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Simone Biles fait resurgir les "twisties", cauchemar des gymnastes

Simone BIles aux JO de Tokyo, le 27 juillet 2021 (Photo: MARTIN BUREAU via AFP)
Simone BIles aux JO de Tokyo, le 27 juillet 2021 (Photo: MARTIN BUREAU via AFP)

OLYMPISME - “Je n’avais aucune idée d’où j’étais dans les airs, j’aurais pu me blesser.” C’est avec ces mots que la championne américaine de gymnastique, Simone Biles, a expliqué cette semaine sa mauvaise réception après avoir réalisé une figure appelée Amanar aux JO de Tokyo.

Pour de nombreux gymnastes à travers le monde, les propos de la sportive qui a déclaré forfait pour le concours général par équipe et en individuel, ont immédiatement fait écho à ce qui est surnommé les “twisties”. “En France, on n’emploie pas vraiment ce terme, mais on parle plutôt de déconnexion ou de ’black-out’”, explique la Fédération française de gymnastique contactée par Le HuffPost.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses sportives ou ex-gymnastes ont fait part de cette expérience similaire, et qui peut toucher tous les niveaux, dans laquelle le corps ne répond plus. Surnommé aussi “perte de figure” en français, ce phénomène est décrit comme un moment de perte de repères dans l’espace, où corps et cerveau sont déconnectés et où il est alors impossible de réaliser correctement l’enchainement maintes fois travaillé à l’entraînement et qui semble être devenu un réflexe.

Loin d’être anodin, ce phénomène est décrit comme un véritable cauchemar, notamment parce qu’il peut entrainer un blocage durable et mettre fin à des carrières. L’ancienne championne olympique de gymnastique Melissa Anne Marlowe et la gymnaste américaine Aleah Finnegan l’ont parfaitement résumé sur Twitter.

“C’est difficile d’expliquer les twisties à quelqu’un qui ne fait pas de gymnastique, mais c’est un blocage mental et c’est réel. Cela m’est arrivé deux fois, quand j’avais 12 et 20 ans. Vous ne pouvez pas réparer ça rapidement - cela peut prendre des mois, voire jamais”

“J’ai des twisties depuis que j’ai 11 ans. Je ne peux pas imaginer la terreur que c’est de ressentir ça pendant une compétition (...) Vous n’avez absolument plus aucun contrôle sur votre corps et ce qu’il fait.”

Dans une vidéo relayée sur Twitter, la gymnaste américaine de haut niveau, Olivia Dunne, explique que derrière ce mot qui peut sembler “presque mignon”, se cache en réalité un moment “très effrayant. C’est assez sérieux et vous pouvez vous blesser gravement. C’est comme si votre corps et votre cerveau étaient déconnectés (...) Ca m’est arrivé il y quelques années et ça m’a pris des semaines d’entrainements et de coaching pour retrouver mon niveau”, détaille-t-elle.

Le risque énorme d’une mauvaise réception

Contacté par Le HuffPost, l’ancien gymnaste olympique Michel Boutard, évoque lui aussi un phénomène qui peut être particulièrement dangereux. “Quand vous perdez la notion de l’espace, vous risquez de vous blesser, voire de vous tuer si vous tombez mal ou sur la tête. Simone Biles est d’un tel niveau et tellement à l’aise dans l’espace qu’elle a pu se réceptionner sur les pieds, mais vraiment, elle a dû se sentir en danger”, poursuit Michel Boutard.

Lors de son Amanar, Simone Biles devait effectuer deux vrilles et demies, sauf que lors de son passage une vrille n’a pas été réalisée. Sur Twitter, des internautes ont notamment décortiqué l’ensemble de la figure réalisée par Simone Biles afin de pouvoir illustrer ce qu’il s’est passé.

La championne américaine ne s’est heureusement pas blessée, sa confiance a tout de même été entamée et, à son niveau, c’est un grain de sable qui peut enrayer toute une machine. “C’est difficile parce que c’est assez irrationnel. C’est une dépression technique, un court-circuit. Il faut rebrancher les fils et remettre les connexions dans le bon ordre”, illustre Michel Boutard.

Aucune explication scientifique

Si l’ancien athlète prend la figure d’un circuit électrique, en réalité ce sont surtout les câbles et ressorts psychologique qui sont en jeu. À ce jour, il n’y a aucune explication scientifique claire pour comprendre les twisties, hormis des motifs d’ordre psychologique.

“La perte de figure, c’est le psychologique qui prend le dessus. Dans l’acrobatie, le sportif lutte contre ses instinct qui cherchent à protéger son intégrité physique. Au fur et à mesure des répétitions, cet apprentissage prend le dessus sur l’instinct. Dans la tête on a compris que quand on faisait cet exercice, on allait se réceptionner sur les pieds et non sur la tête”, détaille le docteur Pierre Billard, médecin fédéral national à la Fédération française de gymnastique, contacté par Le HuffPost. Avec les twisties, l’équilibre entre les instincts et le fait de les dominer est alors rompu.

Les twisties sont également très présents chez les athlètes trampolinistes qui exécutent des figures particulièrement dangereuses; ils sont en revanche différents des effet de “yips” qui sont décrits chez les golfeurs ou les joueurs de tennis. Cette fois il s’agit de tremblements ou de convulsions musculaires, “qui ont des explications médicales et organiques” souligne Pierre Billard.

“Une impasse mentale”

De fait, cet aspect psychologique des twisties rend leur prévention quasi-impossible, et leur résolution très délicate. Le blocage entrainé peut ainsi durer deux jours comme six mois, voire ne jamais être complètement résolu.

En ce sens, Dumitru Pop, ancien entraîneur de l’équipe de France, salue la décision du staff américain de confirmer le retrait de Simone Biles des deux épreuves de concours général. “C’est une frustration énorme pour l’athlète et l’entraîneur, c’est douloureux de se retrouver dans cette impasse mentale. Mais leur décision était extrêmement courageuse et d’une sérénité remarquable. D’autres auraient pris des risques, ils ont choisi de mettre en avant l’intégrité physique de leur athlète, parce qu’à son niveau le danger était énorme”, explique-t-il auprès du HuffPost.

Déjà confronté à ce problème avec des athlètes qu’il a entrainés, Dumitru Pop préconise du repos et une reprise progressive. “Le repos total et une reprise des bases très progressive pour se répertorier à nouveau dans l’espace, de telle façon que la gymnaste puisse reprendre confiance en elle et apprendre à contrôler son corps”, dit-il, quand Pierre Billard évoque de son côté la nécessité de travailler aussi sur le plan psychologique.

Simones Biles peut-elle revenir dans ces JO?

Dans le cas de Simone Biles, il est impossible, selon lui, de ne pas faire le lien entre son expérience des twisties et l’énorme pression qu’elle a dit ressentir peu après son retrait. Outre que la jeune athlète incarne de nombreux espoirs en matière de médailles aux Jeux olympiques elle est aussi devenue l’une de voix fortes dans la dénonciation des agissements du pédocriminel Larry Nassar.

“Les causes psychologiques sont diverses, ça peut être lié au traumatisme d’une ancienne blessure ou d’une précédente mauvaise chute, dans ce cas là, oui, il faut redécouper les bases et réapprendre. Parfois il faut chercher aussi en dehors du cadre sportif, un mal être peut être extérieur à la pratique sportive comme dans le cadre d’un deuil par exemple”, abonde ainsi Pierre Billard.

Dans le contexte actuel, Dumitru Pop veut rester optimiste sur la suite du parcours de Simone Biles aux JO de Tokyo. “C’est une athlète hors norme avec des qualités physiques explosives et hors du commun”, pointe-t-il. Néanmoins, tout ne repose pas sur ses épaules. “Si un entraineur n’arrive pas à sentir quand une gymnaste a atteint sa limite, et tout être humain en a une, alors on entre dans une zone rouge très dangereuse”, conclut-il.

À voir également sur Le HuffPost: Les soutiens à Simone Biles se multiplient après son retrait

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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