Publicité

Le périple de Brahim A., d'un faubourg de Sfax à l'église de Nice

par Tarek Amara et Jihed Abidellaoui

SFAX, Tunisie (Reuters) - Quelques instants avant l'attaque de Nice, Brahim A. a téléphoné à sa famille en Tunisie pour lui dire qu'il venait d'arriver dans la ville et qu'il avait trouvé un endroit pour dormir dans une cage d'escalier, près d'une église, se souviennent ses proches.

Peu de temps après, selon les conclusions de la police française, le jeune homme est entré dans la basilique Notre-Dame de l'Assomption où il a tué trois personnes aux cris d'"Allah Akbar" (Dieu est le plus grand en arabe).

Le procureur antiterroriste Jean-François Ricard a précisé jeudi, sans donner son nom pour ne pas entraver l'enquête en cours, que l'auteur présumé de cette troisième attaque d'inspiration islamiste sur le sol français depuis la republication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo début septembre, était un ressortissant tunisien de 21 ans, arrivé le 20 septembre sur l'île italienne de Lampedusa, principal point de passage des migrants venant d'Afrique.

Le suspect est arrivé le 9 octobre à Bari, dans les Pouilles, avant de se rendre en France. Arrivé à la gare de Nice jeudi matin, il a parcouru à pied les 400 mètres qui le séparaient de la basilique dans laquelle les caméras de vidéosurveillance ont montré qu'il avait pénétré à 08h29, a détaillé Jean-François Ricard.

"Il a dit qu'il venait d'arriver et qu'il ne connaissait personne là-bas (...). Il a dit qu'il allait quitter l'immeuble dans la matinée et chercher à parler à un Tunisien et voir s'il pourrait rester avec lui ou trouver un travail", a déclaré Yassine, le frère de Brahim, à Reuters.

Même s'il avait été arrêté pour une affaire d'agression au couteau il y a quatre ans, quand il était encore adolescent, Brahim A. ne figurait pas au fichier des personnes radicalisées pour djihadisme ni en Tunisie ni en France, selon les polices des deux pays.

La police niçoise est intervenue vers 09h00, tirant plusieurs balles sur l'assaillant qui est hospitalisé dans un état critique. Un Coran et un long couteau utilisé pour ses meurtres ont été retrouvés près de lui.

Au domicile familial de Thyna, en banlieue de Sfax, sur la côte est de la Tunisie, ses parents et ses neuf frères et soeurs ne cessent de pleurer en évoquant son souvenir.

Ils n'avaient plus de nouvelles de Brahim depuis qu'il avait pris place en septembre dans une petite embarcation à destination de Lampedusa. Il n'avait évoqué aucun projet précis avant son départ, même s'il avait déjà parlé de son désir de rejoindre l'Europe.

"JE VEUX TRAVAILLER COMME TOUT LE MONDE"

"Je veux travailler comme tout le monde et me marier, acheter une maison et une voiture, comme tout le monde", avait-il dit à son frère Yassine.

Il avait vendu de l'essence au marché noir pour financer son voyage, a déclaré un voisin.

Mais quand il a téléphoné une première fois pour dire qu'il se trouvait en Italie, ses proches ont été surpris, précise Yassine.

Brahim A. est arrivé en France mercredi, selon sa famille.

"Tu n'es pas éduqué. Tu ne connais pas la langue. Pourquoi vas-tu là-bas ?" lui a dit sa mère, Gamra. "Maman, prie pour moi", lui a-t-il répondu.

Brahim A. a quitté l'école jeune, capable de lire et écrire en arabe mais ignorant l'alphabet latin dont il aurait eu besoin en Europe, a précisé sa soeur Afef.

Il travaillait dans un garage, comme pompiste et mécanicien, et aimait parcourir les rues de Thyna en moto.

Selon sa famille et ses voisins, il n'était pas connu pour des positions radicales, ne fréquentait aucun cercle djihadiste et ne se rendait pas régulièrement à la mosquée.

"Son comportement n'a jamais été suspect. Je ne l'ai jamais entendu frayer avec des groupes extrémistes ou avec quoi que ce soit en rapport avec le terrorisme ou l'extrémisme", assure son voisin Achref Fergani.

D'après son frère Yassine, il avait commencé à prier souvent à la maison depuis deux ans, après avoir renoncé à la drogue et à l'alcool.

La Tunisie combat depuis des années la menace d'attentats islamistes sur son territoire, même si la police est devenue de plus en plus efficace. Les attaques djihadistes de ces dernières années dans le pays ont été davantage le fait de personnes radicalisées sur internet que dans les mosquées, relèvent les diplomates.

Vendredi, l'agence de presse tunisienne TAP a rapporté que les autorités avaient ouvert une enquête sur des revendications circulant sur les réseaux sociaux attribuant l'attaque de Nice à une "organisation Mahdi dans le Sud tunisien", inconnue jusqu'ici.

La famille fait désormais l'objet d'investigations de la police tunisienne.

Elle avance que Brahim n'était qu'un passant innocent. "Peut-être qu'il a entendu quelque chose quand l'attaque s'est produite, qu'il a couru voir ce qu'il se passait et qu'on lui a tiré dessus", veut croire son frère.

(Avec Zoubeir Souissi à Sfax, Angus McDowall à Tunis, Tangi Salaün à Paris, version française Jean-Stéphane Brosse, édité par Bertrand Boucey)