JEU DECISIF - Nadal et Djokovic face à leur conscience

L’Espagnol et le Serbe doivent-ils aller disputer une exhibition en Arabie Saoudite fin décembre, alors que l’actualité la plus sombre rattrape ce pays ?

La politique s’est souvent invitée à la table du monde sportif. Elle vient encore de le faire, de façon très discrète pour l’instant, et le tennis est concerné. C’est du côté de l’Arabie Saoudite qu’il faut regarder pour comprendre de quoi il retourne. Il y a quelques jours, le 7 octobre dernier, le « General Sport Authority » d’Arabie Saoudite a annoncé la présence de Rafael Nadal et Novak Djokovic à leur tournoi exhibition du 22 décembre prochain.

L’annonce de la participation, à ce tournoi de pré-saison, des deux meilleurs joueurs du monde est tombée, comme le rappelle The Gardian ce jeudi matin, au lendemain d’une autre nouvelle concernant l’Arabie Saoudite, bien plus importante et surtout bien plus grave : celle de la disparition de Jamal Khashoggi, figure du journalisme dans ce pays, notamment éditorialiste au Washington Post, et surtout critique virulent depuis des années de la politique menée par ce royaume du Golfe. Le journal américain vient d’ailleurs de publier sa dernière chronique : « Ce dont le monde arabe a le plus besoin, c’est de la liberté d’expression. »

On le sait maintenant, alors que l’enquête avance, ainsi que par le biais d’enregistrements, Khashoggi, entré au consulat de son pays à Istanbul pour des démarches administratives, n’en est jamais ressorti. Selon les révélations de la presse turque, le journaliste a bien été kidnappé avant d’être torturé et démembré à la scie au sein même des locaux du consulat. On se croirait dans un mauvais film noir mais c’est bel et bien la réalité. Pour qui connait parfaitement le mode de fonctionnement de cette monarchie, cette mise à mort porterait la marque du prince héritier Mohammed Ben Salman, véritable souverain bis, dont l’un des proches collaborateurs a d’ailleurs été identifié sur des images par le New York Times, et connu pour ses méthodes expéditives et radicales.

Face à cette situation, est-il possible pour Nadal et Djokovic de faire comme si de rien était, d’aller taper tranquillement la balle à la King Salman Tennis Cup et de prendre leur chèque à rallonge ? Depuis cette tragédie, on ne compte plus les défections enregistrées au « Future Investment Initiative », colloque économique où l’Arabie Saoudite, et plus particulièrement Mohammed Ben Salman, invite le monde à célébrer son virage vers une modernité nouvelle. Prévu la semaine prochaine, ce « Davos saoudien » sera notamment boudé par la France et le ministre de l’économie Bruno Le Maire, initialement annoncé à ce grand raout.

Pour les deux joueurs, le problème se pose dans les mêmes termes. Même si les sportifs ne sont pas responsables de la marche du monde, ils sont porteurs d’une image, de valeurs, qui sont évidemment incompatibles avec un régime se livrant à de pareilles atrocités. L’Espagnol et le Serbe s’affichent en humanistes depuis toujours, comme Nadal vient encore de le montrer en allant aider les victimes des inondations sur son ile de Majorque.

Dans ces conditions, il serait d’un cynisme achevé de voir les deux champions se rendre à Jeddah, théâtre de cette épreuve. On le sait, le sport est l’un des moyens de propagande des pays de la péninsule arabique afin de ripoliner leur image, disons, brouillée, pour rester sobre. Beaucoup -pays, clubs, villes, fédérations- savent qu’ils flirtent parfois avec la ligne jaune en acceptant les massifs investissements venus du Golfe. Mais avec cet assassinat, la marche de l’inacceptable a été franchie. Djokovic et Nadal, ces mecs biens, doivent une nouvelle fois montrer qu’ils sont conscients du monde qui les entoure. S’exprimer rapidement sur ce sujet. Et prendre la seule décision qui s’impose….