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Manifestations en Chine : comment les autorités traquent les protestataires

Un manifestant à Shanghai le 27 novembre 2022 - HECTOR RETAMAL / AFP

Les autorités chinoises traquent les participants aux rassemblements anti-restrictions via leurs portables, mais aussi sur les réseaux sociaux.

Depuis plus d'une semaine des protestations ont lieu en Chine contre la politique "zéro Covid", en place depuis le début de la pandémie, qui fait subir à la population des dépistages et des confinements stricts à répétition. Un soulèvement aussi étendu est rarissime en Chine, compte tenu de la répression contre toute forme d'opposition au gouvernement.

Pékin a d'ailleurs réprimé les manifestations en arrêtant des participants et en bloquant des voies de passage utilisées, mais aussi en recherchant des manifestants. Certains, qui ont protesté dimanche à Pékin contre les restrictions sanitaires mais aussi en faveur de plus de libertés, ont par exemple été contactés par téléphone par la police qui les a interrogés sur leur présence au rassemblement, a rapporté l'un d'eux à l'AFP.

La question se pose donc de savoir comment la police est parvenue à découvrir l'identité de certains manifestants, quand la grande majorité d'entre eux n'ont pas vu leurs documents d'identité contrôlés lors du rassemblement de dimanche.

Retrouver les manifestants par leur téléphone

Le média américain CNN a eu accès à un enregistrement entre un manifestant et un policier, confirmant le fait que les autorités chinoises utilisent les données des téléphones portables pour retrouver les protestataires.

Le policier demande ainsi au téléphone au manifestant s'il se trouvait à la rivière Liangma le dimanche, un lieu de Pékin où se sont tenus des rassemblements contre les restrictions. La personne nie s'y être trouvée, ce à quoi les forces de l'ordre répondent : "alors pourquoi votre numéro de téléphone portable est-il apparu là-bas ?" En Chine, les utilisateurs de téléphones mobiles sont obligés d'enregistrer leur vrai nom et leur numéro d'identification national, explique CNN.

Une manifestante a déclaré lundi soir à l'AFP qu'elle et cinq de ses camarades qui avaient également manifesté dimanche dans la capitale avaient reçu un appel de la police de Pékin.

Le policier "a dit mon nom et m'a demandé si j'avais été à la rivière Liangma la nuit dernière... Il m'a demandé précisément combien de personnes s'y trouvaient, à quelle heure j'y étais, comment j'en avais entendu parler", a raconté cette manifestante, qui a requis l'anonymat pour des raisons de sécurité.

"La police a souligné le fait que la manifestation d'hier soir était illégale et nous a demandé si nous avions des exigences que nous souhaiterions leur communiquer via les canaux légaux", a-t-elle ajouté.

Empêcher le partage de contenu sur les réseaux sociaux

Les manifestants tentent également de protester sur les réseaux sociaux, malgré les censures importantes réalisées par les autorités chinoises, qui ont par exemple supprimé des mots-clefs en lien avec les rassemblements et interdisent l'utilisation de certaines applications.

À Shanghai, un journaliste de l'AFP, témoin de plusieurs arrestations, a ainsi constaté que la police avait vérifié de force si le téléphone d'un manifestant possédait des applications de réseaux sociaux étrangers, bloquées en Chine, que certains utilisent pour diffuser des informations sur les manifestations.

Le gouvernement chinois a aussi cherché à noyer les recherches en ligne sur certaines plateformes, en utilisant les mots-clefs utilisés pour envoyer de nombreux autres messages n'ayant rien à voir avec les manifestations, comme de la pornographie.

"Vous aviez des tas de messages qui vous faisaient arriver sur des sites pornographiques ou d’escorts, l’idée c’était d’enfouir et d’enfoncer les messages" des protestataires, explique sur notre antenne Véronique Reille-Soult, spécialiste de l’opinion, des réseaux sociaux, et président de Backbone Consulting.

Le site d'informations sur la Chine China Digital Times, a publié des notes du gouvernement montrant sa crainte que la population outrepasse la censure en place, demandant de renforcer la gestion des contenus publiés.

Comment la population contourne la censure

Sur les réseaux sociaux chinois et applications cryptées, inaccessibles en Chine sans logiciel spécialisé, les manifestants se partagent des conseils, notamment juridiques, sur ce qu'il convient de faire en cas d'arrestation ou d'interrogatoire par la police.

"Ils essayent de passer par des plateformes qui sont un peu moins contrôlées par les autorités. On a Telegram et Twitter par exemple qui ont eu un regain d’intérêt. C’est un moyen pour eux non seulement de partager des images (…) mais aussi de se donner des rendez-vous et de se moquer un peu de la censure", déclare Véronique Reille-Soult.

Pour continuer à publier du contenu sur les réseaux sociaux, les Chinois utilisent plusieurs techniques comme des filtres sur les vidéos, l'ajout de musiques n'ayant rien à voir avec la protestation, ou le fait de prendre des vidéos de vidéos, comme l'explique un journaliste du New York sur Twitter.

Avec les vidéos, "lorsque l’algorithme va analyser un contenu vidéo, il va inspecter chaque pixel et va essayer de l’associer à quelque chose qu’il connaît déjà", explique à 20 Minutes Victor Louis Pouchet, hacker chez BZhunt. Les filtres ou autres rajoutés agissent comme des parasites sur l'outil de reconnaissance, qui peut alors passer à côté du sens réel des images postées.

Ils utilisent également "des mots-clefs auxquels on ne s’attend pas, par exemple vous avez le mot 'peau de banane' qui est beaucoup utilisé, parce qu’en chinois ce sont les mêmes initiales que Xi Jinping, ou 'mousse de crevette', parce que cela ressemble au mot 'démission'", raconte également Véronique Reille-Soult.

À la suite de ces manifestations d'ampleur, plusieurs villes chinoises ont allégé cette semaine les règles draconiennes anti-Covid en place, le président Xi Jinping faisant valoir que le variant Omicron du virus, moins mortel, permet d'opter pour "plus de souplesse". Les manifestations des derniers jours sont dues au fait que "les gens étaient frustrés" après trois ans d'épidémie, a également expliqué Xi Jinping.

Article original publié sur BFMTV.com

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