Suicide du cardiologue de l'AP-HP: sa veuve veut "faire face" aux ex-supérieurs hiérarchiques de son mari

Sa voix se casse dans un sanglot. À sa gauche, juste derrière elle, deux de ses cinq enfants essuient quelques larmes. "Mes enfants sont présents à mes côtés, il est très difficile pour nous de voir ces personnes mises en examen et en même temps, c’est très important de les voir", souffle la veuve de Jean-Louis Mégnien. "Je suis très émue d’être ici sept ans après le suicide de mon mari."

Depuis sept ans, cette femme d'une cinquantaine d'années, médecin et mère de cinq enfants, ne s'est jamais exprimée publiquement. "J’ai gardé le silence par respect pour la procédure et pour protéger ma famille, et ce, malgré la médiatisation qui a suivi le suicide de mon mari", énonce-t-elle au deuxième jour du procès devant le tribunal correctionnel de Paris de trois médecins et de l'AP-HP jugé pour "harcèlement moral" après le suicide de Jean-Louis Mégnien, cardiologue reconnu, le 17 décembre 2015. Il avait mis fin à ses jours en sautant du 7e étage de l'hôpital Georges-Pompidou.

"Des personnes qui lui ont porté atteinte"

Quelques jours avant ce 17 décembre, Jean-Louis Mégnien, 54 ans, reprenait le travail après neuf mois d'arrêt maladie. Le cardiologue reconnu et apprécié de ses patients est alors en conflit avec sa hiérarchie et notamment Alain S., son ancien mentor et chef de service.

"Mon mari n'est plus là, et ils poursuivent leur carrière", dénonce-t-elle face aux anciens supérieurs hiérarchiques de son mari décédé.

"On a dit beaucoup de choses sur mon mari, sur sa carrière, sur sa santé, sa famille", a déploré cette dernière. C'est elle, malgré "les propos dénigrants" après le suicide de Jean-Louis Mégnien, qui s'est battue pour faire reconnaître le harcèlement dont son mari était victime en déposant une plainte. "Il est très douloureux d’occuper la place qui aurait dû être la sienne (...) et faire face à ces personnes qui ont porté atteinte à la santé, à la carrière de mon mari", confie la veuve du médecin.

Un accord contesté

En mai 2012, le professeur Alain S., alors âgé de 66 ans, se voit contraint de démissionner de son poste de chef du service de l'unité fonctionnelle du Centre de Médecine Préventive Cardio-Vasculaire de l'hôpital Georges-Pompidou à cause d'un impossible cumul de fonctionnement. Deux successeurs sont possibles, Jean-Louis Mégnien, plus âgé et plus diplômé, et protégé d'Alain S. pendant des années, ou un autre médecin.

"Je pensais que ce dernier était en meilleure position", clame à la barre le professeur Alain S., mettant en avant l'implication de Jean-Louis Mégnien dans ses activités universitaires lui laissant, selon lui, peu de temps à consacrer à ses fonctions à l'hôpital.

"Pour préserver l’intérêt de Jean-Louis, j’avais pensé à la possibilité de mettre en place une chefferie tournante", se défend le médecin.

L'accord de chefferie tournante, point de départ, selon l'accusation, des faits reprochés aux prévenus, prévoit alors que l'autre candidat prendra la tête du service pendant une durée de quatre ans avant de laisser sa place à Jean-Louis Mégnien. Le document est rédigé, selon Alain S. par les deux aspirants, la mention d'une démission au bout de 4 ans est toutefois omise dans la première version.

"Cet accord est plutôt inhabituel, car on permet à un médecin 'moins gradé' d’accéder à la qualité de chef de service, même si ce n'est pas interdit par les textes", fait remarquer la présidente du tribunal. "On s’est mis d’accord autour d’un café, Jean-Louis n’a rien dit, l'autre candidat non plus, tout le monde a fait des concessions", assure le professeur aujourd'hui âgé de 77 ans.

- "Jean-Louis en était conscient, on a longuement débattu", insiste Alain S. - "Il était tellement conscient qu’il a présenté sa candidature…", note la magistrate.

"Mise au placard"

Tout au long de sa déposition devant le tribunal correctionnel, Alain S. met en avant la "convivialité", la bonne ambiance, les cafés partagés au sein de l'équipe, loin, selon lui de la "guerre effrénée" lancée pour sa succession, décrite par des témoins. Jean-Louis Mégnien a beaucoup écrit, il s'est aussi confié. Rapidement, il emploie les termes de "harcèlement", de "mise au placard".

"Moi, je n’étais pas d’accord", écrit-il par mail, évoquant la "pression pendant les vacances" pour qu'il signe l'accord.

Quinze mois après cette signature "contrainte", dira encore Jean-Louis Mégnien, un conflit démarre avec Alain S, avec lequel il travaille depuis 23 ans. Le cardiologue le date au 4 juillet 2013 dans son agenda. Depuis l'accord, le médecin se sent exclu, placardisé. Au point que ses consultations sont déplacées, son bureau déménagé. "Je pensais que cela lui offrait un cadre d’exercice plus serein, une zone d’examen en dehors de toute zone de conflit", se défend Michel D., chef du pôle cardio-vasculaire à l'époque.

"Je n'ai jamais voulu l'exclure", martèle le professeur Alain S.

Se disant mis à l’écart des protocoles de recherche, plus invité au staff, ces réunions des médecins pour évoquer le cas des patients, interdit d’aller en congrès, pas informé de l’augmentation du nombre de places à l’hôpital de jour, le harcèlement moral se définit par une succession de "détails" répétés, rappelait l'avocate de la famille de Jean-Louis Mégnien. Le procès doit durer jusqu'au 7 juillet.

Article original publié sur BFMTV.com