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Orelsan, Nekfeu, Bosh... Pourquoi le cinéma s'est entiché des rappeurs

Le rappeur Kool Shen dans Overdose d'Olivier Marchal sur Prime Video. -  Amazon Prime Video
Le rappeur Kool Shen dans Overdose d'Olivier Marchal sur Prime Video. - Amazon Prime Video

Fianso dans Sous emprise, Kool Shen dans Overdose, Bosh dans Du crépitement sous les néons et bientôt Orelsan et Bigflo & Oli dans le prochain Astérix et Obélix: L'Empire du milieu... Plus que jamais, le rap français s'est imposé comme un vivier du cinéma hexagonal et une source d'inspiration privilégiée pour les réalisateurs.

Depuis le succès de JoeyStarr, doublement nommé aux César (pour Le Bal des actrices et Polisse), il n'est plus rare de voir des rappeurs sortir du ghetto des films de banlieues pour donner la réplique à de grands noms du 7e Art. Kool Shen a ainsi joué face à Isabelle Huppert un personnage inspiré de l'escroc Christophe Rocancourt dans Abus de faiblesse (2013) de Catherine Breillat.

Le jeune Sadek a partagé l'écran avec le monstre sacré du cinéma Gérard Depardieu dans le drame Tour de France (2016). Et Nekfeu a fait ses premiers pas dans Tout nous sépare (2017) avec Catherine Deneuve. Une pression qu'il a gérée avec une facilité déconcertante, se souvient le réalisateur Thierry Klifa: "Je ne l'ai jamais senti à la traîne. A la fin de la journée, Catherine Deneuve m'a dit, 'ça va, ça va le faire'."

"Une aura et un charisme naturel"

Les rappeurs ont l'avantage d'être à l'aise devant la caméra. "Dès les essais, Nekfeu était formidable", se souvient Thierry Klifa. "Il sait bouger. Il sait ce que son image projette."

"Les rappeurs ont l'habitude de se mettre en scène dans les clips", précise le duo FGKO, qui a dirigé Bosh dans le polar 'Du crépitement sous les néons'. "Ils ont déjà une aura et un charisme naturel. Ils n'ont pas peur de se mettre en avant dans la lumière."

C'est moins pour son image que pour sa voix qu'Orelsan a été choisi, en 2009, pour doubler le héros du film d'animation Mutafukaz (2018), souligne toutefois le réalisateur Run: "Il avait une voix moins grave qu'aujourd'hui. Plus fluette, plus aiguë. Je voulais ses intonations de voix bizarres. Ça m'intéressait par rapport à la morphologie de mon personnage, Angelino."

Choisir un rappeur apporte une dimension supplémentaire. La présence d'Orelsan face à des comédiens de doublage professionnels a renforcé dans Mutafukaz la tension entre le héros et ses ennemis: "Orelsan, en Angelino, offre un décalage avec les autres personnages en termes de musicalité des phrases et des mots", résume Run, qui s'est battu pour imposer le rappeur au casting. "Ça a été un point de friction."

"Faire autre chose que du rap"

Les rappeurs font du bien artistiquement au cinéma, et vice-versa. Driver, qui a décroché un rôle aux côtés de Sara Forestier et Roschdy Zem dans Une nuit (2012), l'a très rapidement compris, dès les années 1990, en voyant les stars du rap américain percer à Hollywood. Il y a vu une alternative, et une manière de changer les préjugés associés au rap: "Je voulais juste qu'on puisse faire autre chose que du rap."

Le cinéma permet à un rappeur d'élargir son public, mais aussi "de se prouver [qu'il] peut [jouer] plus que trois minutes dans un clip", souligne Driver. C'est aussi un défi professionnel: "Quand je rentre dans ce milieu, il faut que je me fasse un CV donc je ne le prends pas mal qu'on me propose des rôles assez secondaires et clichés. Je les accepte."

Vingt ans plus tard, la situation a évolué dans le bon sens. Une nouvelle génération de décideurs qui a grandi avec le rap en apprécie davantage les nuances que ses prédécesseurs. Devenue aussi la musique la plus écoutée en France, le rap peut peser dans le financement d'un projet. "La production te fait savoir que c'est bien d'avoir des personnalités, soit des acteurs connus, soit des rappeurs", précise le duo FGKO.

De "nique la police" aux rôles de policiers

Preuve que le rap est désormais plus accepté, le cinéma d'auteur ne l'ignore plus. Emmanuel Mouret a fait appel à JoeyStarr pour incarner dans Une autre vie (2014) un électricien qui tombe amoureux d'une célèbre pianiste. Quentin Dupieux a confié de petits rôles à Orelsan dans Au poste (2018) et à Roméo Elvis dans Mandibules (2021). L'époque où MC Jean Gab'1 jouait les truands dans Banlieue 13 (2004) est bien loin.

L'image traditionnelle du rappeur a été chamboulée à l'écran. Kool Shen et JoeyStarr, qui appelaient en 1993 à "niquer la police", se sont rangés du côté de l'ordre. Le premier a été colonel dans Soldat blanc (2014) et membre des stups dans Overdose. Le second a joué au policier dans La Tour Montparnasse infernale (2001), Nos amis les flics (2004) Polisse (2011) et Colt 45 (2014). Il a aussi été garde du corps dans Les Gorilles (2015).

D'autres rappeurs ont suivi leur exemple. Booba a refusé un rôle de proxénète dans Le Mac (2010). Médine a été avocat dans Je te veux moi non plus (2021) d'Inès Reg, MB14 chanteur d'opéra dans Ténor (2022) et Sams surveillant dans La Vie Scolaire (2019). Fianso a quant à lui livré une prestation très convaincante en champion d'apnée toxique dans Sous emprise, carton de l'automne sur Netflix.

La condition de Nekfeu

La discipline dont ont fait preuve Fianso ou Nekfeu sur leurs films a impressionné le milieu du cinéma et fait évoluer l'image des rappeurs. "Après avoir accepté le scénario, la seule condition que Nekfeu a posée et que je trouvais tout à fait légitime, c'est qu'il voulait faire des essais pour être sûr d'être à la hauteur de ce que j'attendais", raconte Thierry Klifa. "Il ne voulait surtout pas être ridicule."

"C'était une manière de se tester tous les deux et de savoir un peu ce qu'il avait dans le ventre, mais je ne me faisais pas trop de soucis", complète-t-il. "Je lui avais demandé de travailler avant le tournage avec une coach. Ils ont beaucoup, beaucoup travaillé ensemble. Et sur le tournage, c'était parfait."

"Ils jouent des rôles éloignés de ce qu'ils sont vraiment et c'est une évolution. Je trouve ça bien. Ça donne bon espoir pour l’avenir des rappeurs au cinéma surtout si ça commence à marcher", s'enthousiasme Driver. "Mon rêve, c'est de jouer un rôle éloigné de qui je suis vraiment, éloigné des gens qui m'entourent. Quand c'est arrivé, c'est le moment où j'ai le plus pris de plaisir."

Difficile de briser l'image

Mais l'époque où les rappeurs incarnaient systématiquement des truands n'est pas encore complètement résolue. Difficile de lutter contre les stéréotypes, surtout lorsqu'au cinéma un comédien se voit souvent confier un rôle en adéquation à son physique. "On n'a pas pris Bosh pour lui faire jouer un danseur du Crazy Horse", s'amuse le duo FGKO. "Mais maintenant qu'on sait qu'il est bon, on va lui proposer un rôle différent."

Si de nombreux rappeurs n'échappent pas aux films de banlieues, c'est un choix conscient, afin de conserver une crédibilité auprès de leurs fans. "C'est vrai que ça peut être compliqué pour un rappeur d'accepter de jouer quelque chose loin de son image dans le rap", concède le duo FGKO. Dans Du crépitement sous les néons, Bosh a refusé de tourner une scène où son personnage devait se faire gifler par sa mère.

"À un moment donné, il se prend un coup de pression de sa mère, qui lui met une gifle. On l'a fait une fois avec la gifle puis il nous a dit après d'arrêter. Ce n'est pas tant que ça lui avait fait mal, mais c'était pour sa street cred': si on le voyait se faire gifler dans le film, son public allait penser qu'il est faible. Aujourd'hui, tout est question d'image. Et tu ne peux pas faire n'importe quoi avec cette image."

Nekfeu, de son côté, n'avait "aucune exigence, aucune demande par rapport au personnage ou par rapport au scénario, aucun rapport particulier à son image de rappeur", insiste Thierry Klifa. Mais "il a demandé de se faire appeler au générique par son vrai nom, Ken Samaras, et non pas son nom de scène. Il y avait pour lui deux personnalités: d'un côté le rappeur et de l'autre l'acteur. Il n'était pas Nekfeu sur ce film, mais Ken."

Booba vs. Kaaris en streaming

Si le chemin à parcourir reste encore long - en particulier pour les rappeuses, oubliées du cinéma à l’exception de Diam’s dans Lascars (2009), Pand'or dans Max et Lenny (2014) et KT Gorique dans Brooklyn (2014) -, certains rappeurs commencent à s’emparer de caméras pour raconter leurs propres histoires. Après Comme un aimant d'IAM (2000), Abd al Malik a réalisé Qu'Allah bénisse la France (2014), suivi par Kery James avec Banlieusards (2019), qui a rencontré le succès sur Netflix.

Bien que les ventes de disques ne garantissent pas de succès en salles (244.633 entrées pour Comment c'est loin avec Orelsan, 166.665 spectateurs pour Tout nous sépare avec Nekfeu), les rappeurs sont de plus en plus demandeurs d'expériences cinématographiques.

"On a ressenti chez Bosh une vraie envie de cinéma", confirme le duo FGKO. "Il était même un peu frustré de ne pas avoir plus de scènes!"

Mais après le succès de Validé, c'est peut-être à la télévision que se trouve l'Eldorado des rappeurs. Booba sortira en 2023 sur Prime Vidéo Ourika, une série sur les émeutes de 2005. Son rival Kaaris dévoilera, lui, en 2023, sur Netflix, Le Roi des ombres, un film inspiré d'une légende malienne. Ils y trouveront un public plus large que Nekfeu, dont le deuxième film pour le cinéma, L’Échappée, est inédit depuis trois ans.

Article original publié sur BFMTV.com