JEU DÉCISIF - Roland Garros ? C'est un champion de tennis, non ?

Lors du prochain Roland-Garros, on célébrera en grandes pompes le centenaire de la disparition de celui qui a donné son nom au stade des Internationaux de France. Mais savez-vous qui est ce Monsieur Garros ? Un champions des airs, moins de la terre…

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Allez-y ! Faites le test autour de vous : demandez qui est ce dénommé Garros et pourquoi diable on a donné son nom à un stade de tennis ? Sans surprise, vous vous retrouverez avec une assez forte majorité pour vous répondre : Bah, champion de tennis ! Ce n’est évidemment pas le cas, ça serait trop simple. Car c’est l’une des originalités du site des Internationaux de France : Roland Garros n’est en rien relié au tennis, si ce n’est par un fil assez ténu. Celui d’avoir été l’ami d’un des bâtisseurs du stade.

Rewind : Paris 1927. Dans moins d’un an, la capitale va accueillir la finale de la Coupe Davis puisque les désormais Mousquetaires (Jean Borotra, René Lacoste, Henri Cochet et Jacques Brugnon) ont, à Philadelphie, dépossédé les Américains, détenteurs du trophée depuis six ans. A l’époque, prévaut le Challenge Round : le vainqueur est automatiquement qualifié pour la finale de l’année suivante. La probable revanche mérite donc un écrin à la hauteur.

Dans les années 20, le Stade Français et le Racing Club de France sont les haut-lieux du tennis à Paris et accueille en alternance ce que l’on appelle alors les Championnats de France Internationaux. Haut-lieux certes mais bien trop exiguë par rapport à l’engouement probable de cette finale. Il faut donc trouver un nouveau site et construire une enceinte d’au moins 10 000 places, voire plus. Le tout en moins d’un an !

Cette mission, véritable contre-la-montre, est attribuée à Émile Lesieur, Président du Stade Français, et Pierre Gillou, son homologue au Racing. Les deux grands clubs parisiens, qui avait chacun déposé un dossier suite à l’appel d’offres de la Ville de Paris, s’unissent finalement. Mais Lesieur pose une exigence : la nouvelle construction portera le nom de Roland Garros, son camarade de promotion à HEC en 1908, et qui l’avait parrainé pour entrer au Stade Français. « Je ne sortirai pas un sou de mes caisses si on ne donne pas à ce stade le nom de mon ami Garros » aurait-il déclaré. Condition acceptée.

Vu de l’extérieur, le choix peut surprendre. Roland Garros n’a quasiment pas pratiqué le tennis même si c’est un sportif accompli. Dans sa jeunesse, il s’est distingué en football, rugby ou cyclisme, la pratique du vélo lui permettant même de recouvrer des capacités respiratoire affaiblies par une pneumonie à l’âge de 12 ans.

Mais pour ce garçon né à Saint-Denis de la Réunion le 6 octobre 1888, diplômé de HEC donc, créateur d’entreprise à 21 ans -une concession automobile non loin de l’Arc de Triomphe- le choc de sa vie a lieu en août 1909. Invité en Champagne par un ami, il assiste à son premier meeting aérien et tombe totalement sous le charme de ces folles machines. Comme Garros ne fait jamais rien à moitié, il s’achète immédiatement un appareil, apprend à le piloter tout seul, puis passe ensuite son brevet.

Deux ans après la naissance de cette passion dévorante, le voilà qui bat déjà un premier record record d’altitude, 6 septembre 1911, avec 3 910 mètres, après avoir décollé de la plage d’Houlgate. Puis les courses et les meetings aériens s’enchainent. Garros étonne par son audace et son inventivité. Il devient très vite une vedette de la discipline. On se presse par centaine de milliers en Europe comme en Amérique du Sud pour assister à ses évolutions.

Roland Garros voit plus grand encore et veut survoler les mers. Il se lance un nouveau défi : traverser la Méditerranée, du jamais vu à l’époque. Le 23 septembre 1913, il va relier Saint-Raphaël à Bizerte sur son monoplan Morane-Saulnier (photo). Une épopée de près de huit heures. Parti à 5h47, avec son bord 200 litres d’essence et de 60 litres d’huile de ricin, Garros, malgré deux pannes que ce génie de la mécanique réussit à régler rapidement, se pose en Tunisie à 13h40 après avoir parcouru quelque 780 kilomètres. Il lui reste… cinq litres de carburant. Cet exploit fait de lui l’un des chouchous du tout Paris. Jean Cocteau, entre autres, devient son ami. Le poète et cinéaste, que Garros fait parfois voler, lui dédiera même un texte, « Le Cap de Bonne Espérance ».

Dès lors qu’éclate la première guerre mondiale, ce pianiste émérite s’engage. A l’époque, l’armement des aéronefs est quasi nul ou presque. L’âme de précurseur de Roland Garros va une nouvelle fois faire la différence : il met au point le premier chasseur monoplace doté d’une mitrailleuse tirant à travers l’hélice. Une révolution.

Début avril 1915, le sous-lieutenant Garros enregistre trois victoires consécutives en quinze jours mais il est touché par la DCA allemande au-dessus de la Belgique. Contraint de se poser, il est fait prisonnier avant d’avoir pu mettre le feu à son avion. Son invention est donc tombée entre les mains de l’ennemi. Qui saura s’en inspirer.

Il faut attendre trois ans avant que cette forte tête ne réussisse à s’échapper, grossièrement déguisé en officier allemand. Mais la captivité a sérieusement dégradé sa santé. Il est notamment rattrapé par sa myopie et doit se faire confectionner des lunettes en cachette afin de conserver le droit de piloter. Même si Clémenceau veut le garder auprès de lui comme conseiller, Garros l’obstiné repart au combat. Son audace, cette fois, lui sera fatal : il est abattu le 5 octobre 1918 au dessus des Ardennes non sans avoir gagné un quatrième duel.

Alors, oui, Roland Garros a effectivement entretenu des liens éloignés avec le tennis. Mais peu de stades dans le monde porte le nom d’un homme ayant fait preuve d’autant de volonté, d’intelligence, d’inventivité et bien sûr de courage. Autant de qualités qu’il faut à ceux qui visent le titre suprême Porte d’Auteuil…

PS : Une cérémonie rendant hommage à l’aviateur Roland Garros se déroulera en préambule de la finale du simple messieurs, le dimanche 10 juin. Elle aura comme point d’orgue le passage de la Patrouille de France et de l’escadrille des Cigognes juste au-dessus du stade Roland-Garros. L’escadrille des Cigognes, composée actuellement de Mirage 2000, est l’une des plus célèbres unités aéronautiques de l’armée française. Celle-ci s’était notamment illustrée lors de la première Guerre mondiale, où elle comptait parmi ses pilotes un certain… Roland Garros.