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Mort d'Yvan Colonna: quelles suites après la publication du rapport pointant des "dysfonctionnements"?

Après six mois d'auditions, durant lesquels 71 personnes ont été entendues, la commission d'enquête parlementaire a publié son rapport sur les "dysfonctionnements" de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire qui ont conduit à l'agression mortelle d'Yvan Colonna à la prison de Arles, le 2 mars 2022. Si le travail des députés est terminé, plusieurs enquêtes judiciaires et administratives, ainsi qu'une plainte de la famille, sont toujours en cours.

Sur plus de 200 pages, le rapport de la commission d'enquête parlementaire pointe les "défaillances", les "inactions" et les "erreurs" des autorités qui ont participé à la mort du militant indépendantiste corse, étranglé et étouffé pendant près de huit minutes par un autre détenu, Franck Elong Abé, un homme radicalisé de 36 ans.

Des recommandations "utiles" au milieu carcéral

Le rapport met en parallèle la "sévérité" du traitement carcéral imposé à Yvan Colonna - le refus de lever son statut de "détenu particulièrement signalé" (DPS) malgré un "bon comportement", empêchant ainsi son transfert vers une prison corse - et les "mansuétudes" dont a au contraire bénéficié Franck Elong Abé, également DPS.

Mais en plus de ses conclusions, la commission d'enquête parlementaire a formulé vingt-neuf recommandations, réparties en trois axes : la "réforme impérieuse" du statut de DPS, le "renforcement de la détection et de la surveillance des détenus radicalisés dangereux", et l'amélioration de la prise en charge de "ceux présentant des troubles psychiatriques".

"Il s'agissait d'un travail de justice et de vérité sur l'enchaînement des faits, mais aussi de tirer les conclusions sur les conditions carcérales françaises. Il faut que ces manquements, que ces fautes, qui ont conduit à la mort d'Yvan Colonna ne se reproduisent plus", explique à BFMTV le président de la commission Jean-Félix Acquaviva (député Liot de la Haute-Corse), qui espère que ces recommandations entraîneront un changement de politique publique.

"Il faut que ces recommandations soient prises en compte, qu'elles soient utiles au milieu carcérale, c'est aussi le but de cette commission d'enquête", ajoute l'élu.

"Nourrir" l'enquête judiciaire

L'autre but, selon le député de la Haute-Corse, c'est que ce rapport "nourrisse l'enquête judiciaire". Après le décès d'Yvan Colonna, le 21 mars 2022, Franck Elong Abé a été mis en examen pour "assassinat en relation avec une entreprise terroriste". Jean-Félix Acquaviva espère que ce rapport pourra servir de contribution à l'enquête judiciaire et permettre ainsi de faire la lumière sur "les zones d'ombres restantes".

"Il y a un enchaînement de faits, d'actes de gestion et d'omissions qui sont très troublants", estime le président de la commission d'enquête.

Parmi ces questions sans réponses, celle des "mansuétudes" dont a bénéficié Franck Elong Abé, qui avait pourtant le statut DPS ("détenu particulièrement signalé"). "Il n'aurait jamais dû être en détention ordinaire, ni être autorisé à travailler au service général. C'est le seul détenu DPS de France qui avait une liberté de mouvement, c'est un cas exceptionnel", dénonce le député corse.

Car à l'inverse, le traitement carcéral d'Yvan Colonna, lui, était d'une grande "sévérité", critique le rapport, évoquant notamment le refus de lever son statut de DPS malgré un "bon comportement", empêchant ainsi son transfert vers une prison corse. "Il préexistait une haine, une rancœur, en raison du traumatisme du préfet Erignac", dénonce l'élu, qui regrette "deux poids deux mesures". "On a eu deux parcours en miroir, il faut comprendre pourquoi", ajoute-t-il.

Le député espère aussi que ce rapport permettra à l'enquête judiciaire de faire la lumière sur un autre point: les raisons du geste de Franck Elong Abé. Deux thèses avaient été évoquées. D'abord, celle d'un blasphème d'Yvan Colonna, qui aurait déclaré qu'il "crachait sur Dieu".

"Au vu de nos auditions, on la considère peu probable", précise Jean-Félix Acquaviva. L'autre thèse, c'est celle identifiant Franck Elong Abé comme "source du renseignement pénitentiaire". Mais elle a été explicitement démentie par le chef de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP) de Marseille.

"On en appelle maintenant à l'enquête judiciaire pour faire toute la lumière. Il faut qu'elle ne soit pas bâclée, qu'on explore toutes les pistes", réclame Jean-Félix Acquaviva.

Une plainte contre l'État

De son côté, l'Inspection générale de la justice (IGJ) a déjà conclu, en juillet dernier, à des "manquements" de la part d'un surveillant et de l'ex-directrice de la prison, en poste jusqu'à dix jours avant l'agression. Selon elle, le surveillant chargé de l'aile où se trouvait Yvan Colonna a fait preuve d'un "net défaut de vigilance" en restant "sans aucun motif" éloigné du lieu des faits. Concernant l'ancienne cheffe d'établissement, l'IGJ pointe "l'insuffisance" de son management et l'absence de "gestion appropriée" des commissions d'évaluation de la dangerosité des détenus.

Et pour la famille d'Yvan Colonna, ça ne fait pas de doute, "l'administration pénitentiaire est juridiquement responsable de son décès". Cette dernière a déposé plainte contre l'État début avril 2022.

Reconnaissant sa responsabilité dans le décès du militant indépendantiste corse, l'État a proposé mi-novembre près de 240.000 euros aux membres de la famille, parmi lesquels les parents d'Yvan Colonna et ses deux enfants. "Une partie des requérants a accepté cette proposition, mais l'action est toujours en cours", avait expliqué fin mai Me Patrice Spinosi, avocat de la famille.

Article original publié sur BFMTV.com