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Ruffier : "Je voulais arrêter le foot et changer de sport"

EXCLU YAHOO SPORT – Le portier de l’AS Saint-Étienne, Stéphane Ruffier, s’est confié en exclusivité à Yahoo Sport dans un long entretien. Le gardien français revient, sans langue de bois, sur son parcours, ses réussites, ses doutes et son ambition.

Stéphane, vous êtes né à Bayonne, vous avez grandi au Pays basque. Dans un environnement sportif ?

Stéphane Ruffier : Mon père pratiquait la pelote basque (il a été champion de France, ndlr), ma sœur aînée a fait du patinage artistique à un bon niveau.

Comment décririez-vous votre parcours jusqu’à votre signature professionnelle ?

S. R. : Difficile ! Très difficile ! Rien n’a été facile pour moi. Ni au début, ni au milieu. J’ai été repéré par Montpellier qui m’a invité à faire un essai. Il y avait un grand tournoi et c’est pendant ce tournoi-là que je devais être jugé. J’y suis allé, j’ai joué avec l’équipe du MHSC et tout s’est bien passé. Je fais un très gros tournoi, je me souviens que je suis même élu meilleur gardien du tournoi. On me dit qu’on me tient au courant. Puis pas de nouvelles, personne ne me calcule. Rien. Quelques semaines plus tard, j’apprends qu’ils ont recruté quelqu’un d’autre et je le prends très mal. Je suis dégoûté. C’est très dur à encaisser. Je préviens même mes parents que je vais arrêter le foot et changer de sport.

À ce point ?

S. R. : Bien sûr ! A ce moment-là, je suis dégoûté parce que j’ai réussi mon essai et parce que je suis convaincu d’avoir loupé ma chance d’intégrer un centre de formation. Je me dis que je ne suis pas à ma place et que c’est un échec. Que c’est fini pour moi.

Mais finalement, vous avez continué…

S. R. : Oui, mais j’ai eu vraiment beaucoup de mal à m’en remettre. Il m’a fallu du temps. J’avais un peu perdu le goût de m’entraîner. Puis quelques mois plus tard, on me propose un essai à Monaco. Je prends l’avion et je vais disputer un tournoi de jeunes en Italie, à Rieti, je crois. Je joue avec les jeunes de Monaco, je fais un très gros tournoi puis en demi-finale, je ne me souviens plus contre qui, le coach me donne comme consigne de jouer plus haut, comme un libéro. Je le fais et là, il y a un attaquant qui part dans le dos, je suis en retard, j’essaie de récupérer le ballon mais je découpe l’attaquant (rires). Carton rouge. Fin du tournoi pour moi. Je sais que j’ai été bon avant mais j’ai peur que mon expulsion gâche tout. Au retour, M. Pietri qui s’occupait des jeunes à Monaco me rassure et me dit que j’ai montré ce que je valais. Ça m’a fait du bien. J’étais un peu plus rassuré. Je prends l’avion pour rentrer chez moi en me disant qu’il n’y a plus qu’à attendre la réponse et quand j’atterris, mes parents m’annoncent que je suis pris. Monaco avait déjà appelé.

Vous arrivez donc à Monaco à l’été 2002. Dans quel état d’esprit étiez-vous ? Curieux ? Déterminé ?

S. R. : Déterminé ! C’est dans mon caractère. Je n’allais pas laisser passer ma chance. Lorsque je suis arrivé au centre, de formation je savais déjà qu’il y aurait peu d’élus. J’étais en concurrence avec des gardiens qui étaient les meilleurs du coin, qui étaient déjà au centre depuis un ou deux ans. J’avais du retard sur eux mais il fallait les dépasser. Ça n’était pas facile du tout mais impossible d’avoir quitté ma famille pour rien ! J’étais à Monaco pour devenir professionnel.

Vous aviez un peu moins de 16 ans. L’éloignement n’était pas difficile ?

S. R. : Si. Sincèrement, c’était dur. Pour mes parents aussi. J’étais loin de chez moi. Quand ils m’ont laissé au centre et qu’ils sont rentrés à la maison, c’était dur. Ma mère était choquée. Moi non plus, je n’étais pas bien. Je me suis mis dans la chambre et dans l’après-midi, mon téléphone sonne. Ma mère m’appelle. Je décroche, elle me parle quelques secondes et là, elle me passe Robert Pirès ! (rires).

LE Robert Pirès ?

S. R. : Oui ! En fait, à l’aéroport, elle était triste, elle n’avait pas trop le moral et à côté d’elle, assis, elle reconnaît Robert Pirès. Elle était tellement choquée, émue de m’avoir laissé qu’elle s’est levée, est allée le voir et a ressenti le besoin de lui expliquer que son fils venait juste de rentrer au centre de formation de Monaco, que c’était dur, etc.. Alors gentiment, Robert Pirès m’a appelé.

Que vous a-t-il dit ?

S. R. : Déjà, quand ma mère m’a dit : « Je te passe Robert Pirès », j’ai eu un temps d’hésitation (rires). Depuis quand elle connaît Robert Pirès ?! Puis j’ai reconnu la voix. Il m’a dit qu’il fallait bien s’entrainer, être sérieux, qu’il fallait faire des efforts, des sacrifices, que parfois ce serait difficile mais qu’il ne fallait pas lâcher car c’était le plus beau métier du monde et la récompense valait largement la peine.

Vous êtes dans votre 8e saison à Saint-Etienne. Lorsqu’on évoque votre parcours, beaucoup se demandent pourquoi vous n’êtes pas parti tenter votre chance ailleurs ? Est-ce un regret ?

S. R. : Il y a beaucoup de paramètres : le nombre d’années de contrat qu’il te reste, le montant de ton transfert, ton salaire et aussi la situation d’autres gardiens. Il y a trois parties à convaincre : le club vendeur, le club acheteur et le joueur. Par exemple, alors que j’étais devenu le gardien titulaire de Monaco depuis seulement un mois, j’ai reçu une offre de Lille. Ricardo, l’entraîneur, venait de me désigner titulaire et je trouvais que c’était trop tôt, que je devais faire une saison pleine, que ma place était à Monaco, dans mon club formateur. Lille avait pourtant un beau projet et l’offre était bonne. J’ai préféré rester. Évidemment que j’y ai repensé quand Lille a été champion de France (rires). On ne saura jamais ce qu’il se serait passé pour moi si j’avais signé. Autre exemple, il y a quelques années, j’ai été très proche de signer à l’AS Rome. Rudi Garcia, qui était déjà le coach quand Lille me voulait d’ailleurs, m’avait appelé. On avait échangé, j’étais intéressé. Je pensais vraiment signer là-bas, je m’étais renseigné mais finalement je crois que je coutais trop cher en transfert. Ça ne s’est pas fait. Et enfin, d’autres fois, je pouvais partir mais je ne voulais pas partir pour partir. J’ai eu pas mal d’offres pour signer dans le ventre mou du championnat Anglais mais quel intérêt ?

Le contrat, j’imagine ?

S. R. : Bien sûr, mais ce n’est pas un critère décisif pour moi car j’ai un bon contrat à Sainté. Je ne me plains surtout pas. Je suis dans le top 5 français, dans mon pays, ça ne m’intéresse pas d’aller jouer le milieu de tableau ailleurs même si c’est encore mieux payé. Je suis un compétiteur, ambitieux, donc mon critère principal est sportif. Beaucoup de gens pensent que l’argent est toujours le premier choix mais ce n’est pas mon cas. Je suis très heureux de ce que j’ai. Pour partir, il me fallait quelque chose de supérieur sportivement. Avec Saint-Etienne, j’ai dû jouer une quarantaine de matches de Coupe d’Europe, on est réguliers dans le top 5/6 de Ligue 1. Le seul truc qu’il me manque ici, c’est d’avoir connu la Ligue des Champions. Mais je n’ai pas fini d’espérer ! C’est encore faisable. On ne sait jamais.

Comment jugez-vous le début de saison de l’ASSE ?

S. R. : On est dans les temps. On a une trentaine de points, on aurait pu en avoir plus sans certaines décisions contraires. Le VAR ne nous a pas aidés. On monte en puissance, on joue mieux depuis quelques temps, si on continue cette progression dans le jeu, qu’on continue à être très difficile à battre chez nous, alors on peut espérer de belles choses.

Est-ce la meilleure équipe de Saint-Etienne que vous ayez connu ?

S. R. : Oui, individuellement, oui. J’ai connu de belles équipes à l’ASSE avec Faouzi (Ghoulam), Aubame (Aubameyang), Kurt (Zouma). On avait moins de qualités individuelles – car ils étaient en train de devenir des gros joueurs, d’emmagasiner de l’expérience mais pas encore ce qu’ils sont devenus – mais par contre, cette équipe a marqué son passage en gagnant un titre, en se qualifiant pour l’UEFA (ex-Ligue Europa). Cette saison, nous avons des joueurs qui ont plus d’expérience. A cette équipe-là d’écrire sa propre histoire.

Vous disiez tout à l’heure que rien n’a été facile pour vous. Quoi par exemple ?

Je suis arrivé au centre de formation à 16 ans, c’est tard. Les autres étaient déjà là avant moi. Il fallait, en deux ans, passer devant tout le monde. Ensuite, quand je suis passé pro, le gardien de Monaco était Flavio Roma. Flavio, à Monaco, c’était quelqu’un ! Il était là depuis longtemps, titulaire indiscutable, international, l’un des leaders et moi, je devais lui prendre sa place. Il faut vraiment le mériter pour convaincre le coach de mettre un jeune gardien à la place d’un mec du niveau de Flavio. J’ai lutté. Rien n’a été facile. J’ai toujours lutté. Même pour rejoindre la sélection en Afrique du Sud en 2010, j’ai bataillé ! (rires) .

Ah bon ?

S. R. : Oui. Le matin, je pars faire du jet-ski chez moi au Pays Basque. Je m’éclate et quand je rentre dans ma voiture, je vois que j’ai des dizaines d’appels, de mon agent et de plein de numéros que je ne connais pas. Au départ, j’ai pensé que c’était un club qui avait appelé pour moi. Et là, j’ai des messages de Raymond Domenech, de Bruno Martini (l’entraîneur des gardiens des Bleus) qui me disent que je dois les rejoindre en Afrique du Sud. Je ne m’y attendais pas du tout, je n’étais même pas réserviste. Je rentre chez moi à Bayonne puis je dois rejoindre Monaco en urgence récupérer des papiers. Le lendemain, j’ai un vol pour Paris puis j’ai une correspondance pour Johannesbourg et ensuite le Cap. La Fédération avait calé les billets sauf que bien sûr, dès Paris, mon vol a du retard. J’arrive à Johannesbourg, la correspondance est déjà partie. Personne ne me répond au téléphone. Je suis en Afrique du Sud et mon anglais, c’est pas vraiment ça. J’essaie d’expliquer ma situation aux guichets mais je ne comprends absolument rien à ce qu’on me dit (rires). J’étais jeune. Je n’avais encore jamais voyagé aussi loin. Et là, je suis dans le hall de l’aéroport de Johannesbourg tout seul alors que la veille je faisais des barbecues et du jet-ski chez moi. Je ne sais vraiment pas comment faire. Je rappelle les numéros à la Fédération, sans réponses. D’un coup, je sens une tape sur l’épaule, je me retourne : Alexandre Ruiz, le journaliste. Tu ne peux même pas imaginer comme j’étais content de le voir. Il m’a aidé, tout expliqué, j’ai pris mes vols, j’ai rejoint l’équipe de France quelques heures avant le match contre le Mexique. C’était un peu tendu comme ambiance (rires).

Deux jours après, c’était Knysna.

S. R. : Effectivement !

Vous avez 32 ans, près de 400 matches de L1, songez-vous à votre fin de carrière ?

S. R. : Pas du tout ! J’ai encore deux ans et demi de contrat et on verra à ce moment-là.

À une époque où beaucoup aiment communiquer, échanger, s’exposer sur les réseaux sociaux, vous n’êtes sur aucun et vous vous exprimez très peu ?

S. R. : C’est dans mon caractère. J’ai toujours été discret, réservé. Je n’ai jamais aimé me faire remarquer quand je rentrais dans une pièce. C’est une forme de timidité. Les réseaux sociaux, ce n’est pas juste échanger avec des gens qui t’aiment bien, c’est aussi une source de conflits et je n’ai pas envie de ça. Je considère que je suis un footballeur qui doit être jugé sur ce qu’il fait quand il joue au foot. Quand je suis sur le terrain, j’accepte qu’on me juge en bien ou en mal.

Les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour mieux se faire connaitre, comprendre, du public.

S. R. : Je ne ressens pas ce besoin-là. En dehors du foot, je suis quelqu’un de normal et je n’ai pas besoin de montrer ce que je fais, comment je vis. Je ne suis pas dans la stratégie ou la communication. J’aime les rapports francs, les choses claires, vraies. Je fonctionne comme ça dans la vie. Mes amis sont les mêmes depuis longtemps. Ce que quelqu’un dit ou écrit de moi que je ne connais pas, qui ne me connaît pas, avec qui je n’ai jamais parlé, je ne peux pas y attacher d’importance.

Même quand Julien Cazarre vous caricature dans J+1 ?

S. R. : Il ne me dérange pas. En fait, je ne regarde pas les émissions qui parlent de foot donc je ne pourrais pas dire si c’est drôle ou pas. Évidemment, on m’en parle mais je n’ai rien de spécial à dire. Il peut dire ce qu’il veut tant que ça ne touche pas à ma famille.

Manu Lonjon