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Pourquoi les pays du Sud ne soutiennent-ils pas l'Ukraine ?

Pourquoi les pays du Sud ne soutiennent-ils pas l'Ukraine ?

Alors que l'Occident s'est largement rallié à l'Ukraine depuis son invasion par la Russie, de nombreux pays du Sud ont un point de vue assez différent.

S'il est délicat de parler de "Sud" en englobant des réalités très diverses, les sondages réalisés dans des pays comme la Chine, l'Inde et la Turquie montrent une nette préférence pour une fin immédiate de la guerre, même si cela signifie que l'Ukraine doit céder des territoires.

Antiaméricanisme

Selon Paul Rogers, professeur de sécurité internationale à l'université de Bradford, les interventions militaires passées des États-Unis et de leurs alliés ont alimenté le cynisme, en particulier au Moyen-Orient, à l'égard de la position de l'Occident en Ukraine.

Cela ne se traduit pas forcément par un soutien à la Russie mais, selon Paul Rogers, par la perception des combats comme une catastrophe pour les deux pays.

"Il ne s'agit pas simplement d'une opposition entre les bons de l'Ouest et les méchants de la Russie, a-t-il déclaré à Euronews. "Il y a des interrogations sur le fait que [l'invasion de Moscou] n'est pas différente de ce que les pays occidentaux ont fait".

Ebrahim Noroozi/Copyright 2018 The AP. All rights reserved.
Des manifestants iraniens brûlent des drapeaux israélien et américain, Téhéran, Iran, juin 2018 - Ebrahim Noroozi/Copyright 2018 The AP. All rights reserved.

Plus de 929 000 personnes ont été tuées dans les zones de guerre de l'après 11 septembre en Afghanistan, en Irak et dans d'autres pays où les armées occidentales ont joué un rôle important. Et les experts estiment qu'un nombre beaucoup plus important de personnes sont probablement mortes à cause des conséquences de la guerre.

Souvenirs du colonialisme

Des questions historiques plus profondes influencent également la manière dont la guerre en Ukraine est perçue ailleurs.

"Dans la plupart des pays du Sud, en particulier en Afrique subsaharienne, la Russie n'est pas considérée comme l'une des grandes puissances coloniales qui les ont contrôlés pendant des siècles", contrairement à d'autres puissances européennes, a expliqué M. Rogers. "Une grande partie du monde n'est tout simplement pas consciente de l'ampleur du commerce des armes, du pouvoir et, franchement, de la corruption que l'on trouve en Russie".

Ceux qui critiquent la position occidentale soulignent les atrocités, le racisme, l'exploitation d'être humains commis par les Européens dans le monde entier.

La Russie a une bonne assise géopolitique

Ces arguments ne sont pas les seuls : au cours des dernières décennies, Moscou a noué des liens économiques et des partenariats stratégiques solides dans une grande partie du monde. "Les liens commerciaux sont importants", explique Ivan Kłyszcz, analyste de la politique étrangère russe. "Des pays comme le Brésil et l'Inde investissent dans de bonnes relations avec la Russie parce qu'ils pensent que cela aidera leurs propres objectifs internationaux."

L'opinion mondiale est très divisée lorsqu'il s'agit d'imposer des sanctions à la Russie. En moyenne, 45 % des personnes interrogées soutiennent l'idée que leur pays devrait appliquer les sanctions économiques les plus sévères contre la Russie, tandis que 25 % y sont opposées, selon un sondage IPSOS.

En octobre, la Corée du Nord, le Belarus, la Syrie et le Nicaragua ont voté contre une motion de l'ONU exhortant la Russie à revenir immédiatement sur l'annexion illégale de quatre régions ukrainiennes, tandis que 19 pays africains - dont l'Afrique du Sud - se sont abstenus, de même que la Chine, l'Inde, le Pakistan et Cuba.

"Le Sud global est animé par un sentiment d'urgence pour que les hostilités cessent... pour qu'au moins il n'y ait pas de combats et que le commerce puisse reprendre comme il y a un an", analyse M. Kłyszcz. "C'est une réalité malheureuse mais la guerre va à l'encontre des intérêts de ces pays. Ils s'occupent de leur propre sécurité."

Les habitants d'Afrique et du Moyen-Orient ont été frappées par la flambée des prix des denrées alimentaires, qui ont atteint des sommets en 2022 en raison de la guerre en Ukraine et de la sécheresse induite par le changement climatique.

AP Photo / Amr Nabil
Une femme transporte du blé dans la région de Sharqiya (delta du Nil, Égypte) en mai 2022. - AP Photo / Amr Nabil

Cette situation a déclenché une crise mondiale de la sécurité alimentaire, poussant des millions de personnes au bord de la famine.

Selon M. Kłyszcz, l'influence de la Russie est favorisée par un "appareil de communication très sophistiqué qui aide à véhiculer la propagande en temps de guerre", tandis que "beaucoup de pays ne connaissent tout simplement pas beaucoup l'Ukraine".

Dans le même temps, les récits soutenant la lutte de l'Ukraine contre la Russie - qu'il s'agisse de "démocratie contre autocratie", de "droits de l'homme" ou d'"anti-impérialisme" - n'ont pas de prise sur les opinions publiques.

Bien qu'il représente la majeure partie de l'humanité, M. Rogers estime que les opinions des pays du Sud sur l'Ukraine ont été largement marginalisées dans les principaux médias occidentaux.