Jeux Olympiques Tokyo 2021 : les athlètes de haut niveau ont-ils tout dans les muscles et rien dans la tête ?

Selon une étude, le footballeur espagnol Andrés Iniesta ferait partie des 0,1% des personnes les plus intelligentes de la planète (Photo : David Ramos/FIFA via Getty Images)

Selon un cliché tenace, le QI des athlètes de haut niveau serait souvent inversement proportionnel à leurs statistiques sportives. Mais le haut du panier du cardio est-il aussi bas de plafond que sa réputation le laisse entendre ? Pour le savoir, une exploration du cerveau des costauds s’impose…

“C’est beau ce stade Vélodrome qui est toujours plein à domicile comme à l’extérieur”, “Il ne faut pas brûler la peau de l’ours avant de l’avoir vendue”, “C’est la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres”, “Il faut qu’on parvienne à plus jouer dans les intervaux”, “C’est nous qu’on a gagné”… Par égard pour eux, nous nous garderons de citer le nom des auteurs de ces petites perles, qui sortent ponctuellement de la bouche des sportifs de haut niveau. Autant d’outrages au bon sens - ou à la grammaire - qui ont contribué, au fil du temps, à jeter le discrédit sur les aptitudes intellectuelles de l’élite de la transpi (munie ou non de crampons).

L’érudition de Socrates, l’ancien capitaine mythique de la Seleçao, les causeries footballistico-existentialo-prophétiques de Marcelo Bielsa, les diplômes du rugbyman Thierry Dusautoir (ingénieur), du tennisman Mario Ancic (droit), le master en marketing du céiste Tony Estanguet : les contre-exemples se ramassent à la pelle. Pourtant, rien n’y fait. Dans l’imaginaire collectif, les sportifs ont “une grosse flaque d’eau dans le cerveau, et on l’entend quand ils toussent”, pour paraphraser l’illustre Monsieur Manatane. Le procès, souvent expéditif, est pour le moins injuste. S’il arrive en effet qu’ils malmènent la syntaxe ou présentent quelques lacunes en histoire-géo, les grands champions n’en possèdent pas moins un cerveau remarquable.

Ainsi depuis plusieurs années, de nombreuses études sont-elles venues mettre en évidence leurs aptitudes hors norme. L’une d’elles, menée par les chercheurs de l’Institut Karolinska en Suède et publiée dans la prestigieuse revue scientifique Plos One, a révélé les différences entre les capacités cognitives des joueurs de la Ligue 1 suédoise de football et ceux de la Ligue 2. Résultat de l’étude : les membres de l’élite scandinave du ballon rond sont bien plus performants que leurs homologues de l’étage du dessous.

Iniesta, ce génie

Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe de chercheurs dirigée par le psychiatre Pedrag Petrovic a fait passer une série de tests à l’ensemble de la gente à crampons. “Il s’agit de tests de contrôle cognitif (ou de fonctions exécutives), éclaire Mathias Pessiglione, chercheur en neurosciences, et coresponsable de l’équipe Motivation, cerveau et comportement de l’Institut du Cerveau. Ces tests sont très utilisés en clinique, notamment en neurologie, pour mesurer les atteintes au cerveau. Mais ils peuvent aussi servir à mettre en lumière la capacité des sujets à réguler des réflexes de “bas niveau’’. Ils évaluent des facultés comme la flexibilité mentale, l’attention spatiale, ou encore la mémoire de travail.” Et à ce petit jeu-là, certains footballeurs ont obtenu des résultats époustouflants.

“Après avoir publié son étude sur les joueurs de foot suédois, Petrovic a été invité par le Barça pour tester tous les joueurs du club, raconte Mathias Pessiglione. A l’époque, les meilleurs scores ont été obtenus par les milieux de terrain Xavi et Iniesta. Sur une distribution de la population mondiale découpée en millièmes, Xavi figurait dans le dernier centième parvenant aux scores les plus élevés. Quant à Iniesta, il se situait dans le dernier millième.” Des prouesses qui ne surprennent pas outre mesure le chercheur : “Quand on regarde le profil de ces joueurs, cela paraît assez cohérent. Ceux qui l’ont vu jouer savent qu’Iniesta était un formidable chef d’orchestre. Il pouvait par exemple faire des passes aveugles sans difficulté, comme si son cerveau était capable d’analyser à tout instant la position et le mouvement des joueurs sur le terrain.”

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Contrôleurs aériens ou milieu de terrain ?

Etre capable d’assimiler un grand nombre d’informations entrantes et sortantes, opérer un traitement approprié et trouver des solutions dans un laps de temps réduit : tel est le secret du cerveau de l’ancien maître à jouer du Barça, version grand cru classé 2009. Des aptitudes qui ne servent pas uniquement, bien sûr, à empiler les trophées. “Les contrôleurs aériens sont très éloignés des terrains de foot, mais les facultés qu’ils mobilisent sont équivalentes, confirme le chercheur. Ils doivent connaître la position de tous les avions dans le ciel, gérer le trafic et communiquer efficacement et rapidement. En définitive, ils ont le même genre de cerveau que les grands milieux de terrain de football.”

Toute médaille ayant son revers, le cerveau des grands sportifs est sujet aux mêmes maux que ceux qui affectent les cadres supérieurs surmenés. Un phénomène que l’équipe de Mathias Pessiglione étudie d’ailleurs de près. L’an dernier, les chercheurs de l’Institut du Cerveau ont ainsi répondu à l’invitation de l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Objectif : élucider le mystère du syndrome de surentraînement, sorte de burn-out qui affecte particulièrement les athlètes pratiquant des sports d’endurance.

Pour l’expliquer, Mathias Pessiglione et ses collaborateurs ont émis l’hypothèse d’une fatigue cérébrale. “Dans ces sports, il arrive forcément un moment où les muscles, les articulations deviennent douloureux. Le réflexe de base du cerveau consiste alors à envoyer un message pour dire “stop’’. Pour pouvoir poursuivre l’effort et être performant, il faut être capable d’inhiber ce réflexe de bas niveau, par un effort de contrôle - on pourrait dire de volonté. Cette capacité est particulièrement développée chez les athlètes endurants. Mais le système n’est pas indestructible : si l’on va trop loin, il finit par s’épuiser. C’est cela le syndrome de surentraînement.”

Muscle ton cerveau, Robert !

Pour vérifier leur supposition, les chercheurs de l’Institut du Cerveau ont poussé des triathlètes dans leurs retranchements. Après trois semaines d’entraînement épuisant, à raison de quinze heures par jour, l’IRM a révélé ce que les chercheurs suspectaient : “Certaines régions du cerveau qui touchent au contrôle cognitif - des zones du cortex pré-frontal situées juste derrière les tempes - étaient en surchauffe.”

Si une pratique trop intensive du sport peut s’avérer délétère, il est en revanche prouvé que s’y adonner sur une base régulière produit des effets bénéfiques. Notamment sur certaines maladies : “On note une incidence positive de la pratique sportive sur la dépression nerveuse chez les plus jeunes, ou la prévalence des cancers, des maladies vasculaires et neuro-dégénératives chez les personnes plus âgées.”, confirme Mathias Pessiglione. Mais ce n’est pas tout : il est aujourd’hui acquis que le sport améliore certaines capacités cognitives.

“Ce phénomène peut se mesurer avec un IRM. On observe même des changements anatomiques du cortex pré-frontal, qui peut prendre du volume si on l’entraîne suffisamment longtemps.” En comparant l’un à l’autre le volume de matière grise de jumeaux âgés de 32 à 36 ans, l’un des deux ayant pratiqué une activité physique durant les trois années précédant le test, des chercheurs finlandais ont ainsi établi que celui du sportif avait significativement augmenté. Le cerveau produit en effet des facteurs de croissance tels que la neurotrophine et le BDNF ("brain-derived neurotrophic factor" en anglais), lequel stimule la plasticité synaptique et la formation de nouveaux circuits neuronaux.

Pas de quoi, néanmoins, transformer un adepte du footing en virtuose de l’algorithmique. “L’amélioration constatée est significative, certes, mais il ne faut pas confondre significativité et taille d’effet, tempère Mathias Pessiglione. L’effet est modéré - vous n’allez pas passer subitement de zéro à vingt en maths -, mais il est réel. Si vous effectuez des tests des fonctions exécutives ou de flexibilité mentale sur un grand nombre de personnes, en moyenne, vous allez constater une légère amélioration chez celles qui ont une pratique sportive régulière.” Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire : quitter (à regret) votre canapé, et enfiler vos chaussures de course. Vous ne jouerez sans doute pas des coudes avec les flèches du marathon de New York, mais vos prochains mots croisés trouveront peut-être à qui parler.

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