Petit : "Arsène a toujours été l'homme de la situation, c'est un visionnaire"

Arsène Wenger fête ce vendredi ses vingt ans à la tête d’Arsenal. Emmanuel Petit, qui l’a côtoyé à Monaco et Arsenal, nous raconte "son" Arsène à qui il voue une grande admiration. Entretien exclusif.

Petit : "Arsène a toujours été l'homme de la situation, c'est un visionnaire"

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez rencontré Arsène Wenger ?

Emmanuel Petit : La vraie rencontre avec Arsène, elle a eu lieu après un match avec la réserve de Monaco. Au détour d’un arrêt de jeu, j’ai vu Arsène discuter avec le staff. Ce jour-là, je me suis demandé pourquoi il était là. Il y avait beaucoup de blessés avec Monaco et il y avait de grosses échéances à venir. Il était venu nous superviser. C’est à ce moment-là que j’ai été incorporé définitivement à l’effectif professionnel. J’avais 17 ans.

C’est Arsène qui vous a fait signer votre premier contrat professionnel ?

E. P. : Oui j’ai commencé à jouer avec les pros alors que je n’étais pas encore pro. Il m’a donné une très grosse confiance dès le départ. Mon premier match c’était contre Sochaux, une valeur sure de la D1. J’avais la responsabilité de surveiller Stéphane Paille. On a fait 0-0. Arsène avait été dithyrambique avec moi. Dès le lendemain, au décrassage, il est venu me voir et très vite il s’est penché sur l’homme. Il m’a dit : « Tu sais Manu, toi tu ne parles pas beaucoup, t’es très introverti, tu as toujours ton casque sur les oreilles. Tu ne t’ouvres pas suffisamment au monde... ». Il savait toutes les tragédies que j’avais vécues, mon frère, mon meilleur ami, mon grand-père. Il savait qu’il fallait traiter l’homme pour tirer le meilleur du joueur. Il m’avait dit : « Je sais que tu ne sors pas trop, ce serait bien que tu t’ouvres davantage ». Ma vie se résumait à manger, dormir, m’entrainer. Moi qui venais de jouer mon premier match pro, tu as l’entraineur qui te demande de sortir, c’est le monde à l’envers ! Ça te montre sa façon de manager, à la fois de façon collective mais aussi individuelle.

Quelle est sa relation avec les joueurs justement ?

E. P. : Quand je le vois, je l’appelle « coach ». Il y a toujours ce respect mutuel et cette hiérarchie. Mais en même temps, il met beaucoup d’humanité dans son management. Il est très ouvert sur tous les sujets de société. Il accorde beaucoup d’importance à la vie d’homme, à la vie de famille. Sa porte est toujours ouverte. Tu peux toujours discuter de n’importe quoi. Moi, en plus, il m’a connu jeune, j’ai cette relation privilégiée avec lui. Il savait que j’étais un cérébral, un affectif, souvent on m’a dit que j’étais un écorché vif ou un ultra-sensible. Il m’avait cerné et c’est pourquoi j’ai toujours adoré être avec lui. Je savais que je pouvais toujours avoir une écoute, une confiance et un respect. Ce n’est jamais quelqu’un qui te rabaisse, qui est blessant. Il est dans l’analyse, la compréhension, la discussion. Il a toujours été en avance par rapport aux entraineurs. Il a très vite compris que dans le management, on peut incorporer des spécificités tactiques, techniques et mentales mais il savait aussi qu’il fallait être dans l’humain.

Tous les clubs pros et tous les entraineurs incorporent aujourd’hui des notions de relations publiques, de management de l’humain. C’est des choses qui sont arrivés sur le tard, que lui a compris bien avant tout le monde.

Comment est-il considéré à Arsenal ?

E. P. : Arsenal – Arsène, tu changes deux lettres et tu retrouves le même mot (rires). Ce n’est pas étonnant qu’il soit là-bas. Vous en connaissez beaucoup des Français qui ont une statue en Angleterre ? Moi je n’en connais que deux : lui et Thierry Henry. Il est regardé avec énormément de respect. Arsène a toujours été l’homme de la situation, c’est un visionnaire. Il savait exactement ce qu’Arsenal devait faire pour franchir les paliers depuis son arrivée. D’abord sur le terrain où il a transformé le jeu d’Arsenal. A son arrivé, c’était le « one-neal, boring Arsenal » (1-0, Arsenal, on s’ennuie). Lui a tout changé. Que ce soit le jeu, le professionnalisme dans la diététique, dans les entrainements, dans tous les domaines. Après il s’est attaqué à la structuration du club en commençant par le camp d’entrainement qu’il a financé avec le départ de Nicolas Anelka au Real Madrid. Puis ça a été l’Emirates Stadium. Arsène, qui possède une licence en économie, gère le club comme un chef d’entreprise. C’est un perfectionniste, il vit 24h/24 pour le football. C’est viscéral pour lui. Ça ne m’étonne pas du tout qu’il dure aussi longtemps ; c’est l’exemple à suivre pour tous les entraineurs français. Il est aussi regardé avec énormément de respect en Angleterre par la touche qu’il a apportée à la Premier League. Il est arrivé quatre ans après la création de la Premier League et lui, comme Alex Ferguson [ancien manager de Manchester United de 1986 à 2013], ont transformé le jeu anglais.

Arsène va-t-il rester encore longtemps à Arsenal ?

E. P. : Il y a quelques mois, il évoquait une rencontre avec Alex Ferguson, au cours de laquelle il lui avait demandé si ça ne lui manquait pas de ne plus être l’entraineur de Manchester United. Ferguson lui avait répondu que pas du tout, que la boucle était bouclée, qu’il pouvait assouvir d’autres passions notamment dans le monde hippique. Il vivait très bien sa nouvelle vie. Et Arsène avait été déstabilisé. Il s’imaginait que lorsque quelque chose t’a pris tellement dans la vie, que lorsque tu arrête, c’est comme une petite mort. Arsène avait répondu qu’il ne s’imaginait pas un seul instant prendre sa retraite. Que c’était la pire chose qui pouvait lui arriver. Sa vie c’est le foot, sa passion même. Sa raison d’être, c’est le foot. C’est un besoin existentiel.

Quel est ton souvenir le plus marquant avec Arsène à Arsenal ?

E. P. : C’est évidemment le doublé Coupe – Championnat de 1998. C’est arrivé un an et demi à peine après son arrivée à la tête du club. Tout le monde se demandait pourquoi David Dein [ex vice président d’Arsenal] était allé chercher un mec comme ça au Japon, qui plus est un Français. Ça a été le tournant d’Arsène avec Arsenal dans la mesure où ça lui a apporté une crédibilité et aussi de pouvoir travailler dans la sérénité pour mettre en place sa vision. A la fois dans le jeu mais aussi au niveau structurel. Que ce soit pour nous ou lui, ça a été la première grosse pierre à l’édifice pour construire tout le reste. Ce doublé a eu une répercussion extraordinaire.

Qui est selon toi le plus grand joueur d’Arsène ?

E. P. : Je dirais Dennis Bergkamp. C’était un génie, un magicien. On ne peut pas non plus ne pas parler de « Titi » (Thierry Henry, ndlr). Il a été élu deuxième meilleur joueur de la Premier League derrière Ryan Giggs. Ce n’est pas rien. Il a une statue comme Bergkamp à l’extérieur du stade, c’est une formidable marque de reconnaissance et de respect. « Titi », dans ses statistiques, a été phénoménal. Mais en terme de qualité intrinsèque, je pense que le joueur le plus talentueux passé à Arsenal c’est Bergkamp.

Si tu devais faire passer un message à Arsène pour ses 20 ans à la tête de l’équipe.

E. P. : Je lui souhaiterais de finir l’année en apothéose sur la scène domestique et européenne. Je lui souhaite simplement que le jeu pratiqué à l’heure actuelle puisse perdurer tout au long de la saison. C’est ça aussi sa grande victoire, le jeu d’Arsenal est reconnu comme une marque dans le football, longtemps considéré comme le petit Barça. Nous les supporters, on paye des droits télé pour voir ce genre de spectacle. Ça respire l’ADN du football.