Moins de contacts avec la famille, privés de voyage: les seniors en plein blues

Un senior à Strasbourg le 18 mars 2020, pendant le confinement (photo d'illustration) - Patrick Hertzog-AFP
Un senior à Strasbourg le 18 mars 2020, pendant le confinement (photo d'illustration) - Patrick Hertzog-AFP

Elles avaient une retraite active, gardaient régulièrement leurs petits-enfants ou adoraient voyager mais la crise de la Covid-19 a mis un coup de frein à ces sémillants seniors. Pour nombre d'entre elles, annuler les sorties qui étaient prévues et ne plus embrasser leurs proches est un crève-cœur.

Des retrouvailles amères

C'est le cas de Denise*, 74 ans, trois enfants et cinq petits-enfants, qui réside seule dans sa maison d'une commune d'Île-de-France. Le plus difficile pour la septuagénaire: être privée de sa famille - l'un de ses fils vit en Allemagne, un autre en Bourgogne et le troisième au Royaume-Uni. "Je devais aller à Londres garder mon petit-fils mais là c'est impossible à cause de la quatorzaine, raconte-t-elle à BFMTV.com. D'habitude quand j'y vais, j'aide mon fils et ma belle-fille. Ça n'a aucun sens si je ne peux pas emmener le petit à l'école, aller le chercher et rendre service."

Si elle a pu voir en chair et en os cet été tous ses enfants et petits-enfants, leurs retrouvailles ont été teintées d'amertume. Car son fils qui vit au Royaume-Uni a dû partir en catastrophe mi-août, une semaine plus tôt que prévu, lorsque les autorités britanniques ont annoncé la mise en place d'une quarantaine pour tous les voyageurs revenant de France.

"Quand ils étaient là, je me disais: j'emmagasine ces moments de bonheur, tu ne sais pas quand ça va se reproduire'. J’avais conscience que les avoir tous à la maison ne se reproduirait pas de sitôt."

Denise s'est rendu en Bourgogne début septembre chez l'un de ses fils pour aider la petite famille lors de la rentrée. "Ce séjour m'a fait beaucoup de bien, reconnaît la grand-mère. Depuis le confinement, je tournais au ralenti. Ça m'a obligé à reprendre un rythme, emmener les filles à l'école, aller les chercher, j'ai vu les choses de façon plus légère." Si elle reste inquiète pour Noël et craint que de nouvelles retrouvailles ne soient plus possibles, elle tente de positiver. "Je croise les doigts."

Selon un récent sondage Ipsos réalisé pour un groupe de maisons de retraite, quelque 80% des plus de 65 ans disent bien vivre leur âge, un taux en hausse malgré une année 2019 marquée par la crise de la Covid-19 et le confinement. Mais si la vie reste une source de plaisir pour sept seniors sur dix, ce chiffre est en baisse.

"On a beau se parler au téléphone, ce n'est pas pareil"

Lucienne*, 81 ans, deux filles, cinq petits-enfants et deux arrière-petits-enfants, voit elle aussi beaucoup moins sa famille depuis le début de la crise sanitaire. "Mon deuxième arrière-petit-fils est né au mois de mai, je ne l'ai pas encore rencontré", regrette-t-elle pour BFMTV.com. Peut-être le verra-t-elle pour les fêtes de fin d'année, "je l'espère".

"J'ai des photos, des vidéos, on a des contacts, je n'ai pas tout perdu. Mais on a beau se parler au téléphone, ce n'est pas pareil."

L'octogénaire a tout de même récemment organisé "un petit repas" dans son jardin avec une partie de sa famille - tout "en gardant nos distances", précise-t-elle. "Je reçois quand même, sinon ça serait triste." Mais elle qui réside seule dans son pavillon d'un petit village de Seine-et-Marne a beaucoup réduit le nombre de ses contacts.

Selon le sociologue Serge Guérin, spécialiste des questions relatives au vieillissement et des enjeux de la seniorisation de la société, l'isolement n'est pas tant lié à l'âge mais aux différents modes de vie. "Ce n'est pas la même chose si l'on vit seul ou en couple", analyse-t-il pour BFMTV.com.

"Quoi qu'il en soit, les seniors restent plus que les autres en besoin de lien. Et plus que les autres, ce lien est réduit pour les protéger avec en plus une forme d'infantilisation. Comme s'ils n'étaient pas capables de décider par eux-mêmes alors qu'ils sont particulièrement vigilants. Pour eux, c'est la triple peine. En plus de la Covid et de l'isolement, on les prend pour des irresponsables."

Ne plus les embrasser, "ce n'est pas drôle"

Pas évident d'entretenir les liens quand il faut garder ses distances. Avec ses voisins, Lucienne échange bien quelques mots mais le plus souvent à travers le grillage. Maryse*, 74 ans, est l'une d'entre elles. Elle habite en face de chez Lucienne et a été autorisée à franchir la clôture pour une partie de scrabble sur la pelouse. Elle aussi souffre du manque de ses deux petits-enfants. "Le plus dur, c'est de ne pas les embrasser, ce n'est pas drôle", confie-t-elle à BFMTV.com.

La septuagénaire est tout de même partie cet été une semaine avec sa petite-fille de 9 ans. Mais sans bisou, en village vacances et avec restauration collective. De quoi l'empêcher de dormir la nuit, elle qui n'a déjà pas un bon sommeil.

"Tout était bien organisé, il y avait des distributeurs de gel hydroalcoolique, les distances entre les tables étaient respectées. Il n'y avait que pour les entrées que c'était un self. Mais les deux semaines qui ont suivi les vacances, je n'étais pas tranquille et je guettais le moindre symptôme, la moindre toux."

Maryse devait également partir à Rome et à Naples en début d'année prochaine avec son petit-fils de 15 ans - séjour déjà annulé une première fois à l'automne dernier après s'être fracturée la hanche - mais elle est au regret de ne pouvoir encore réserver. "Je ne vois pas comment la situation pourrait être différente d'ici les vacances de février. On n'ose plus faire de projet, moi qui prévoyais mes voyages d'une année sur l'autre. Mon petit-fils m'a dit: 'ce n'est pas grave, j'irai en Italie quand je serai majeur'. Mais moi, j'aurais bien aimé partir avec lui."

"Ça gâche le plaisir"

Maryse devait également partir pour deux autres séjours - l'un consacré à la randonnée, l'autre au patchwork - mais ils ont été annulés. Si elle s'est tout de même rendu plusieurs fois au restaurant et a repris ses ballades hebdomadaires avec son groupe de marche, ce n'est pas l'esprit tranquille. "Je sors quand même, je vois quand même quelques amies mais en culpabilisant et en me disant que je ne devrais pas être là. Ça gâche le plaisir."

Celle qui avait avant la crise de la Covid une vie sociale bien occupée s'est ainsi fixée des limites: elle ne participe pas aux pique-niques qui clôturent les randonnées en forêt de Fontainebleau ni aux repas et animations organisées par sa commune, elle qui avait pourtant l'habitude de ne jamais manquer une occasion de faire la fête.

À défaut de revoir enfants et petits-enfants, Denise a quant à elle repris ses activités: yoga et aquagym. Mais depuis la rentrée, les cours sont clairsemés. Elle non plus ne trinquera pas au repas des anciens organisé par sa commune.

"Ça me fait mal au cœur"

Françoise*, 65 ans, a elle aussi a dû tirer une croix sur ses voyages au Tyrol et à Madère qui étaient pourtant réservés et payés. "Ça me fait mal au cœur", témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Pour l'instant, tout est reporté à 2021. Elle se dit un peu agacée par le relâchement de certains, notamment les plus jeunes, dans l'application des gestes barrières - le taux de positivité augmente plus rapidement chez les jeunes. "Ils disent qu'ils ne veulent pas être privés de leur jeunesse, mais ils ont plus de temps devant eux que nous!"

Elle qui projetait également de partir en Ouzbékistan et en Inde du Nord ronge son frein en faisant des travaux dans son nouveau domicile et en préparant son déménagement. "J'ai dû être rapatriée d'Indonésie quand mon père est tombé malade. J'ai soigné mes parents pendant vingt ans, je ne pouvais plus voyager. Ça m'a beaucoup manqué."

Pour le sociologue Serge Guérin, certains seniors peuvent en effet avoir le sentiment que le temps est compté. "À 20 ans, on peut facilement reporter un voyage à l'année suivante. À plus de 75 ans, c'est moins assuré. Cela crée un sentiment ambivalent: s'ils sont prudents, ils ont tout de même conscience qu'il leur reste moins de temps. Ce qui pousse certaines personnes plus âgées à se dire 'si ça doit arriver, ça arrivera'."

"Si je ramasse le virus, eh bien je le ramasse"

Denise*, 95 ans, qui habite seule une grande maison dans la campagne du gâtinais, se résigne. "Le médecin m'a dit que si j'attrapais le virus, on ne pourrait pas me sauver", assure-t-elle à BFMTV.com. Alors elle aussi limite ses contacts avec l'extérieur, à contrecœur. Depuis plusieurs mois, son voisin lui fait ses courses et la coiffeuse se déplace à domicile. "Je ne vois plus personne. Les gens ont peur du virus, même mes voisines ne viennent plus. Je vis en sauvage, en recluse."

Elle s'occupe avec son caniche, ses poissons et ses perruches - "c'est joli à voir" - mais l'entrain n'est plus là. "Je m'ennuie beaucoup, les journées sont longues." La nonagénaire ne reçoit plus que la visite quotidienne de son infirmier pour changer un pansement au nez. Elle qui aimait pourtant se promener avec son chien n'ose plus faire sa ballade habituelle. Il y a deux jours, elle s'est tout de même accordée une sortie "pour la première fois depuis des mois" pour faire gambader le canidé. "Ça m'a fait du bien", reconnaît-elle.

"C'est bien malheureux, cette histoire de virus. Ça détruit tout entre les gens, c'est comme si on ne s'aimait plus. On ne se touche plus, ou avec les coudes, c'est ridicule. On nous répète que nous, les personnes âgées, on est à risque, qu'il faut qu'on se protège, qu'on doit faire attention. Mais moi, à bientôt 96 ans, je suis bien amortie. Si je ramasse le virus, eh bien je le ramasse."

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Article original publié sur BFMTV.com