« Vous rêvez de ne rien faire au travail ? Ça m’est arrivé, et je ne le souhaite à personne » - Témoignage

« Du lundi au vendredi, je me lève, je mets un costume et je vais au bureau, même si je n’ai rien à faire. Après tout, c’est ce que tout le monde fait. »
« Du lundi au vendredi, je me lève, je mets un costume et je vais au bureau, même si je n’ai rien à faire. Après tout, c’est ce que tout le monde fait. »

TÉMOIGNAGE - Il y a quelques années, je suis tombé sur une offre d’emploi dans l’administration, qui semblait correspondre à merveille à mes envies. Après une première expérience professionnelle difficile, cette nouvelle fiche de poste me donnait l’impression de pouvoir redonner un sens à mon travail dans un environnement dynamique et stimulant.

Je ne me doutais pas que ce contrat de trois ans était un emploi quasi-fictif et qu’il allait me dégoûter du monde du travail pour les années à venir. C’est donc avec le cœur léger que j’ai foncé vers cette opportunité quand on m’a offert le poste.

Les premiers jours, je ne me pose pas de question

Il a fallu quelques semaines après ma prise de fonction pour que je commence à comprendre que ma charge de travail était plutôt faible, et qu’elle semblait cyclique. Les premiers temps, je rationalise en imaginant que ces temps calmes s’ouvriront sur des moments plus intenses. Par ailleurs, je note que ma hiérarchie, notamment mon N+1, ne semble pas déléguer grand-chose. À mesure que le temps passe, des tensions naissent entre mon chef, qui refuse de me donner plus que quelques tâches ponctuelles ou de me parler, et moi.

Malgré tout, je prends mon mal en patience. Au-dessus de lui, un nouveau directeur doit être nommé sous quelques mois, et j’ai l’espoir que mes missions s’améliorent à son arrivée. En attendant, du lundi au vendredi, je me lève, je mets un costume et je vais au bureau, sans me poser de question. Après tout, c’est ce que tout le monde fait.

Mon contrat stipule que je dois travailler 37 heures 30 par semaine. Pourtant, ce qu’on me donne à faire ne m’occupe que pendant une poignée d’heures hebdomadaires - parfois pendant 5 ou 6 heures, parfois zéro. Moi qui comptais retrouver un sens à mon travail avec cette expérience, je me retrouve coincé dans une situation pesante. Mes journées sont longues à occuper, alors je mets en place des stratégies d’évitement. J’allonge les pauses-café, papote avec mes collègues. Assis à mon bureau, je lis l’actualité ou je regarde des vidéos sur la permaculture. Je ne souffre pas encore de cette absence de travail, me disant que la situation n’est pas figée et que les choses peuvent évoluer.

Me lever pour ne rien faire derrière un bureau devient difficile et frustrant

Le nouveau chef arrive au moment de la pandémie et du confinement, et je me retrouve en télétravail à temps plein. Les deux premières semaines, je suis collé à mon ordinateur à rafraîchir mes mails, pour montrer que je suis présent et disponible pour de nouvelles tâches. En vain.

Paradoxalement, ces journées à la maison me permettent de me détendre : je lis, je joue sur mon ordinateur et petit à petit, je reprends plaisir à occuper mes journées. Je me rends compte que quand je ne suis pas assis à rien faire derrière un bureau, je m’épanouis un peu plus.

Quand on m’annonce, à la fin du confinement, que je dois retourner au bureau en présentiel, la pression devient beaucoup plus forte. Depuis que j’ai expérimenté cette période de « liberté », je réalise l’absurdité me lever le matin pour aller ne rien faire au travail. En parallèle, j’ai perdu tout espoir d’amélioration. Rien ne me sera délégué, je n’aurai pas plus de travail, et il me reste à peu près un an et demi à tenir. Mon quotidien devient difficile et frustrant.

Je deviens un zombie au travail et en dehors

Après ce constat, je mets tout ce que je peux en œuvre pour passer le moins de temps possible au travail. Je « badge » à des heures fictives pour grappiller des heures supplémentaires et obtenir des RTT, je ferme mon bureau à clef et dors dedans entre 12h et 14h30. Je joue sur mon téléphone, je regarde des vidéos YouTube.

Je ne fais rien, et quand on me donne des choses à faire, je les repousse jusqu’au dernier moment. Désormais en pilote automatique, le temps où je faisais des efforts pour essayer d’obtenir plus de travail est loin derrière moi. J’ai l’impression de me « zombifier ».

Dans ma vie perso aussi, j’ai le sentiment de m’éteindre. Quand je rentre le soir, j’ai perdu toute envie et mes automatismes perdurent : je continue à jouer à traîner sur YouTube ou sur mon téléphone. À force de ne rien faire de mes journées, j’ai l’impression de ne rien avoir à raconter à mes proches. J’évite de parler de moi et de rencontrer des personnes qui pourraient me demander ce que je fais de ma vie. Quand mes amis, tous au bord du burn-out, se plaignent de trop travailler, j’ai du mal à me sentir légitime à parler de cet ennui au travail qui me rend malheureux.

Je mets des mots sur ce que je vis : je fais un bore-out

Bon gré mal gré, la fin de mon contrat approche et même si je suis persuadé que je pourrai tenir jusqu’au bout, un soir de semaine, je craque. Dans mon lit, un sentiment très soudain me prend aux tripes et me fait comprendre que je ne pourrai physiquement pas retourner au travail le lendemain. En larmes, j’explique à ma compagne que je n’y arriverai pas.

Elle m’aide à trouver un rendez-vous chez le médecin dès le lendemain matin, où je peux enfin vider mon sac. Quand le médecin me parle d’épuisement professionnel, je fais le parallèle avec le burn-out et je mets enfin des mots sur ce que je vis : je fais un bore-out [de l’anglais « bored », « qui s’ennuie », ndlr]. S’ensuit un mois d’arrêt maladie, qui sonne pour moi comme une libération. Je reprends assez de force pour tenir les quelques semaines qui me séparent de la fin de mon contrat.

Cela fera bientôt un an que j’ai quitté cet emploi, et j’ai passé beaucoup de temps à m’interroger sur ce que j’aurais pu faire mieux. Probablement pas grand-chose : il est impossible que mes chefs n’aient pas eu conscience de la situation. Je me suis aussi demandé si j’avais été placardisé mais quand je vois que ce poste existe encore et que la plupart de mes collègues avaient, eux aussi, moins de travail que ce que leur fiche de poste prévoyait, j’en doute.

J’ai l’impression d’avoir perdu trois ans de ma vie

Ces trois ans m’ont affecté intimement. Sur la confiance en moi, d’abord. Après tout ce temps à avoir le sentiment de ne servir à rien, j’ai intériorisé l’idée que si je n’avais pas de travail, c’est que je n’étais pas assez bon pour qu’on m’en donne. J’en suis venu à me demander si j’étais même apte à reprendre un jour un rythme de travail classique, si ces années ne m’avaient pas fait perdre en capacités mentales et rendu plus bête. J’ai aussi beaucoup culpabilisé de ne pas mieux remplir mes journées. Quand on entend parler de 39 heures à être payé à rien faire, on se dit « c’est l’occasion de lire, d’apprendre une langue, de faire des MOOC… » Il est difficile d’expliquer pourquoi, dans cette situation, ce n’est tout simplement pas possible.

Au final, j’ai l’impression désagréable d’avoir perdu ces trois années de ma vie. Heureusement, quitter ce poste m’a donné une nouvelle dynamique. Aujourd’hui, je suis en pleine reconversion professionnelle dans un domaine très différent, où on est moins enfermé dans un bureau, et surtout, où on travaille en équipe. À l’avenir, je sais que je ne subirai plus jamais autant une situation : j’ai retenu la leçon, et je partirai le plus vite possible.

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