Tribunes libres !

"On n'oublie pas" : la banderole des Ultras parisiens après l'éliminations contre Manchester United en 2019 (Photo by FRANCK FIFE / AFP)
"On n'oublie pas" : la banderole des Ultras parisiens après l'éliminations contre Manchester United en 2019 (Photo by FRANCK FIFE / AFP)

A quoi ressembleront les stades de demain ? Il va de soi que les réponses diffèrent selon les points de vue et les interlocuteurs qui se penchent sur la question. Mais tous les acteurs du football français semblent paradoxalement assez d’accord sur leurs désaccords.

C’est déjà ça de pris me direz-vous. Sauf qu’à y regarder de plus près, on voit mal comment se sortir du merdier actuel.

Commençons par la Ligue et sa lutte acharnée pour des virages assagis. On y chasse le fumigène comme un sanglier lors d’une battue de décembre dans la forêt ardennaise. On y traque l’insulte, sous couvert d’une homophobie virtuelle que personne n’avait soupçonnée. Et on se planque derrière les préfets et les interdictions de se déplacer, décision symbole d’une incompétence à gérer 500 personnes qui pourraient troubler la dégustation de petits-fours dans un salon VIP.

Il n’est plus rare de voir certains clubs condamner cette traque tout en la cautionnant secrètement. Car sachez-le, le supporter est une espèce envahissante et souvent dérangeante.

Un spectateur aux revendications assumées et affichées, qui n’hésite pas à siffler une star à 222 M€, à réclamer la démission d’une direction Champions Project, à bouder une partie de virage pour critiquer des tarifs trop élevés ou à mettre la pression sur un entraîneur fraîchement recruté.

Les supporters montrent leur mécontentement au sujet de l'OM Champions Project (Photo by GERARD JULIEN / AFP)
Les supporters montrent leur mécontentement au sujet de l'OM Champions Project (Photo by GERARD JULIEN / AFP)

C’est ainsi que vivent nos tribunes. C’est ainsi que bat le cœur de nos stades. N’en déplaise aux pisse-froid et aux grincheux, de plus en plus nombreux à assimiler le supporter à un incontournable indésirable. Un paria indispensable, aussi précieux que détestable. Un emmerdeur à qui l’on accorde le droit de chanter mais surtout pas de s’exprimer. D’encourager mais sans penser.

Voilà donc le prototype rêvé du supporter moderne. Un troupeau de béni-oui-oui privés de cerveau, formatés pour consommer, engraissés à coup de maillots et de produits dérivés. Un public asservi, partie intégrante d’un club à condition d’accepter les règles et de s’y plier.

A quoi ressembleront les stades de demain ? Peut-être à ces salles de concert où l’on reste assis à filmer sur son smartphone plutôt qu’à chanter et danser. Peut-être à ses grands théâtres où l’on dort volontiers dans l’obscurité en attendant l’entracte. Ou à des cinémas sans âme noyés dans un silence angoissant.

On aimerait penser que non. Que les chants et les revendications auront toujours leur place dans les gradins. Que la chasse aux supporters, aussi féroce soit-elle, ne viendra pas à bout d’une espèce menacée par l’extinction de voix. Aujourd’hui, personne ne le sait. Même si la tendance actuelle n’est pas faite pour nous rassurer.

Nicolas Puiravau