"Ron Kamonohashi", le manga délirant qui revisite le mythe de "Sherlock Holmes"

Après les expositions du festival d'Angoulême consacrées à Junji Ito, Ryōichi Ikegami et Hajime Isayama et les arrivées en librairie de Tatsuki Fujimoto (Chainsaw Man) et Moto Hagio (Le Clan des Poe), l'actualité du manga est marquée ces jours-ci par le retour d'une autre figure importante, Akira Amano.

Véritable rock star au Japon, célèbre principalement pour Reborn!, relecture endiablée des récits de mafia écoulé à 30 millions d'exemplaires, Akira Amano revient ce mercredi avec Ron Kamonohashi, délirant polar à mi-chemin entre Détective Conan et la série Sherlock avec Benedict Cumberbatch.

Publié au Japon depuis 2020, ce manga suit les aventures de Ron Kamonohashi, excentrique détective privé capable de résoudre n'importe quel meurtre. Vivant reclus en raison de troubles comportementaux, il est aidé dans ses enquêtes par le jeune Totomaru Ishiki, détective au cœur pur.

"Je m'étais toujours dit qu’un jour, j'écrirai une série policière. Ma prière a été entendue par mon responsable éditorial. C’est lui qui m’a proposé un projet dans ce genre", confie par mail Akira Amano dans une interview exclusive à BFMTV. Son retour était très attendu: sa dernière publication française remonte à la sortie de l’ultime tome de Reborn!, il y a neuf ans.

Imaginer les meurtres les plus horribles

Au Japon, Akira Amano n'a pas chômé. Entre la fin de sa précédente série ēlDLIVE en 2018 et le début de l'écriture de Ron Kamonohashi, "il ne s’est écoulé que six mois": "Je n'ai pas vraiment eu l’impression de faire une pause. Durant ce laps de temps, j’ai énormément lu et regardé des séries de polar et autres romans policiers très connus."

Des lectures indispensables pour imaginer les meurtres en apparence impossibles à résoudre au centre de chaque chapitre. "Nous discutons [avec mon responsable éditorial] de toutes sortes de faits divers et de meurtres bien réels, ou bien d’histoires criminelles vues dans certains films. Beaucoup de ces discussions servent de base à d’autres réflexions afin d’éviter que les intrigues de notre manga ressemblent à l’une ou l’autre de ces histoires."

Le fait de travailler pour la plateforme Shônen Jump+, et non plus pour la revue papier Weekly Shōnen Jump lui a apporté un nouveau cadre. "Comparé aux médias imprimés, il y a plus de liberté, par rapport au nombre de pages par exemple. Il est possible de faire des pauses de temps à autre. C’est très tranquille de dessiner dans ces conditions. Mais au final, comme je ne suis pas très doué pour me libérer du temps de repos, je finis toujours par travailler tous les jours…"

Fascination pour les cadavres

Reborn! débutait sur une note humoristique avant de devenir plus dramatique. Une structure qu'Akira Amano adopte encore une fois. Objectif: que Ron Kamonohashi puisse être lu "sans hésiter" par le public: "Comme il s’agissait d’enquêtes portant sur des meurtres, je me suis dit que certains lecteurs souhaiteraient prendre un peu de distance."

Mais l'originalité de Ron Kamonohashi tient moins à la mise en scène de meurtres retors, comme dans Détective Conan, qu'à la relation que le héros entretient avec la mort et les cadavres: lorsqu'il doit analyser une scène de crime, celui-ci s'allonge aux côtés des victimes et parvient ainsi à trouver de précieux indices.

"J'y ai pensé lorsque j'ai imaginé que le personnage de Ron aimait tellement résoudre des enquêtes, que par extension, il serait prêt à n'importe quoi pour trouver la réponse à un mystère, même à s’allonger auprès de cadavres. De plus, le cadavre étant la victime d’un meurtre, j'ai trouvé que ça serait une façon très efficace de montrer combien Ron pouvait comprendre le profond désespoir ressenti par la personne tuée."

Un trait de personnalité étonnant, qui permet à Ron Kamonohashi de se démarquer des nombreux détectives privés atypiques de la culture populaire bien que Akira Amano confie avoir été simplement influencé par les versions de Sherlock Holmes incarnées par Jeremy Brett et Benedict Cumberbatch.

Relecture iconoclaste de Sherlock Holmes

Personnalité borderline comme le version cumberbatchienne, Ron Kamonohashi a une conception personnelle de la justice: il ne peut s’empêcher de tuer le coupable. "Je voulais qu’il soit confronté à une limite ultime que tout enquêteur se doit de respecter." Une idée liée aussi au passé du héros, qui revisite de manière iconoclaste l'histoire de Sherlock Holmes.

Akira Amano symbolise cette idée par un animal, l'ornithorynque, dont l’image est omniprésente dans le manga (Ron Kamonohashi signifie ornithorynque en japonais): "L'ornithorynque me fait penser à un castor à qui on aurait greffé un bec. Son apparence est vraiment mystérieuse… à première vue, on ne sait pas trop à quelle famille d’animal il appartient."

"J'ai adopté cette idée en pensant que ça collait parfaitement à Ron qui descend autant du détective Holmes que de son antagoniste Moriarty. De plus, l’ornithorynque vit dans les cours d’eau et les étangs, c’est un animal plutôt solitaire et il est venimeux… Toutes ces raisons mises bout à bout font que l'image de l'ornithorynque et de Ron se superposent."

Contre-pied de l'esprit macabre

Au fur et à mesure des chapitres, Ron Kamonohashi devient de plus en plus complexe et de plus en plus fou. Si Akira Amano a "en général 3 ou 4 chapitres d’avance sur la publication", "il y a toujours des imprévus même pendant que j'apporte des finitions aux planches finalisées et des arcs narratifs peuvent subir "beaucoup d'altérations" de dernière minute.

Akira Amano a la fin en tête, mais comme son héros, tout peut changer à tout moment: "La fin de la série m’apparaît dans les grandes lignes pourtant j'ai la nette impression que cela ne se passera pas comme prévu." Preuve que la série, même si elle s'intègre dans le mythe de Sherlock Holmes, reste imprévisible.

Ses couvertures des tomes en sont le parfait exemple. Elles montrent le héros allongé nonchalamment. Un véritable contre-pied à l'esprit macabre de la série policière. Pour Akira Amano, il s'agit ainsi "de dessiner un quotidien assez joyeux, celui de mes personnages", pour "trouver la force de surmonter les crimes pour retrouver un quotidien paisible."

"Je me dis que Ron ne se limite pas seulement à l’enquêteur que l’on voit dans le manga. Sur les couvertures, on découvre des facettes de lui qui compensent l’idée qu’on s’en fait à travers le manga. En mélangeant les différentes façons dont il est dessiné, dans et sur les livres, j’aimerais que le lectorat se fasse une idée moins homogène, moins unie de Ron."

Article original publié sur BFMTV.com