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L'Empire contre-attaque

Disparus des radars de la C1 ces dernières années, les clubs anglais effectuent cette saison un retour en force dans la plus prestigieuse des compétitions européennes. Une réussite que la mue progressive des cadors de Premier League, entreprise sous la houlette de managers étrangers inspirés, a rendue possible. Décryptage.

En 2012, un Didier Drogba en état de grâce, oublieux de la “fucking disgrace” de 2009, portait les Blues sur son dos jusque sur le toit de l’Europe. Un shoot d’adrénaline à deux milliards d’euros pour le président de Chelsea, Roman Abramovitch, qui attendait cela depuis 9 ans. Une apothéose pour le football anglais, surtout, venue clore une période de huit saisons au cours de laquelle la Premier League avait systématiquement hissé l’un de ses représentants en finale de C1 (sauf en 2010). Et puis… plus rien ou presque.

Cinq années de disette, durant lesquelles les écuries made in UK ont dû se contenter de jouer les premiers rôles sur la scène secondaire de la Ligue Europa. Sacrés en 2013 et en 2017, Chelsea et Manchester United (2017) ont ainsi joué les cache-misère en C3. Mais pas au point, néanmoins, d’oblitérer cette réalité : depuis quatre ans, et en dépit des sommes colossales englouties outre-Manche, la Coupe aux Grandes Oreilles parle espagnol.

En football comme dans bien d’autres domaines toutefois, tout est affaire de cycles. Et force est de constater que cette saison, le foot anglais est entré dans une nouvelle ère. Un simple coup d’œil aux performances des clubs de Sa Majesté en C1 suffit à s’en convaincre. Avec une seule défaite en 20 rencontres disputées en phase de poule, et cinq équipes en huitième de finale de la compétition, l’Angleterre a envoyé un signal fort à l’Europe du ballon rond. Un signal qui se résume en trois mots : “England si back.”

Les esprits sceptiques ont d’ailleurs pu le constater la semaine dernière, à l’occasion des premières rencontres de la phase aller des huitièmes. Porté par un Sadio Mané en feu, Liverpool a balayé Porto, infligeant au passage aux Dragoes la plus large défaite de leur histoire en Ligue des Champions (0-5). City s’est baladé face à Bâle (0-4). Quant aux Spurs, ils ont arraché un nul précieux à Turin, inscrivant deux buts à une Juve qui n’en avait pourtant encaissé qu’un seul lors de ses 16 rencontres précédentes.

Révolution culturelle et carnet de chèques

Si ces victoires illustrent bien la force de frappe retrouvée des cadors de Premier League, c’est surtout la manière avec laquelle elles ont été acquises qui impressionne. Exit, ce football où l’intensité, la percussion et la vitesse faisaient, seules, office de mantra. Sous la houlette d’entraîneurs étrangers mus par d’autres convictions, les grosses cylindrées anglaises ont entamé une véritable révolution culturelle ces trois dernières années, dont les résultats se font sentir aujourd’hui.

Souverains en championnat – 19 points d’avance sur United, son dauphin, et une seule défaite au compteur -, le Manchester City de Pep Guardiola respire ainsi la philosophie de jeu du coach espagnol, faite de possession de balle (71,2% en moyenne) et de recherche constante de déséquilibres. Un constat qui s’applique tout autant à Liverpool, que Jürgen Klopp a converti au “gegenpressing”, ce contre-pressing qui avait porté le BvB jusqu’à Wembley un soir de mai 2013. Et que dire d’Antonio Conte, dont la défense à 3 a fait merveille l’an passé à Chelsea, ou encore de Mauricio Pochettino, qui récolte aujourd’hui les fruits de la construction patiente et cohérente d’une équipe de Tottenham impressionnante de plasticité, et qui ne cesse d’étonner (le Real en sait quelque chose…).

“So British” il y a encore quelques années, le Big 5 anglais profite ainsi à plein de l’hybridation des valeurs inscrites depuis toujours dans l’ADN du foot anglais, et des préceptes dont ces managers sont les chantres. Un processus spectaculaire, dont la seule efficacité offensive ne suffit toutefois pas à rendre compte. L’équilibre défensif, qui a longtemps fait défaut aux équipes anglaises sur la scène continentale, apparaît de fait comme l’un des facteurs-clé de la réussite de ces dernières aujourd’hui.

Résultats : en phase de poule, Manchester United n’a encaissé que 3 petits buts, et Tottenham et City n’ont été pris en défaut qu’à 4 reprises. Une gageure, lorsque l’on sait que ces deux équipes ont dû ferrailler respectivement contre le Real et Naples… Un hermétisme, surtout, que les écuries anglaises n’ont pas hésité à bâtir à grands coups de carnet de chèques, comme l’illustrent les 255M€ investis par les Citizens pour se doter d’un rempart à la hauteur des exigences de Guardiola. Le prix de la victoire en C1… Abramovitch vous le dira.