Le jardin d'Edin

Héros de l’une des plus belles soirées européennes de l’histoire de la Roma, le géant bosnien a démontré contre le Barça qu’il comptait encore, à 32 ans, parmi les meilleurs attaquants d’Europe. Une belle revanche pour un joueur souvent sous coté, qu’on annonçait à tort du côté de Stamford Bridge cet hiver. A en juger par son engagement sous le maillot giallorosso, l’idylle entre Dzeko et la Ville éternelle est loin d’être achevée…

Le 10 avril dernier, le Stadio Olimpico a vécu une des plus belles soirées que l’enceinte romaine ait connues depuis sa construction en 1953. Le genre de rencontre qui vide le stock de superlatifs des journalistes. Le genre de match qui s’insinue dans la mémoire collective pour ne plus jamais la quitter. Le genre de joute, enfin, qui arrache une poignée de noms au cours du temps, pour les faire entrer définitivement dans l’histoire d’un club. Nainggolan, De Rossi, Manolas… Tous resteront à jamais associés à ce miraculeux quart de finale retour de Ligue des Champions, à l’issue duquel la Louve a dévoré l’ogre catalan, invaincu cette saison en championnat comme en C1. Dans le firmament du souvenir, pourtant, un nom brillera sans doute d’une lumière encore plus intense que celle de ses partenaires. Ce nom, c’est bien sûr celui d’Edin Dzeko.

Déjà buteur au Camp Nou au match aller, l’attaquant bosnien de la Roma a en effet livré l’un des plus beaux matchs de sa carrière au retour face à la bande à Messi. Soit 90 minutes d’une intensité folle, au cours desquelles le natif de Sarajevo a fait voler en éclats la charnière Piqué-Umtiti sous le poids de son inusable 1,92m. Un travail de démolition contrôlée entamé dès la 6ème minute de jeu, avec un but dopé au sang-froid et à l’envie. Le prélude d’un récital rageur, fait de pressing incessant, d’appels en profondeur tranchants, de conservation de balle judicieuse, le tout saupoudré de quelques coups de patte soyeux, et conclu par l’obtention d’un pénalty salvateur à l’heure de jeu. De quoi donner des ailes à De Rossi, et de l’espoir à 70 000 tifosi, dès lors plus que jamais convaincus de l’imminence de l’exploit.

Dzeko, lui, n’a jamais cessé d’y croire. “Il fallait y croire, même avant le début du match, a-t-il ainsi déclaré, à bout de force, à l’issue de la rencontre. Il fallait essayer de faire quelque chose. On savait qu’on affrontait une des meilleures équipes du monde. Le premier but nous a beaucoup aidés. Il nous a donné de l’élan, et nos formidables supporters nous ont appuyé jusqu’au bout.” Un soutien indéfectible que l’attaquant de la Louve a conquis de haute lutte, après trois années passées sur les rives du Tibre.

Des ballons et des flammes

Arrivé à Rome en 2015, après quatre années passées dans l’ombre d’Agüero à Manchester City – et ce, en dépit de ses 44 buts en 55 titularisations -, le Bosnien a mis du temps à s’adapter aux exigences de la Serie A. Souvent nonchalant, pas assez agressif, trop rarement décisif (seulement 10 buts toutes compétitions confondues), Dzeko a connu un premier exercice difficile dans la Grande Botte. Pas de quoi émouvoir toutefois un homme qui a tapé ses premiers ballons dans les rues d’une ville en proie aux flammes, et habité par une profonde confiance en soi. Pas érodé par les critiques, le colosse a d’ailleurs mis tout le monde d’accord dès la saison suivante, en empilant 37 buts et 9 passes décisives. Record personnel battu.

Rien d’étonnant à ce qu’Antonio Conte, à la recherche d’un “target player” de calibre international cet hiver, ait tenté d’attirer l’ex de Wolfsburg à Chelsea. Longtemps annoncé du côté de Stamford Bridge, le Bosnien n’a pourtant pas retrouvé le championnat anglais en 2018. Un transfert avorté dont les dirigeants romains – James Pallotta en tête -, qui n’ont plus goûté aux joies des demi-finales de C1 depuis 1984, ne peuvent que se féliciter aujourd’hui…

Mardi soir, Dzeko et les siens disputeront donc au Liverpool survolté de Jürgen Klopp le privilège d’accéder à la finale de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Si la tâche s’annonce ardue à Anfield, la Louve a néanmoins l’avantage de recevoir la bande à Salah au Stadio Olimpico pour la manche retour. Nul doute qu’après la démonstration de force offerte par les hommes d’Eusebio Di Francesco sur leurs terres face au Barça, les Reds aborderont leur déplacement dans la Ville éternelle avec prudence. Tous les jardins ne sont pas propices à la promenade…