Jeux Olympiques Tokyo 2021 : et si la moustache était le secret bien gardé des nageurs professionnels ?

Mark Spitz, ses médailles d'or et sa mythique moustache (Bettmann Archive via Getty Images)

Popularisée par le nageur américain Mark Spitz, septuple vainqueur aux JO de Munich en 1972, la moustache a, depuis, déserté le grand bassin. L’Américain lui attribuait pourtant des mérites qui l’ont fait entrer dans la légende. Alors, fin d’un mythe ou abandon de la toison d’or ?

Sept courses, sept médailles d’or, sept records du monde. Ainsi pourrait-on résumer l’exploit historique accompli par Mark Spitz lors des JO de Munich en 1972 (lequel ne sera battu que 36 ans plus tard aux Jeux de Pékin par un autre poisson volant, Michael Phelps). Si la puissance de ses jambes et sa technique de nage exceptionnelle ont beaucoup fait pour le propulser dans la légende de la natation olympique, un autre facteur s’est avéré déterminant : sa… moustache.

Une incongruité pileuse au royaume des corps glabres et des slips de bain miniatures qu’il arbora sur toutes les épreuves munichoises, à commencer par la finale du 200 mètres papillon. Résultat : un chrono exceptionnel pour l’époque (2’00’’70) et une première galette de métal précieux autour du cou. Six autres suivront donc, avec autant de records du monde à la clé. De quoi pousser l’entraîneur de l’équipe russe de natation à prendre très au sérieux l’explication que le nageur californien lui avait donnée la veille de l’ouverture de la compétition. Scruté de près par tous les coachs lors de sa séance d’entraînement, Mark Spitz avait alors eu la surprise de voir l’un d’eux lui demander : “J'ai remarqué que vous aviez une moustache. Allez-vous la raser ? Ne craignez-vous pas qu’elle vous ralentisse ?”.

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La recette du Spitz

L’Américain avait alors donné du grain à moudre au patron de la délégation russe, comme il l’expliquera des décennies plus tard sur le site du Comité International Olympique : “Je ne sais pas ce qui m'a poussé à répondre cela, mais j'ai caressé ma moustache et déclaré : 'La moustache détourne l'eau de ma bouche et me permet d'être beaucoup plus bas et donc plus léger durant la course, et j'ai moins tendance à boire la tasse. Cela me permet de nager plus vite.'” L’année suivante, tous les membres de l'équipe masculine russe portaient la moustache. Une légende était née.

Cinquante ans plus tard pourtant, plus aucun nageur n’arbore le mythique ornement labial. La recette de Spitz aurait-elle vécu, comme les 70’s, les couronnes de fleurs et les tables en Formica ? Les vertus hydrodynamiques de la moustache auraient-elles été surestimées sous l’effet du triomphe ? Pour le savoir, autant s’adresser aux spécialistes. Le professeur Ludovic Seifert, de la faculté des Sciences du Sport de l’université de Rouen, est le coordinateur de l’ambitieux projet NePTUNE, dont le but est précisément d’améliorer les performances des nageurs français en vue des JO de Paris, en 2024. Autant dire que l’homme maîtrise ses fondamentaux en matière d’hydrodynamisme. Lequel se définit simplement comme la capacité à être profilé dans l’eau. “C’est ce qui permet de surmonter les différentes sources de résistance à l’avancement, à savoir les résistances de forme, de vagues et d’écoulement”, détaille le chercheur.

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Requins, dauphins, et Lenny Kravitz

Reste à savoir où se situe la moustache dans le corps-à-corps qui l’oppose à l’eau. Agit-elle comme un frein ou comme un accélérateur ? Pour le professeur Seifert, son rôle est sans doute marginal : “Honnêtement, je ne pense pas que la moustache puisse avoir une influence positive ou négative majeure, estime-t-il. A moins qu’elle ne soit vraiment proéminente : si par exemple, vous aviez fait nager Lenny Kravitz à sa grande époque, c’est évident que sa chevelure aurait généré d’importantes résistances de forme et d’écoulement. Ce n’est pas un hasard si tous les nageurs mettent des bonnets ou ont les cheveux courts. Dans le cas de la moustache, on est sur des pourcentages relativement faibles. Un spécialiste de la mécanique des fluides en parlerait certainement mieux que moi.” Ça tombe bien, nous en avons un sur la ligne d’eau d’à côté.

Rémi Carmignani est lui aussi en partance pour NePTUNE. Incollable sur les prouesses des nageurs olympiques, intarissable sur le nombre de Reynolds (comparant les effets visqueux sur les effets inertiels, comme chacun sait) et celui de Froude, (qui compare la vitesse des ondes et la vitesse du corps), le chercheur en demeure lui aussi au stade de l’hypothèse lorsqu’il aborde la question de la moustache. “Je ne sais pas si des gens ont déjà étudié le sujet, mais j’aurais tendance à penser que l’effet est négatif ou nul. Si cela avait un impact favorable, tout le monde nagerait avec.”, suppose-t-il à son tour, avant d’en minimiser l’importance dans le cas de Mark Spitz. “C’était un nageur de sprint, de fait, je ne pense pas qu’il gagnait spécialement ses courses sur le haut de sa tête. Si vous regardez par exemple l’évolution de la vitesse moyenne des 10 meilleurs mondiaux sur 100m nage libre, vous vous apercevez que l’introduction des lunettes en 1976 n’a pas eu d’impact notable.”

Autre labo, même son de cloche du côté de Mathias Samson, enseignant chercheur en biomécanique à l’université de Poitiers, également impliqué dans un important projet de recherche appliquée à la natation (le projet D-Day). “La piscine est un milieu assez peu visqueux, où les forces de frottement sont moindres, de l’ordre de quelques pourcents. Par conséquent, si la moustache devait avoir un rôle, il serait minime.”, abonde le chercheur à l’unisson de ses pairs. Beau joueur, il lui accorde toutefois un (petit) mérite : “La moustache pourrait avoir une légère influence sur l’écoulement arrière, quand il s’opère du nez vers la bouche. En papillon notamment, au sortir de l’eau, la moustache de Mark Spitz pouvait peut-être agir comme une protection sur la surface libre au moment de l’inspiration. Pourquoi pas. S’il l’a dit, peut-être l’a-t-il ressenti comme cela.”

La tête… et les jambes

Sans surprise, Mathias Samson voit surtout dans l’exploit réalisé par le nageur américain en 1972 la marque d’un changement d’ère. “Spitz se situe à un point de bascule dans l’histoire de la natation. Dans les années 1960-1970, elle a beaucoup évolué, notamment avec l’arrivée de la physiologie sportive. Spitz est l’un des pionniers du professionnalisme. Il s’entraînait énormément, et pratiquait la musculation tous les jours, à une époque où les nageurs ne s’y adonnaient pas tous à cette fréquence. Ce n’est pas un hasard s’il est le premier à être passé sous les 52 secondes au 100m nage libre. Avant les JO de 1968, on était plutôt sur des records qui tournaient autour de 53 secondes. Spitz a gagné plus d’une seconde en l’espace d’une olympiade…” Moustache ou pas, il semblerait que la messe soit dite.

De là à prendre la pilosité à la légère, il y a néanmoins un pas que Rémi Carmigniani se refuse à franchir. “La question des poils est importante en natation, mais étudier leur influence n’est pas simple. On peut ramener cela à une question physique de base : faut-il être lisse ou rugueux ? Dans la nature, les stratégies diffèrent mais aboutissent parfois au même résultat. Par exemple, la peau rugueuse des requins a des vertus hydrodynamiques, comme celle des dauphins, qui est lisse et grasse. On retrouve cette dichotomie dans certains sports, comme l’aviron, ou vous avez différentes écoles : certains préfèrent avoir le bateau le plus lisse possible, d’autres passent leur coque à la fibre de verre avant les courses pour la rayer. Qui a raison ? La réponse n’est pas clairement tranchée…” Pour sa part, le chercheur, lui-même pratiquant de la natation, a choisi : “Personnellement, je me rase, car j’ai l’impression que je glisse mieux. Mais c’est peut-être de l’ordre de la croyance.”

Laquelle peut être bousculée, si l’on élargit la focale à d’autres nages. “Peut-être que certaines s’accommoderaient en définitive d’une pilosité plus abondante. A l’image de la brasse, qui nécessite “d’accrocher” l’eau avec les jambes pour pouvoir faire le ciseau proprement. Dans ce cas, être trop lisse peut être contreproductif.” Lancé dans ses réflexions, le chercheur ouvre le champ d’une nouvelle conjecture : “Finalement, on peut même aller jusqu’à se poser la question : y a-t-il une façon optimale de se raser ?” Une épineuse question qui, dans le cas de la moustache, nécessite l’éclairage d’un autre spécialiste. Et en l’espèce, Kevin Vela est incontournable.

Joue-la comme Dalí

Ce nom ne vous dit sans doute pas grand-chose, mais en matière de bacchante, ce jeune pâtissier de 28 ans tutoie la perfection. Et pour cause : il est champion de France 2019 dans la catégorie “moustache anglaise’’, et 7e des derniers championnats du monde en Belgique. Le fruit de quatre années de travail. “Le secret, c’est la patience”, confirme le natif de Perpignan. S’il ne s’est pas vraiment forgé d’opinion sur l’utilité de la moustache en grand bassin, Kevin Vela a en revanche un avis très sûr concernant l’entretien de la bête : “Je la brosse, je la taille, et j’y applique des huiles et des baumes 100% naturels. Le truc, c’est de l’agresser le moins possible, ni avec un sèche-cheveux, ni avec des produits trop forts, parce que ce sont des poils fragiles, qui peuvent casser et tomber.” Résultat de ces soins méticuleux : une moustache à faire passer José Bové pour un adolescent prépubère, et un sérieux atout à faire valoir dans la mêlée sociale.

“Porter une moustache, c’est une façon d’affirmer son identité, estime notre champion de motte anglaise. On ne passe pas inaperçu, on attire le regard et à l’arrivée, c’est un vrai plus en termes de sociabilisation. D’une certaine façon, la moustache, c’est une manière de s’ouvrir aux autres.” Et un bel accessoire de mode : “On peut l’assortir en fonction de ses humeurs ou de sa tenue. Je peux très bien décider de la porter façon Dalí, à la hongroise, à l’impériale…”, décline le spécialiste. Avis aux nageurs, amateurs ou professionnels : à défaut d’écraser la concurrence en papillon, la moustache peut faire de vous de drôles de zèbres. Et ça aussi, ça vaut de l’or.

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