Mehdi Benatia : "Dans cinq ans, je me dirais peut-être que c'est pas mal ce que j'ai fait"

De Clermont à la Juventus Turin en passant par le Bayern Munich ou l’AS Rome, Mehdi Benatia a connu une riche carrière. Aujourd’hui exilé au Qatar, l’international marocain revient pour Yahoo Sport sur sa carrière et livre de belles anecdotes sur Ribéry, Ronaldo ou la génération 87.

Mehdi Benatia lors de la Coupe du Monde 2018
Mehdi Benatia lors de la Coupe du Monde 2018

Ses rêves d'adolescence

J'ai toujours voulu être footballeur. Lorsque j’étais à Marseille, mon rêve ultime était de devenir professionnel à l'OM. J’ai toujours eu cette volonté. Si à 16 ans, on m’avait proposé de signer 15 ans à l’OM, j’aurais accepté immédiatement. Je n'étais pas intéressé par l'école, je voulais uniquement vivre du foot.

Son début de carrière

Ça n’a pas été simple. Je me suis blessé en début de carrière. Le ménisque à Tours puis les croisés à Lorient. J'étais à Capbreton en rééducation quand Didier Ollé-Nicolle (aujourd’hui entraîneur d’Orléans en Ligue 2, ndlr) m’a appelé pour me dire qu’il me suivait depuis longtemps, qu’il croyait en moi. Il m’a dit : “Soigne-toi bien et tu auras du temps de jeu avec moi, tu vas te relancer”. Son discours m’a plu, je n’ai même pas négocié mon contrat, j’ai dit oui et je l’ai rejoint à Clermont. J’ai passé deux belles années, on a malheureusement manqué la montée en Ligue 1 lors du dernier match face à Arles-Avignon. C’est à cette époque que j’ai eu l’immense honneur d'être sélectionné en équipe nationale du Maroc. J’ai pu découvrir le niveau international alors que j’évoluais en Ligue 2. Mes prestations ont attiré l’attention de l’Udinese.

Udinese, première expérience à l’étranger

En Italie, la préparation d’avant-saison a été très, très dure. Je n’avais jamais autant couru et travaillé physiquement. Les premiers matches amicaux, je ne jouais pas. J’ai continué à bosser. Un week-end, un peu avant le début du Calcio, le coach nous a laissé 48h de repos, moi je suis allé voir un adjoint pour lui demander si quelqu'un serait là le lendemain pour me faire travailler. Il était surpris. Le lendemain, je suis allé m'entraîner, tout seul. Le coach Francesco Guidolin vient me voir et me demande ce que je fais là alors qu’il nous a mis au repos. Je lui ai dit : “Je dois travailler. Si je ne joue pas, c’est que je ne suis pas assez bon et que je dois m'améliorer alors je bosse.” Le lendemain, j’y suis retourné également. Pour l’anecdote, six-sept ans après, à Munich où je l’avais invité à assister à un match de Ligue des Champions, Guidolin m’a reparlé de cet épisode. Il avait dit à ses adjoints à l’époque de se souvenir de moi car j’irais très loin avec la mentalité que j’avais. Le premier match de championnat arrive, je ne joue toujours pas. Dans la semaine, un défenseur se blesse. Deuxième journée, je suis titulaire pour mon premier match de Serie A à San Siro face à l’inter Milan de Samuel Eto’o. Pas mal comme début, non ! C’était énorme. J’ai fait un bon match, j'ai joué le suivant puis je n’ai plus quitté l’équipe. J'ai joué 35 matches. Nous avons fini troisièmes. J’ai été élu dans les révélations de la saison en Série A. L'Udinese est reconnue pour repérer des talents et quand on joue là-bas, on est très surveillé par les autres équipes. Chaque année, j’avais des sollicitations mais on me demandait de rester encore un peu. Le PSG me voulait vraiment par exemple mais Udine ne voulait pas me vendre. Je l'ai accepté. J’ai toujours été bien traité par la famille Pozzo. Chaque année, elle me prolongeait d'un an. La troisième année, j’ai moins joué car je me suis blessé.

L’AS Rome, une expérience trop courte

C’est alors que l’AS Rome m’a sollicité. J’ai rencontré le directeur sportif Walter Sabatini. Il m’a dit : “On prend trop de buts, je veux un guerrier, un leader pour commander ma défense centrale. On vise l’Europa League. Tu t’en sens capable ?” Je lui ai répondu que je voulais être ce mec-là. J’ai adoré jouer à Rome. C’est tout ce que j’aime : la folie quand tu gagnes, le feu quand tu perds. Moi, j’ai besoin de ça. J’aime cet environnement. Nous avons commencé la saison avec dix victoires, un record inégalé. Nous avons fini la saison avec 85 points. Il n’y avait que la Juve qui pouvait faire mieux que nous. Je ne suis resté qu’une saison à Rome. Ce n'était pas du tout prévu comme ça. J'étais tellement bien qu’au mois de janvier, j’ai acheté une maison à Rome car je pensais y rester longtemps. Malheureusement, les choses se sont compliquées et j’ai dû partir mais ce n’était pas du tout mon souhait au départ. J’ai vraiment adoré jouer à l’AS Rome. Aujourd’hui encore, beaucoup de supporters que je croise ont du mal à croire que je n’y ai joué qu’un an.

Mehdi Benatia et Francesco Totti
Mehdi Benatia et Francesco Totti

Le Bayern Munich, un autre monde

A l’été 2014, je dois signer avec Manchester City normalement. On se met d’accord puis Rome a demandé 65 millions d’euros de transfert. Ensuite, le Bayern Munich a accéléré. Avant de signer au Bayern, j’avais demandé des renseignements à Franck Ribéry mais c’est quand même très impressionnant. Quelle organisation ! Tu es mis dans les meilleures dispositions, tu as des gens compétents à ton service pour t’aider et faire en sorte que tu sois le plus performant possible. Le Bayern est un très grand club. Je suis arrivé blessé au mollet. Je me souviens de la veille de notre premier match de Ligue des Champions face à Manchester City. Pep Guardiola, qui ne parle pas souvent, vient me voir et me dit :

“-Tu es à 100% ?

-Non coach, vous savez bien que j’ai un souci au mollet mais ça va.

-Tu es prêt à combien de % ?

-Je sais pas. 60/70%.

-Ok ! Prépare toi, tu commences demain !”

Manchester City de Nasri, Dzeko, David Silva, Agüero.. J’ai joué, j’ai fait un bon match et je suis sorti à la 85e, j’ étais “HS”, j’avais des crampes au mollet. Mais ça s’était bien passé. Je jouais tous les gros matches, j'étais parfois au repos sur les autres. Puis je me suis blessé et j’ai rechuté. J’avais du mal aussi avec la vie en Allemagne. À la fin de ma première saison, je suis allé voir M. Rummenigge (un des dirigeants du club, ndlr) et je lui ai demandé de me laisser rentrer en Italie où j'avais des offres. Refus catégorique. Il m’a dit qu’il comptait vraiment sur moi, que le Bayern avait besoin de moi. Il m’a dit de serrer les dents et que si ça n'allait pas mieux l’année suivante, il m’aiderait à trouver ce qu’il y avait de mieux pour ma famille. J'avais sa parole. J'ai moins joué la deuxième année, toujours à cause de soucis physiques. L’été suivant, le Bayern aurait pu me vendre bien plus cher, en Angleterre notamment, mais le club a tenu sa parole. J’aime les gens comme ça. Je ne dirai jamais de mal du Bayern qui est un top, top club ni de M. Rummenigge qui est un grand monsieur que je respecte énormément.

« Quand j’ai enfilé le maillot du Bayern pour la première fois, j’ai été choqué »

Je n’ai jamais connu une telle qualité aux entraînements comme ceux du Bayern. Je suis arrivé à Udine de Ligue 2 puis ensuite j’ai joué à la Roma. Mais je n’avais pas été surpris comme ça en arrivant. J’ai été choqué par la qualité et l’intensité des entraînements. Même sur les petits jeux, c’est du très, très haut niveau. Et il y a autre chose qui m'a choqué, c'est le poids de ce maillot. La première fois que je l’ai enfilé, j’ai ressenti un truc incroyable, le poids d’un très grand club. Quand tu enfiles ce maillot, tu ressens de l’exigence : tu portes le maillot du Bayern Munich. Parfois, tu as des bons joueurs de Ligue 1 ou autres et tu entends : “Il pourrait jouer au Bayern, il a le niveau.” La vérité est que c’est très puissant et spécial de jouer pour ces clubs-là. C’est autre chose. Tout le monde ne peut pas jouer au Bayern, loin de là. Arriver à performer et à rester au niveau de ces très grands clubs, c’est très difficile.

Franck Ribéry et Mehdi avant un match entre le Bayern Munich et Stuttgart en 2014
Franck Ribéry et Mehdi avant un match entre le Bayern Munich et Stuttgart en 2014

Franck Ribéry

C’est vraiment est un très grand joueur. Le meilleur joueur étranger de l’Histoire de la Bundesliga. Tout simplement. C’est un très grand joueur. Quand tu as fréquenté le niveau de ces très grands clubs, tu as encore plus de respect pour Franck Ribéry qui enchaîne les top saisons dans un top club. Ce qu’il a accompli dans un club comme le Bayern pendant des années, c’est exceptionnel ! Je l’ai côtoyé, c’est un super mec et un grand professionnel, un gros bosseur. Les gens ne savent pas que Franck est un mec qui bosse. Il lui arrivait de m’appeler à 21h le soir pour me proposer d’aller faire du “cardio” ou une séance de musculation. Son niveau d’intensité, de courses tout au long de ces années, c’est le fruit d’un gros travail. Rester aussi longtemps à ce niveau ne peut pas être un hasard, il faut le savoir. L’empreinte qu’il va laisser au Bayern est immense. Je suis certain que les supporters vont lui témoigner tout l’amour et le respect qu’ils ont pour lui lors de son dernier match. Ce sera un grand moment. Je pense que ceux qui l'ignorent vont constater qui il est pour les supporters du Bayern.

Le retour en Italie, à la Juventus Turin

J’avais quelques offres, j’ai choisi celle de la Juve. La première année a été difficile puis la deuxième, j’ai joué et j'ai fait une belle saison. Par rapport à l’AS Rome où je n’avais que le championnat, c'était différent. Avec la Juve, il y avait aussi la Ligue des Champions. J’ai été performant, on a aussi gagné la Coupe d’Italie face au Milan AC, avec un doublé pour moi.

Medhi Benatia le 11 novembre dernier face au Milan AC
Medhi Benatia le 11 novembre dernier face au Milan AC

Son départ de la Juve

Depuis quelques semaines, la Juve et moi discutions d'une prolongation. J'avais même lancé des recherches pour acheter un bien immobilier car je pensais finir ma carrière à Turin. Quand j'ai appris que Leo (Bonucci) allait revenir, je suis allé voir le coach, M. Allegri. Nous étions en stage aux Etats-Unis. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter, que je pouvais prolonger à la Juve, que pour lui sa charnière c'était Chiellini / Benatia, que “Leo” était parti de façon particulière l'année précédente, qu'il avait fâché des gens et qu'il allait devoir regagner sa place. Ok. Quand arrive la saison, je ne joue pas. Je ne suis même plus dans la rotation. Je l'ai très mal pris. J'ai dit aux dirigeants que je ne prolongerais pas et que surtout je ne voulais plus jouer pour ce coach. Ni le temps ni les tentatives de mes coéquipiers dont je suis très proche ne pouvaient me faire changer d’avis. Je ne voulais plus jouer et c'est à ce moment que j'ai envisagé de partir loin de l'Europe pour vivre une nouvelle expérience avec ma famille.

Son rôle en sélection du Maroc

Je suis joueur, capitaine mais je ne suis pas un grand frère qui est au dessus des autres. Par contre, avec tout ce que nous avons vécu ensemble, je considère que nous sommes une famille. On a créé un groupe Whatsapp sur lequel on échange et on est là les uns pour les autres. Ma porte est toujours ouverte. Jour et nuit, je suis là si on a besoin de moi. Tout le monde le sait. Je ne suis pas du genre à intervenir sans qu'on me le demande mais tu peux compter sur moi si nécessaire. Par exemple, quand Hakim Ziyech est venu me voir pour me parler de l'AS Rome qui le voulait, je lui ai donné beaucoup d'informations et je l'ai encouragé à y aller. Et j'ai même appelé “le Capitano” (Francesco Totti) qui est mon ami pour lui dire qu'ils avaient bien raison d'essayer de faire Hakim. Grâce à Dieu, j'ai connu des grands clubs et si mon expérience peut être utile à un coéquipier, je le fais avec grand plaisir.

Le moment le plus fort de sa carrière

Il s’agit du match de qualification du Maroc pour la Coupe du Monde 2018. Nous jouons un match décisif face à la Côte d’Ivoire. Mais quand ce match arrive, je suis blessé et “out” depuis sept matches. J'ai du mal à poser le pied par terre. Je rejoins la sélection parce que je me dis que c'est ma place, que je peux aider et être utile à préparer la rencontre. Je ne m'entraine pas jusqu'à la veille du match. Je ne fais que 30 minutes d'entraînement collectif. Mais l'envie est trop forte, je suis prêt à souffrir. Je joue le match très diminué - ça se voyait à ma démarche - je serre les dents, on gagne 2-0 et j'ai même la chance de marquer. Cette qualification est le plus grand moment de ma carrière ! Les Marocains attendaient ce moment depuis 20 ans, c'était un sentiment très très fort d'avoir participé à cette chose-là.

La génération 87

Je suis né en 1987, j'ai connu Jérémy Ménez à 12 ans car nous avons grandi dans l’Essonne tous les deux. J'ai ensuite côtoyé tout le monde, que ce soit à l'INF Clairefontaine, en sélection ou au centre de formation de l'OM. Hatem Ben Arfa, Samir Nasri, Jérémy Ménez ou Karim Benzema sont des surdoués, pas moi. Moi, je suis un bon joueur. J'étais numéro 10 à l'époque, je n'ai reculé qu'à 16 ans. Je connais très bien Samir, c'est mon ami. Je l'ai vu à 17 ans quand il est rentré chez les pros. Toute la ville parlait de lui, l'enfant de Marseille, le successeur de Zidane, etc.. Samir, il est rentré, il a dribblé trois mecs et décoché une frappe derrière. Boum ! Tu imagines la personnalité qu'il faut pour faire ça ? Samir avait aussi ça, une grosse personnalité. Je pense que le football n'a vu que 60% de Samir Nasri. Il a fait une belle carrière, il a joué à Arsenal, à Manchester City, en équipe de France, il a été élu dans l'équipe type de Premier League en 2010. Mais on a vu que 60% de Samir. 100% de Samir, c'était le top niveau mondial, j'en suis certain. Le football n'a vu aussi que 60% de Hatem. Il était capable de dribbler tout le monde. Il fallait trois ou quatre défenseurs pour l'arrêter, c'était dingue. Le foot a vu 60 % de Nasri, 60% de Ben Arfa. Mais 100% même 200% de Benatia ! (rires)

Cristiano Ronaldo

Il est unique, je n'ai jamais croisé quelqu'un d'autre comme lui et je ne sais même pas si ça existera un jour. "Cri" a dédié sa vie au football. C'est sa priorité. Chaque chose qu'il fait est voué à le rendre le plus performant en tant que joueur de football. C'est le plus gros travailleur que tu puisses croiser. C'est incroyable. Son niveau d'exigence, son intensité permanente : c'est du jamais vu. Il est en mission. Fin décembre, nous avons joué à Bergame. Il était au repos et n'a joué que 20 minutes ce qui ne l'a évidemment pas empêché d'être décisif. On rentre et dans le bus, lui était devant, moi derrière, je reçois un message de “Cri” qui me demande ce que je vais faire maintenant. Le match était terminé, il faisait nuit noire :

“Je rentre chez moi retrouver ma famille. Pourquoi ?

-Je vais aller à la salle faire une séance de cardio et de musculation.”

Il a été faire 1h30 de sport. Voilà pourquoi CR7 est CR7.

Cristiano Ronaldo, à droite, aux côtés de Mehdi Benatia, à Bergame en décembre 2018
Cristiano Ronaldo, à droite, aux côtés de Mehdi Benatia, à Bergame en décembre 2018

Son parcours

Je savais quelles étaient mes qualités et aussi mes faiblesses. J'avais conscience que je devrais travailler plus que d'autres pour arriver à un certain niveau. Je suis quelqu'un de déterminé, c'est un trait important de mon caractère. Quand je veux quelque chose, je bosse jusqu'à ce que je l'obtienne. J'étais prêt à faire le nécessaire, j'ai toujours été comme ça. A la fin de ma première saison à Udine par exemple, je suis parti à Marrakech. Par relation, je me suis fait ouvrir le stade. J'ai pris un préparateur physique et tous les jours, par 40 degrés, je suis allé m'entraîner. Personne ne le savait. Et toute ma carrière, j'ai bossé.

Je n'ai jamais vraiment réfléchi ou analysé mon parcours. C'est vrai qu'à une époque, mon agent me disait : "Lundi, je rencontre le Barça pour toi" ou "Manchester United veut me voir". Je ne sais pas. Je ne dis pas que je trouvais ça normal mais j'étais concentré sur mes performances. C'est amusant car je vois parfois mon fils qui regarde mes buts ou des actions sur sa tablette. A aucun moment, je ne me suis posé et ai réfléchi à tout ça. Pas encore. Peut-être que dans cinq ou dix ans, je me poserai et je me dirai : "C'est pas mal ce que tu as fait quand même !"

Manu Lonjon