En Turquie, pourquoi Erdogan est quasi assuré de remporter la présidentielle

Le président sortant Recep Tayyip Erdogan sur une affiche de campagne, devant celle du candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu
Le président sortant Recep Tayyip Erdogan sur une affiche de campagne, devant celle du candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu

INTERNATIONAL - Le « reis » sur la voie royale. Après être arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle turque à la surprise (presque) générale, Recep Tayyip Erdogan apparaît comme le grand favori pour le second tour qui se déroulera ce dimanche 28 mai. Il affronte le candidat d’opposition Kemal Kiliçdaroglu, leader du CHP et à la tête d’une coalition de six partis.

« Les probabilités de victoire d’Erdogan sont assez fortes, reconnaît Max-Valentin Robert, chercheur en sciences politiques à l’Université de Nottingham. En faisant plus de 49 % dès le premier tour dans un contexte de crise socio-économique et humanitaire, ça s’annonce très positivement pour lui. »

« Au second tour, les deux candidats peuvent l’emporter même si tous les indicateurs sont plutôt en faveur du président sortant » qui brigue un troisième mandat, confirme Nicolas Monceau, maître de conférences à l’Université de Bordeaux, qui cite notamment les 2,5 millions de voix d’écart entre les deux candidats le 14 mai.

L’alliance Ogan-Erdogan décisive ?

Erdogan, élu président en 2013 après onze années à la tête du gouvernement avec son parti l’AKP, a aussi réussi à obtenir le soutien du faiseur de roi de cette élection, Sinan Ogan. Très courtisé pour ses 5,2 % au premier tour, l’ultranationaliste a finalement choisi d’appeler à voter pour le sortant. De quoi « consolider son avance et même être décisif » pour le résultat final, affirme Nicolas Monceau.

Max-Valentin Robert, qui pensait voir Ogan soutenir Kiliçdaroglu, a été « étonné » de son annonce : « Il avait appelé à voter non au référendum de 2018, qui a renforcé les pouvoirs du président. C’est un homme issu du courant kémaliste, méfiant des partis islamistes turcs, et il avait édicté quatre conditions pour obtenir son soutien, dont certaines étaient des critiques adressées à Erdogan. »

Pour ce spécialiste de la Turquie, sa décision peut toutefois s’expliquer par le fait que les deux hommes partagent une base électorale commune et parlent à la même fraction de la population. « Ils ont dû se dire qu’il valait mieux travailler ensemble », analyse-t-il.

Kiliçdaroglu peut compter sur une réserve de voix

Alors où réside l’espoir ? « Il n’est pas dit que l’électorat de Sinan Ogan se reporte sur Erdogan. Il a fait de bonnes performances dans les régions favorables à l’AKP, mais il faut être prudent. Notamment car le parti de la Victoire d’Ümit Özdag, principale formation qui soutenait Ogan au premier tour, a appelé à voter Kiliçdaroglu pour le second », nuance Max-Valentin Robert.

Et si le chercheur reste « sceptique » sur les chances de l’opposition de l’emporter face au « roi » Erdogan, Kiliçdaroglu peut espérer compter sur une réserve de voix. « Par exemple à la présidentielle, l’écart de voix entre les deux candidats à Istanbul et Ankara était faible. Aux dernières municipales de 2019 pourtant, l’opposition était largement devant. Cela peut signifier que des électeurs opposés à Erdogan ne se sont pas encore exprimés. »

Il faudrait aussi que la propre base du leader du CHP parvienne à se remobiliser, or c’est là que le bât blesse. Les résultats du premier tour ont été une douche froide, alors que la majorité des sondages plaçait l’alliance d’opposition devant Erdogan de plusieurs points. « Ce gros coup derrière la tête a pu les démotiver », souligne Max-Valentin Robert.

Le score d’Erdogan a aussi été un choc pour nombre d’observateurs. Le chercheur Bayram Balci interrogé par Libération s’est dit « surpris, déçu mais aussi honteux » d’avoir anticipé la chute de l’hyper-président qui n’a pas eu lieu. « Je constate que j’ai très mal compris les électeurs turcs. J’ai le sentiment d’être tombé dans le piège des lectures anti-Erdogan parmi les intellectuels opposants d’Istanbul », se repent-il.

« Des observateurs ont confondu leurs rêves et la réalité »

« Certains observateurs ont peut-être confondu leurs rêves et la réalité », renchérit Max-Valentin Robert, même s’« il est difficile de les blâmer vu les sondages sur les intentions de vote qui donnaient l’opposition en tête. Malheureusement, cela a entraîné un emballement médiatique. »

Il avance d’autres éléments pouvant expliquer les analyses erronées : « Erdogan remontait dans les sondages petit à petit avant le premier tour. Il faut aussi penser à la mentalité des électeurs, qui peuvent en avoir marre du pouvoir en place mais qui ont peur de voter pour l’opposition, l’inconnu. D’autres n’osent pas dévoiler leur vote vu le tournant autoritaire qu’a pris l’AKP, ce qui trompe les sondeurs. »

Pour le second tour de ce dimanche, les enquêtes d’opinion et les analystes peuvent-elles encore se tromper ? En tout cas l’Eurasia Group consultancy, qui était l’un des seuls cabinets à placer Erdogan devant au premier tour prédit une victoire du président sortant.

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