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Manifestation du 6 juin : pour Sophie Binet, "quatorze journées de mobilisation, c’est exceptionnel"

La réforme des retraites est promulguée et le décret d’application actant le recul de l’âge légal de départ publié. Mais la bataille n’est pas finie, assure la secrétaire générale de la CGT. Entretien.

Et de quatorze. Ce mardi 6 juin, les Français sont de nouveau appelés à battre le pavé contre la réforme des retraites. La dernière mobilisation date du 1er mai et entre-temps, les premiers décrets d’application du texte ont été publiés, dont celui sur le recul de l’âge de départ à 64 ans. Mais l’intersyndicale ne désarme pas.

« Cette journée sera importante. Le simple fait qu’elle existe, après six mois de mobilisation, c’est déjà incroyable et exceptionnel », exprime au HuffPost la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet. En dépit des revers parlementaires - la proposition de loi LIOT pour abroger le recul de l’âge de départ a été vidée de sa substance avant son arrivée dans l’hémicycle -, la syndicaliste refuse de parler de défaite, alors que 54 % des Français continuent de réclamer le retrait de la loi, selon un sondage YouGov pour Le HuffPost réalisé entre le 29 et le 30 mai.

Ce mardi a lieu la 14e journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Est-ce judicieux d’organiser une nouvelle journée d’action, sachant que la réforme a déjà été promulguée ?

Nous avons réussi à créer un mouvement inédit dans sa longueur, qui dure depuis six mois ! Quatorze journées de mobilisation, voire plus pour certains, ça pèse dans les pattes et dans le porte-monnaie, mais cette journée sera importante. Le simple fait qu’elle existe, c’est déjà incroyable et exceptionnel. Cela confirme à quel point cette réforme est rejetée par la quasi-totalité de la population et à quel point les salariés sont déterminés à lutter.

Pensez-vous qu’il y aura du monde ? À partir de combien parleriez-vous de succès ?

C’est une mobilisation qui dure depuis six mois, et même si nous n’atteignons pas le record, nous savons qu’il y aura du monde. Avoir entre 700 000 et 1 million de personnes dans la rue, serait un chiffre inédit après 14 journées de mobilisation, et elle le prouvera encore.

Avoir entre 700 000 et 1 million de personnes dans la rue serait un chiffre inédit après 14 journées de mobilisation.

Cela fait six mois que vous manifestez, et ce week-end, les décrets d’application sur le recul de l’âge de départ ont été publiés. N’est-il pas temps d’acter votre défaite à empêcher cette loi ?

Vous connaissez la citation de Maurice Thorez : « il faut savoir mettre fin à une grève, une fois qu’on a obtenu satisfaction sur nos revendications. » Le problème, c’est que nous n’avons pas obtenu satisfaction. Le gouvernement continue le passage en force et claque au nez toutes les portes de sortie que l’on trouve. Le dernier exemple, ce sont les basses manœuvres antidémocratiques pour empêcher les députés de voter le 8 juin prochain sur la proposition de loi pour abroger la réforme. C’est très grave.

Au vu des déclarations de Yaël Braun-Pivet, un vote sur cette PPL Liot pour abroger le recul de l’âge légal à 64 ans semble en effet très hypothétique…

J’interpelle très solennellement Yaël Braun-Pivet qui a la décision entre ses mains. Elle est présidente de l’Assemblée nationale, elle doit respecter les prérogatives de l’Assemblée nationale. Depuis le début de cette mobilisation, le Parlement est foulé aux pieds. Le gouvernement a empêché le vote sur le projet de loi, il a dégainé le 49.3, et alors que les députés jouent leur rôle dans le cadre de leur niche parlementaire et aident à trouver une sortie de crise, il y a encore un passage en force. S’il n’y a pas de vote, ce serait un événement gravissime.

Vous lui avez écrit pour réclamer un entretien avant le 8 juin. Elle a répondu sur Le HuffPost qu’elle vous recevra, mais plutôt autour de la « fin juin » car il n’y avait « aucun caractère d’urgence » dans la demande de rendez-vous. Quelle est votre réaction ? Souhaitez-vous quand même la voir et pour parler de quoi ?

Ce qui me désole, c’est de devoir l’interpeller par voie de presse pour obtenir une réponse. Visiblement, nous n’avons pas la même appréciation du mot « urgence ». L’urgence en question porte sur le déni de démocratie dont le gouvernement et son parti font preuve. Entre suivre les injonctions de l’Élysée et assurer son rôle d’incarnation du parlementarisme, elle a un choix à faire. C’est pour cette raison que nous demandons un rendez-vous avant le 8 juin.

Après le 6 juin, quelle sera la suite pour la CGT ? Une nouvelle journée de mobilisation avec l’intersyndicale, des blocages ou alors la fin du mouvement ?

L’intersyndicale décidera ensemble de la suite, comme à chaque fois. Tout dépend de la mobilisation du 6 et de ce qui se passe le 8. Ce n’est pas écrit.

Nous allons travailler ensemble sur les leviers à notre disposition pour la suite. On ne s’arrêtera pas.

Maintenir l’unité syndicale, est-ce votre priorité ?

L’intersyndicale va forcément se transformer. Elle a été constituée sur la question des retraites, mais ne va pas tenir de façon permanente sous cette forme, c’est clair. Il n’empêche que les discussions préalables menées depuis un an et l’unité concrétisée ces six derniers mois vont laisser des traces profondes. Je ferai en sorte que cette dynamique avec mes partenaires syndicaux continue.

Un duo Berger/Martinez s’est construit pendant la réforme des retraites. Souhaitez-vous poursuivre dans cette voie avec la successeure de Laurent Berger, Marylise Léon ?

Je suis très confiante sur la suite avec Marylise Léon. Nous n’avons pas encore eu le temps de nous rencontrer mais nous allons le faire prochainement. À la CGT, la question de l’unité a toujours été ancrée dans nos statuts. Je suis mandatée pour chercher le rassemblement des organisations syndicales, car il permet le meilleur rapport de force face au gouvernement et au patronat. Être unis nous permet d’arriver avec nos propositions et d’imposer l’ordre du jour sur nos bases, plutôt que de mendier quelques virgules sur un texte.

Laurent Berger a exclu l’idée de « manifestations à répétition » après le 8 juin. Êtes-vous d’accord ?

Nous allons en débattre en intersyndicale. On ne manifeste pas par plaisir et il est évident qu’après quatorze journées, ça tire sur la corde. Ce qui est évident aussi, c’est que l’intersyndicale restera unie et soudée sur cette revendication de refus de la réforme et qu’elle continuera par tous les moyens à essayer d’obtenir sa non-application. Nous allons travailler ensemble sur les leviers à notre disposition.

Les élus de l’opposition admettent du bout des lèvres que le combat parlementaire contre la réforme des retraites est perdu. Diriez-vous la même chose ?

Non. Je ne désespère pas que Yaël Braun-Pivet respecte son rôle et sa mission.

Attendez-vous des parlementaires une dernière tentative ?

Bien sûr. J’ai entendu des groupes parlementaires dire que si la PPL transpartisane était rejetée, ils déposeraient la même proposition de loi à toutes leurs niches parlementaires. Ça serait une très bonne chose. Cela permet de montrer qu’on ne s’arrêtera pas.

Il y a aussi l’option de la motion de censure…

La Constitution a été écrite dans un contexte très particulier pour protéger le président de la République. Elle est très bien faite pour ça, beaucoup moins pour laisser des initiatives démocratiques au Parlement. La motion de censure est quasiment impossible à faire voter, la preuve, ce n’est arrivé qu’une seule fois sous la Ve République.

Nous sommes aussi vigilants sur le prochain texte de loi intitulé « Travail ». Il est hors de question que les bénéficiaires du RSA aient à travailler en échange de cette aide publique.

Au-delà des retraites, quel est le premier dossier sur votre pile désormais ? Les salaires ? Que comptez-vous demander au gouvernement et comment ?

Bien entendu, la question des salaires est essentielle. Mais nous sommes aussi vigilants sur le prochain texte de loi intitulé « Travail ». Il est hors de question que les bénéficiaires du RSA aient à travailler en échange de cette aide publique. Nous voulons également la remise à plat profonde des ordonnances Travail de 2017, menées unilatéralement et de façon très violente par Emmanuel Macron. Ces textes ont déplacé le rapport de force dans les entreprises, ont abouti à des licenciements, à la dégradation des conditions de travail. Tous les syndicats sont d’accord sur le fait qu’il faut les revoir en profondeur. Ce sont des sujets que nous avons déjà évoqués avec la Première ministre.

La Première ministre a-t-elle été réceptive à vos propositions ?

Pas spécialement, mais je ne compte pas renoncer. Nous ne sommes pas venus à Matignon pour compter les carreaux de la nappe, mais pour négocier. Négocier, c’est négocier sur la base des attentes et des besoins des salariés. J’ai également porté des propositions extrêmement précises sur les violences sexistes et sexuelles ainsi que sur l’égalité salariale.

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