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Procès du 13-Novembre: Comment les victimes vivent la défense des terroristes

Neuf mois après le début du procès du 13-Novembre, ces semaines de la mi-juin sont consacrées aux plaidoiries des avocats de la défense. Un moment éprouvant pour les victimes et leur famille, qui doivent faire face à la défense des actes des protagonistes des attentats (photo prise en septembre 2021, dans les premiers jours du procès). (Photo: Gonzalo Fuentes / Reuters)

Depuis la mi-juin, les avocats de la défense se succèdent pour plaider la cause des accusés. Un moment qui peut être éprouvant pour les victimes des attentats et leur famille.

TERRORISME - “Ce qui me dérange le plus, c’est que ces gens-là auraient pu éviter d’autres drames.” Depuis début juin, le procès des attentats perpétrés le 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis est entré dans sa dernière ligne droite. Après les réquisitions du parquet, ce sont désormais les avocats de la défense qui se succèdent face à la cour pour plaider en faveur des accusés, et tenter de réduire, voire d’éviter leur condamnation.

Un temps forcément particulier dans le processus judiciaire, après neuf mois à entendre les récits d’horreur des survivants et des secours, à revenir sur la planification des attaques, à retracer la vie et le parcours de leurs acteurs. Une période où la nuance, la contextualisation et la recherche d’empathie s’invitent dans les débats au sujet de ceux vers qui tous les regards sont tournés.

À commencer par Salah Abdeslam, dont les conseils, maîtres Martin Vettes et Olivia Ronen, plaident ce vendredi 24 juin. Un rendez-vous très attendu par les victimes et leur famille, toujours en quête d’explications sur ce qu’il s’est passé ce soir de novembre. Sa ceinture explosive a-t-elle dysfonctionné? A-t-il eu peur ou des remords? Quelle que soit la réponse, tous les participants et observateurs du procès attendent avec impatience la plaidoirie de ce vendredi.

L’appréhension avant d’entendre la défense de Salah Abdeslam

“Je ne craignais pas cette période qui me paraît tout à fait nécessaire dans le cadre du débat contradictoire”, commence d’une voix posée le chercheur Stéphane Sarrade, père d’Hugo, mort à 23 ans au Bataclan. “Il y a d’ailleurs eu de très belles plaidoiries et j’ai une vraie curiosité vis-à-vis de celle qui concernera Salah Abdeslam. Je suis curieux de voir quel va être l’angle choisi pour le défendre”, explique celui qui envisage de se “dégager du temps” pour assister sur place à ce moment, sans pour autant singulariser le jihadiste jusqu’à en faire “un martyr ou une célébrité”.

Patricia Correira aussi attend ce moment. Aujourd’hui vice-présidente de l’association de victimes “13Onze15” après avoir perdu sa fille et le compagnon de celle-ci au concert des “Eagles of Death Metal”, elle livre ses pensées: “Abdeslam aurait pu éviter les attentats, mais il a préféré fuir pour essayer de sauver sa peau parce qu’il savait que Daech lui tomberait dessus. Je me demande bien comment son avocate va pouvoir lui trouver des circonstances atténuantes, ce qu’elle va dire pour défendre ce type. Car au lieu de dénoncer ce qu’il allait se passer, il s’est dégonflé.” Et de conclure: “J’espère qu’il ne sortira jamais de derrière les barreaux.”

Un avis que ne partage pas tout à fait Paul-Henri Baure. Le 13 novembre 2015, lui travaillait pour une société de sécurité aux abords du Stade de France. Quand un terroriste a déclenché sa ceinture d’explosifs à quelques mètres, il a été très gravement blessé aux jambes, au point de ne plus pouvoir retravailler pendant plus de deux ans.

Aujourd’hui, c’est pourtant lui qui appelle à la clémence: ”Évidemment qu’il faut qu’il puisse être défendu, comme chaque personne qui fait des bêtises. J’espère qu’il sera condamné à une peine lourde, avec une peine de sûreté de 30 ans”, précise-t-il, voulant croire à une possible réinsertion, même dans un futur très lointain.

Car Salah Abdeslam symbolise toute la pénibilité de la période des plaidoiries pour les victimes et leur famille, comme le résume encore Stéphane Sarrade: “C’est quelqu’un qui a slalomé entre le fait de dire qu’il n’avait pas de sang sur les mains et sa revendication ‘Je suis un soldat de l’État islamique’.” Entre sa négation en bloc et sa fierté assumée d’avoir contribué aux attentats les plus graves perpétrés sur le sol français, tout cela sans exprimer de regrets malgré quelques excuses, difficile ensuite pour ceux qui ont perdu un proche d’assister à une longue défense.

Le “manque de courage” incompréhensible de certains accusés

Reste toutefois l’attachement aux valeurs républicaines, au fait que chacun des accusés écope de peines “proportionnées”, “cohérentes avec ce qu’ils ont fait”, comme le dit Stéphane Sarrade. À l’opposé donc de l’idéologie qui a semé la mort en 2015. “Je ne mets pas Salah Abdeslam à part, et je suis même opposé à ce qu’on le fasse: il a droit à une défense”, assure ainsi le père d’Hugo. “Et d’ailleurs, la peine qu’il recevra aura de la valeur parce que l’on aura suivi tout ce processus.” Ce que confirme Paul-Henri Baure, qui voit là une occasion de “comprendre ce qu’ils avaient dans la tête quand ils sont passés à l’acte”.

Il n’en reste pas moins que certaines plaidoiries ont été particulièrement difficiles à entendre. Patricia Correira, elle, a été choquée par les mots de maître Xavier Nogueras. L’avocat, qui a notamment défendu Jawad Bendaoud par le passé, a plaidé l’acquittement pour Mohamed Amri, qui est venu chercher Salah Abdeslam pour le ramener en Belgique après les attentats. “On se demande comment des avocats peuvent défendre ces gens”, s’interroge-t-elle.

Ce que la vice-présidente de l’association 13Onze15 déplore, c’est “le manque de courage de ceux qui n’ont rien dit” parmi les accusés. “Ces gens-là, qui auraient pu dénoncer Salah Abdeslam ou Mohamed Abrini ne l’ont pas fait parce qu’ils avaient peur. Mais ils auraient pu empêcher l’attentat de Bruxelles s’ils avaient parlé.”

Et de prendre l’exemple de “Sonia”, cette femme qui a dénoncé Abdelhamid Abaaoud quand celui-ci s’est réfugié à Saint-Denis, et qui vit désormais sous une nouvelle identité, comme Le HuffPost l’a raconté. Une décision qui a permis l’intervention des forces de l’ordre et d’éviter une série d’attaques (une crèche, un commissariat ou le quartier de la Défense étaient visés, selon les enquêteurs). “Ma fille était déjà morte quand Amri est venu chercher Abdeslam, je ne prêche pas pour ma paroisse. Mais si ces gens-là avaient parlé, ils auraient eu une protection comme Sonia. C’est grave qu’ils n’aient pas le cran de dénoncer.”

La culpabilité qui s’inverse

Une distinction entre accusés que font la plupart des acteurs joints par Le HuffPost. “Il y en a qui ont été entraînés, et qui ne savaient même pas dans quoi”, insiste Paul-Henri Baure, le survivant du Stade de France. Avant de préciser sa pensée avec simplicité: “Si je prête ma voiture à un ami et qu’elle sert à un cambriolage, je serai furieux contre mon ami. Mais je comprendrais que je puisse être condamné.”

Même son de cloche chez Patricia Correira. “Certaines personnes sont impliquées de très loin et il faut minimiser les peines pour elles”, assure-t-elle. “Il faut distinguer ceux qui avaient l’intention de tuer et ceux qui fréquentaient ces gens sans le savoir et qui ont été entraînés par la vague. Mais il faut quand même qu’il y ait des peines.”

Un numéro d’équilibre loin d’être aisé pour les parties civiles, surtout quand les arguments des différents représentants de la défense se répètent jour après jour dans une longue litanie. “Je le vis assez mal”, admet Stéphane Sarrade quand on le joint au sortir d’une nouvelle journée à écouter la retransmission du procès. “Il y a quelque chose qui m’apparaît autour de la notion de culpabilité”, décrit cet universitaire qui a tenté de comprendre les terroristes en rencontrant des parents de jeunes partis en Syrie, en s’intéressant à la déradicalisation...

“Il y a de la culpabilité chez nous, les parties civiles: celle d’avoir survécu, la mienne d’avoir payé les billets de mon fils Hugo pour le concert. Et à l’inverse, il n’y en a aucune chez les accusés”, détaille-t-il. “Il y a même une inversion de la vision parce qu’eux se considèrent comme des victimes.” Une dimension renforcée par les plaidoiries des avocats visant à défendre leurs clients: ”Ça finit par être surréaliste: ce ne sont plus des accusés, mais des citoyens qui n’ont pas fait grand chose, ce serait la religion que l’on jugerait et non pas eux etc.”

Reste, comme l’image Paul-Henri Baure, que ce temps du procès est indispensable, qu’il faut en passer par là: “Si je me roule par terre, ça ne va rien changer.” D’autant qu’en dépit de la “gêne” et de la “douleur” qu’elle ressent, Patricia Correira voit un but supérieur à atteindre grâce au procès: “que les gens réalisent qu’on ne peut pas tuer des innocents au nom d’un dieu, que c’est la justice qui aura le dernier mot”. Un objectif qui sera atteint selon elle si “les avocats de la défense ne parviennent pas à renverser les peines assez exemplaires requises” par l’avocate générale Camille Hennetier. Car de toute façon, conclut-elle, quelle que soit la décision du tribunal, cela “ne fera jamais revenir nos enfants”.

À voir également sur Le HuffPost: Commémorer le 13-Novembre en plein procès, un moment “historique” pour les rescapés

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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