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Sur le port de l’abaya, le gouvernement « se défausse sur les chefs d’établissement », dénoncent les syndicats

Les chefs d’établissements demande au gouvernement de statuer sur le port de l’abaya à l’école
Les chefs d’établissements demande au gouvernement de statuer sur le port de l’abaya à l’école

ÉDUCATION - Habit religieux ou vêtement culturel ? Si la nature de l’abaya pose question, c’est parce que plusieurs syndicats de l’Éducation nationale ont noté ces derniers mois une recrudescence du port de ces longues robes traditionnelles dans les écoles françaises. Avec un dilemme à la clé : faut-il les interdire dans les établissements scolaires publics au nom du respect de la laïcité ?

Mercredi 7 juin, les chiffres mensuels des atteintes déclarées à la laïcité pour le mois de mai 2023 ont été publiés par le ministère de l’Education nationale. Si le nombre d’atteintes à laïcité à l’école a baissé globalement de 30 % entre avril et mai 2023, passant de 625 à 438 incidents déclarés, la part des incidents relevant du port de signes et tenues religieux, dont les abayas peuvent faire partie, y a augmenté, représentant 56 % du total des incidents (contre 37 % en avril et 42 % en mars).

C’est dans ce contexte que, la veille, Pap Ndiaye, le ministre de l’Education nationale, rencontrait les recteurs d’académie sur les questions de laïcité, les appelant à la « fermeté » sur un sujet qui alimente de nombreux débats. Interrogé à la sortie de l’Assemblée nationale mercredi 7 juin, Pap Ndiaye y a rappelé le cadre actuel, qui n’est pas amené à évoluer pour le moment : « l’appréciation du caractère religieux, ou pas, ce sont les chefs d’établissement qui doivent l’apporter ».

À l’échelle des collèges et lycées, c’est donc bien aux chefs d’établissement de statuer en cas de problèmes liés à ces tenues. Et pour les syndicats qui les représentent, c’est justement ça le problème. « Le sentiment qui traverse la profession, c’est que le sujet étant difficile à traiter, on préfère se défausser sur les chefs d’établissements », assène Julien Giovacchini, secrétaire général adjoint d’Indépendance et Direction Force Ouvrière (ID-FO), l’un des deux syndicats du secteur.

Que disent les textes ?

Pour statuer sur le port d’une tenue par un ou une élève, les chefs d’établissement peuvent s’appuyer sur plusieurs textes. La loi du 15 mars 2004 interdit ainsi « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Tandis qu’une circulaire de la même année cite « le voile islamique (...), la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive » parmi ces signes d’appartenance religieuse.

Mais le cas de l’abaya est plus compliqué que ce que prévoit la circulaire de 2004, certains la considérant comme un habit religieux quand d’autres y voient un simple vêtement culturel. À ce sujet, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale, publiée le 10 novembre 2022, précise que l’on distingue les signes ou tenues qui manifestent « par leur nature même, une appartenance religieuse », et ceux qui « peuvent le devenir » en raison « du comportement de l’élève ». « Dans les deux cas, ils sont interdits », ajoute-t-elle.

Toute la question est donc de décider si le « comportement de l’élève » indique que son abaya est le signe d’une « appartenance religieuse ». Pour cela, les chefs d’établissements doivent prendre en compte plusieurs éléments, tels que la « permanence du port » (si l’élève porte ce vêtement tous les jours) et la « persistance du refus de l’ôter ».

« C’est chronophage et on a plein d’autres missions »

« Il faut déterminer l’intentionnalité à chaque fois », résume Julien Giovacchini, qui estime que l’on demande aux chefs d’établissement de « faire un travail d’inspecteur ».

« C’est chronophage et on a plein d’autres missions, on ne peut pas se consacrer qu’à ça », rappelle Carole Zerbib, proviseure adjointe et membre de l’exécutif du SNPDEN UNSA, le syndicat majoritaire de la profession. « Ce n’est pas quelque chose qu’on fait en deux secondes. Il faut parler aux élèves et refaire de la pédagogie. Et il y a tout le travail de comptabilité, ‘est-ce qu’elle l’avait hier ? Est-ce qu’elle le porte tous les jours ?’ À un moment, quand on a plus de cinq élèves en abaya dans un établissement, à moins de faire ça toute la journée, on ne peut pas mener le dialogue. »

« Je ne pense pas que ce soit notre rôle premier d’avoir un jugement sur ces tenues », ajoute Julien Giovacchini. Le secrétaire général adjoint d’ID-FO regrette que cela fasse « porter toute la responsabilité sur une personne par établissement » qui devra déterminer la volonté de chaque élève avec « toute la part d’interprétation » que cela implique.

« Ça nous expose beaucoup »

Au manque de temps, s’ajoute ainsi la peur « d’être la cible d’attaques personnelles remettant en cause la probité ou les intentions » du chef d’établissement qui déciderait d’interdire à une élève de porter cette tenue, estime Julien Giovacchini.

« Ça nous expose beaucoup, approuve Carole Zerbib. Souvent, les enseignants se réfèrent à nous. C’est nous qui décidons, qui menons le dialogue. Ça fait de nous des arbitres et le dialogue est de plus en plus difficile avec les élèves qui contestent. On rentre dans des débats. Et puis, le précédent Samuel Paty, quand même, fait qu’il y a une certaine crainte. »

Outre la charge de travail et le stress supplémentaire, les deux syndicats pointent du doigt un autre effet de ces prises de décision à l’échelle de chaque lycée : les inégalités territoriales. Quand certains chefs d’établissement permettent le port de l’abaya, d’autres l’interdisent. « Il peut y avoir une différence de traitement pour la même tenue », souligne Carole Zerbib.

Les deux syndicats demandent donc au ministère un texte clair pour statuer sur la question. « L’abaya est-elle une tenue religieuse ou non ? Qu’ils prennent une décision. On demande aux chefs d’établissement d’avoir ce courage, il faudrait que l’État l’ait aussi. Que le ministre assume de déterminer si cette tenue est religieuse ou pas. Si elle ne l’est pas, on se rangera à son avis. Si elle l’est, on fera respecter le droit. Ça nous facilitera la tâche », conclut la proviseure adjointe.

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