimbledon en 2006, 81 ans après la Divine. Amélie s’inscrit une fois encore dans les traces de sa prestigieuse devancière qui, sans avoir été capitaine ou entraîneur des Mousquetaires des années trente, en fut l’inspiratrice. Pour Lacoste, Borotra & Cie, gender était déjà over.

La réussite d’Amélie Mauresmo, malgré son talent athlétique et tennistique, est marquée par le sceau de l’exigence et du travail. Et surtout par une victoire sur la gestion des émotions, expression un peu tarte à la crème dans le sport certes, mais qui n’est pas rien quand on parle de tennis. Plus qu’une belle frappe en coup droit ou de l’intelligence tactique, réussir à maîtriser ses nerfs, « avoir de l’estomac » comme aime à le dire Jean-Paul Loth, est la condition sine qua non de la réussite. Dans ce domaine, plus prégnant encore en équipe de France, « Amé » en connait un rayon. Ce fut le fil rouge de sa carrière, même si elle n’a jamais réussi à le démêler à Roland-Garros.

On ne sait pas de l’extérieur combien la pression est forte en Coupe Davis, cette épreuve par équipes qui repose, par la nature même de ce jeu, sur des individualités. Un(e) capitaine ou un(e) coach capable de faire progresser mentalement son ou ses protégés naviguera toujours loin. Voilà qui n’avait pas échappé à Andy Murray, le premier à s’attacher les services de celle qui allait également emmener l’équipe de France de Fed Cup, alors au bord d’une descente en troisième division, jusqu’à la finale du groupe mondial.

Je crois l’avoir déjà raconté ici même -il y a très longtemps- mais en 2010 j’avais eu le privilège, pour les besoins d’une film, de voir Amélie en action lors de la finale face à la Serbie à Belgrade. Avant le dernier simple décisif, elle s’était glissée dans le vestiaire pour discuter avec celui qui devait entrer en piste : Michaël Llodra. Très tendu, Mika cherchait des sources de réconfort par tous les moyens. Leur conversation, intime et loin du tennis, m’avait montré combien Amélie savait, et sans doute aimait, travailler cette matière protéiforme et mystérieuse de la psychologie humaine.

C’est en capitaine d’une Coupe Davis à l’ancienne que j’aurais aimé voir Mauresmo évoluer. Le très probable changement de format, qui n’avait pas ses faveurs rappelons-le, va donc la contraindre à disputer une épreuve démonétisée de son intérêt sportif et historique, mais pas de ses dollars. Son apport sur une simple semaine de compétition à la toute fin de chaque saison, ne sera pas forcément aussi significatif qu’il aurait pu l’être. Même si son champ d’action est élargi à l’encadrement olympique, comme celui de son alter ego en Fed Cup Julien Benneteau, Mauresmo a bien conscience qu’elle va devoir « réinventer ce poste ». Presque une page blanche et une nouvelle histoire à écrire. A l’heure où l’on s’interroge sur l’avenir de notre haut niveau, ce n’est pas la plus mauvaise des nouvelles…