« Le logement n’est pas une marchandise comme une autre »

« Face à la crise qui s’étend dans notre pays, une politique ambitieuse en matière de construction, de rénovation, d’accessibilité et d’orientation de l’offre est incontournable  », écrivent les députés Boris Vallaud et Iñaki Echaniz.
« Face à la crise qui s’étend dans notre pays, une politique ambitieuse en matière de construction, de rénovation, d’accessibilité et d’orientation de l’offre est incontournable », écrivent les députés Boris Vallaud et Iñaki Echaniz.

LOGEMENT - 100 euros, c’est le reste à vivre, chaque mois, d’un Français sur trois, après le prélèvement de leurs dépenses contraintes. Parmi ces charges incompressibles, le logement occupe la première position puisqu’il mobilise, en moyenne, 20 % des revenus des ménages et 32 % pour les Français les plus pauvres.

Alors que le logement, au même titre que l’alimentation et l’accès à la santé, constitue un bien de première nécessité, il est le grand oublié des politiques publiques de ces dernières années. Pourtant, face à la crise qui s’étend dans notre pays, une politique ambitieuse en matière de construction, de rénovation, d’accessibilité et d’orientation de l’offre est incontournable pour donner un signal fort aux bailleurs, aux promoteurs, aux locataires, aux accédants mais aussi aux élus. Elle serait également un préalable pour agir en faveur du pouvoir d’achat des Français puisque le coût du logement n’a jamais été aussi fort.

L’augmentation des taux d’intérêt et du coût de la construction, freine aussi les parcours d’accession à la propriété condamnant de plus en plus de Français à devenir locataires à vie.

Les loyers augmentent plus vite que les salaires, tant et si bien que des ménages qui, jusqu’alors n’avaient jamais effectué de demandes de logements sociaux, viennent grossir les rangs des 2 millions d’inscrits en liste d’attente (+ 7 % par rapport à 2021). Le refus du Gouvernement et de sa majorité de geler les loyers, il y a quelques jours à peine à l’Assemblée nationale, fait que les locataires auront à subir, entre 2021 et 2023, une hausse équivalente à près d’un mois de loyer supplémentaire sur une année.

L’augmentation des taux d’intérêt et du coût de la construction, freine aussi les parcours d’accession à la propriété condamnant de plus en plus de Français à devenir locataires à vie. Cette situation empêche la rotation des ménages au sein des parcs privés comme sociaux, allongeant la liste des demandeurs. Cette crise de l’accession est en outre un vecteur fort d’accroissement des inégalités, profitant aux plus aisés comme les primo-accédants aux apports confortables, multipropriétaires ou investisseurs immobiliers alors que 3,5 % des ménages détiennent déjà 50 % des logements en location (possédés par des particuliers).

Face à cela, les leviers pour agir rapidement sont identifiés : étendre l’encadrement des loyers, encadrer le prix du foncier, encourager l’accession et les prêts à taux préférentiel, lutter contre la spéculation immobilière, soutenir la construction, augmenter le nombre de logements sociaux alors que le secteur connaît un encombrement sans précédent. Outre les difficultés liées à la conjoncture économique, le secteur HLM a subi cinq années de défiance gouvernementale qui ont contribué à l’affaiblir. Entre réduction de loyer de solidarité, relèvement de certains taux de TVA à 10 % et réorganisation des bailleurs imposée par la loi « ELAN », ce sont plus de 12 milliards d’euros d’économies réalisées par l’État, avec une division par deux de la capacité d’investissement des bailleurs sociaux et un effondrement de la production de logements et des rénovations. C’est le résultat d’un manque de vision et d’incarnation coupables.

l’État ne peut plus cautionner le maintien de niches fiscales accentuant l’intérêt économique de la location court terme. Une grande loi de programmation de production de logements devra montrer la voie.

Il faut commencer par inverser la logique de la fiscalité actuelle du logement en favorisant la location de long terme plutôt que la location saisonnière. On peut aujourd’hui bénéficier d’un abattement de 30 % jusqu’à 15 000 € de loyers perçus sur la location classique contre 71 % jusqu’à 176 200 € quand on met son logement sur une plateforme de type Airbnb. Nous avons créé un cadre fiscal à l’opposé des priorités de la politique du logement. Cet outil fiscal doit également permettre de faciliter l’acquisition de terrains pour la réalisation de logements neufs ou la mise en œuvre de réhabilitations lourdes, de plus en plus nécessaires à l’heure de l’objectif de zéro artificialisation nette.

Alors que l’on dénombre 800 000 meublés de tourisme en 2021, et que ce chiffre a triplé depuis 2016, toute politique contribuant à la massification de l’offre touristique n’est plus acceptable, notamment dans les zones où la tension immobilière est la plus forte. Une révision de la fiscalité pour lutter contre la spéculation immobilière, les logements vacants ou le déferlement des meublés de tourisme doit être réalisée.

En ces temps de tension extrême sur le marché immobilier, l’État ne peut plus cautionner le maintien de niches fiscales accentuant l’intérêt économique de la location court terme. Une grande loi de programmation de production de logements devra montrer la voie. Cette crise de l’offre est aussi un terreau fertile pour le mal logement qui touche plus de 4 millions de personnes. L’État doit prendre toute sa part dans la lutte contre l’habitat indigne par la mise sur le marché de nouveaux biens et la rénovation des logements insalubres et des passoires thermiques. La rénovation énergétique constitue à ce titre un axe majeur alors que l’on recense plus de 7 millions de passoires thermiques. Le soutien à la rénovation doit être à la fois plus ambitieux financièrement, mieux distribué géographiquement et socialement, mais aussi plus efficace puisque « 86 % des chantiers financés grâce à MaPrimeRénov’ se sont limités à des rénovations monogestes » selon la Cour des comptes, avec un impact relativement faible sur le gain de performance énergétique.

L’automaticité des aides à la rénovation, la suppression des restes à charge pour les plus modestes, ou la mise en place d’avances publiques remboursables au moment de la mutation ou de la vente du bien, sont autant de mesures qui pourraient redonner de l’élan à la lutte contre les habitats énergivores.

En parallèle, il est nécessaire de donner aux élus locaux des outils renforcés et lisibles pour leur permettre d’orienter le parc immobilier vers les besoins croissants des habitants de leur territoire, notamment en leur permettant, de manière plus prescriptive, d’orienter la destination et l’usage des immeubles d’habitation ou d’imposer des contreparties dissuasives.

Le Conseil National de la Refondation sur le logement qui doit rendre ses conclusions ce lundi, devra répondre à un double défi : celui de rattraper le retard pris par le gouvernement ces six dernières années et celui de répondre aux défis économiques, écologiques et sociaux que traverse le secteur. Le logement n’est pas une marchandise comme une autre. Cessons de le traiter comme tel.

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