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Russie : Le RN pris à son propre piège avec la commission d’enquête sur les ingérences

Jean-Philippe Tanguy et Marine Le Pen photographiés à l’Assemblé nationale au mois de novembre (illustration).
Jean-Philippe Tanguy et Marine Le Pen photographiés à l’Assemblé nationale au mois de novembre (illustration).

C’est le RN qui avait lancé cette commission pour se laver des soupçons le liant à la Russie. Raté. Le député RN et président de cette instance, Jean-Philippe Tanguy, a voté contre le rapport.

POLITIQUE - On appelle ça marquer un but contre son camp. Ce jeudi 1er juin, la Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, lancée à l’initiative du Rassemblement national et présidée par le député RN Jean-Philippe Tanguy, a adopté le rapport issu de ses travaux. Les conclusions des auditions menées par les députés ont été adoptées à 11 voix contre 5 votes, selon un décompte dont Le HuffPost a eu confirmation.

Détail qui dit tout de ce coup politique raté pour le parti lepéniste, le président de la Commission a voté contre le rapport de sa propre commission d’enquête. Et pour cause, selon RMC et Mediapart qui ont pu consulter le document, le parti d’extrême droite y est décrit comme « la courroie de transmission efficace » de la propagande russe en France, au point de souligner un « alignement total sur le discours » du Kremlin. Des conclusions savoureuses lorsqu’on se souvient des motivations qui avaient conduit le RN à exercer son droit de tirage pour créer cette commission d’enquête.

Pour rappel, dans un communiqué daté du 23 septembre, le président du RN Jordan Bardella et le député de la Somme accusaient le patron de Renaissance Stéphane Séjourné (qui appelait à une commission d’enquête sur l’ingérence russe en France), de proférer des « accusations mensongères et diffamatoires » à l’égard du Rassemblement national, et proposaient eux-mêmes de reprendre cette idée, en l’étendant à l’ensemble des ingérences étrangères.

Un rapport « malhonnête » pour Le Pen

« Puisque la Macronie remet en cause l’intégrité et la probité du RN, nous demandons cette commission d’enquête sur les ingérences étrangères ! L’occasion d’étudier les liens d’En Marche avec le Qatar, la Chine ou encore les cabinets privés américains comme McKinsey », se félicitait le président du RN. Or, cette contre-attaque censée laver le Rassemblement national des accusations de connivence envers la Russie ne s’est pas du tout passée comme prévu, puisque le président de la Commission conteste ses conclusions et que Marine Le Pen, qui avait été auditionnée, dénonce ce jeudi 1er juin un rapport parlementaire « malhonnête ».

La présidente du groupe RN à l’Assemblée déplore un « un procès politique » (pourtant instruit par son groupe) et estime que le rapport qui a fuité dans la presse est « tout à fait politisé ».

Sauf que là-encore, le RN ne peut s’en prendre vraisemblablement qu’à lui-même avec la nomination d’une élue Renaissance, Constance Le Grip, en tant que rapporteure de la Commission. Et donc en charge de la rédaction du rapport. Selon L’Express, Jean-Philippe Tanguy a regretté d’avoir choisi le poste honorifique de président de Commission, au détriment de celui de rapporteur qui lui aurait permis de tenir la plume.

Résultat : un rapport qui a de quoi nourrir les accusations en connivence. « Voulue par le RN “pour laver son honneur “, la commission d’enquête sur les ingérences étrangères accable le clan Le Pen et démontre son allégeance à la Russie de Poutine. Ce n’est que justice pour ces patriotes de salon, complices des ennemis de la République », tacle sur Twitter le député Renaissance Sacha Houlié. Cité par l’AFP, le député EELV Julien Bayou a évoqué « un fiasco » qui « revient dans les dents » du RN.

« Des éléments de langage officiels du régime de Poutine »

Il faut dire que, même durant les auditions, la position du Rassemblement national vis-à-vis de Moscou n’a pas tellement bougé, puisque Marine Le Pen a répété qu’elle niait toute annexion illégale de la Crimée par la Russie. Des propos qui « reprennent mot pour mot les éléments de langage officiels du régime de Poutine », note le rapport, qui rappelle que les positions exprimées par Marine Le Pen tranchent avec celles partagées par la communauté internationale et font le bonheur du Kremlin.

« À peine l’audition de Mme Le Pen par la commission d’enquête terminée, le 24 mai dernier, des titres de presse russes se faisaient avec une grande satisfaction l’écho de l’affirmation principale, à leurs yeux, réaffirmée par Marine Le Pen : la Crimée est et a toujours été russe (...) », pointe le rapport, qui se penche aussi sur les prêts russes obtenus par le FN et le RN. « L’ensemble de ces circonstances conduit à s’interroger sur les motivations qui ont conduit à l’octroi de ces prêts par des établissements russes au FN puis au RN, alors que le parti a multiplié les marques de soutien et de proximité envers le pouvoir russe », écrit la rapporteure.

À noter que le rapport — qui sera rendu public dans quelques jours — ne porte pas uniquement sur la Russie. D’autres aspects liés aux ingérences étrangères, notamment de la Chine et du Qatar, sont explorés. Tout en reconnaissant les limites de l’exercice, car la Commission n’a ni les moyens de pouvoir mener des investigations poussées, ni la capacité d’empiéter sur des enquêtes judiciaires en cours ni la possibilité d’accéder à des pièces secret-défense. « Le rapport est un peu lacunaire », déplore l’élu LFI Aurélien Saintoul, qui s’est abstenu, en raison notamment du caractère peu exhaustif du rendu. Ce que reconnaît dans le rapport Constance Le Grip, regrettant que la Commission n’ait pas pu « entrer dans le détail d’affaires pourtant au cœur de son sujet ».

« Reste à savoir si, dans la façon même dont elle s’inscrit dans le débat public, cette commission d’enquête ne risque pas d’aggraver le mal qu’elle prétend combattre », s’interroge la rapporteure. Pour ce qui est des accusations visant le Rassemblement national, à l’origine de cette commission, cela n’a manifestement rien arrangé.

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