Mes carnets australiens (IV) - « 1 500 Euros pour perdre une finale »

L’enquête parue dans L’Equipe sur la corruption dans le tennis via les sites de paris en ligne, a résonné jusqu’à Melbourne. Rencontre avec Hugo Nys, très au fait du problème, pour avoir longtemps évolué sur les circuits secondaires. Ses propos font froid dans le dos.

J’avoue avoir été un peu estomaqué après avoir parlé, avec quelques confrères, à Hugo Nys, qui disputait le double associé à Benoit Paire, ici à l’Open d’Australie. Ce joueur français de 27 ans, qui n’a jamais vraiment percé en simple (349e au mieux), s’est en revanche reconverti avec un certain succès dans le double où il occupe cette semaine la 79e place mondiale. Il vient d’ailleurs de remporter un titre, en Challenger, à Canberra.

Le propos était de le faire réagir à l’enquête parue ce matin dans L’Equipe sur la corruption dans le tennis via les sites de paris, plus particulièrement sur les Futures et Challenger, ainsi qu’à l’interpellation au tournoi de Bressuire de deux joueurs français Jules Okala, 21 ans (381e mondial à son meilleur en 2016) et Mick Lescure, 25 ans (487e en 2018), soupçonnés d’avoir perçu de l’argent en échange de la perte d’un set sur un score précis lors de tournois Futures et Challengers.

A écouter Hugo Nys, on prend mieux conscience de l’ampleur du désastre, de cette véritable gangrène qui gagne le tennis pro de deuxième et troisième division :

« Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de joueurs qui n’ont pas été approchés via les réseaux sociaux pour perdre un match, un set ou une finale. Cela m’est arrivé deux ou trois fois, j’ai tout de suite prévenu le juge-arbitre. On m’a proposé 1500 Euros pour perdre une finale. Ça arrive toutes les semaines, partout dans le monde, et il y en a qui ne réfléchissent pas trop et se disent que si on leur propose une belle somme dans ce monde où il a tant de matches, ils ne vont pas se faire choper. Il y en a donc qui n’ont pas beaucoup réfléchi et vont le payer (…) Tous les matches du monde en Future, même les qualifs sont sur les sites de pari, c’est quand même ça, la question. Est-il normal qu’un type en Ouzbékistan puisse parier sur un match de qualif en Turquie ? Il n’y a aucun contrôle sur l’accès à ces tournois et ça ne m’étonne pas qu’il y ait un bordel pas possible à cause de ça. Alors oui, les joueurs en Future ne gagnent pas leur vie. Après ils savent que c’est de la triche, ils prennent le risque…

Les menaces, c’est ce que l’on reçoit le plus, c’est après chaque défaite. Cinquante défaites par an, c’est 150 messages d’insultes (de la part des parieurs furieux, NDRL), on te promet qu’on va violer ta copine, on te souhaite d’avoir un cancer, c’est incroyable. On subit ça, personne ne fait rien et les matches du circuit secondaire continuent d’être exposés. Mais ces messages d’insultes, c’est incroyable. Parfois il y a Dustin Brown qui partage ça sur internet mais personne d’autre ne le fait. (…) Moi je n’ai jamais été menacé physiquement mais quand on te dit qu’on sait où habite ta copine et ou qu’on te dit vouloir te tuer, le tout souvent dans un anglais pas terrible, ça devient des menaces sérieuses. Alors on peut le signaler deux trois, quatre fois mais il n’y a pas une guerre qui est menée contre ça. Cela dit, au bout d’un moment, ces messages ne font plus rien. Mais ils sont là quand même. »

Entre tentative de corruption via les réseaux sociaux ou en allant les voir directement -dans les tournois Future, c’est porte ouverte, évidemment- le quotidien des joueurs du circuit secondaire a pris un drôle de tour avec la digitalisation du monde, situation à laquelle il faut donc ajouter les insultes à répétition -merci Facebook, merci Twitter- comme le raconte très bien Nys.

Les interpellations de ces deux joueurs français et d’un mafieux arménien domicilié en Belgique, la création de la Tennis Integrity Unit en 2008, la politique volontariste de la FFT dans ce domaine, montrent que les autorités du jeu ont pris conscience du danger. Mais peut-on lutter contre pareille pieuvre ? Peut-on juguler un fléau qui s’affranchit des frontières grâce au numérique ? Peut-on confondre des délinquants cachés derrière leur ordinateur et des adresses IP ? Je ne le crois pas.

Il en va des paris en ligne comme du dopage. On ne peut pas faire les choses à moitié. Faut-il les supprimer sur les tournois Future et Challenger afin de couper l’herbe sous le pied aux fauteurs de trouble ? C’est une idée, tout en sachant que cela pourrait déplacer puis renforcer le problème sur le grand circuit, où ce mal existe aussi forcément, mais de manière moins forte, puisque les accès à ces tournois sont compliqués. Une chose est sûre, les autorités du tennis ne doivent pas se comporter comme celles du cyclisme avec le dopage. Pas de politique de l’autruche ! Même si aujourd’hui ces sites de paris sont devenus, en une décennie, une force économique incroyable et -c’est le monde à l’envers- le sponsor de certains tournois…