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En Ukraine, le barrage de Nova Kakhovka détruit, une catastrophe environnementale en cours ?

Alors que 18 millions de mètres cubes d’eau vont se déverser sur une dizaine de villes ukrainiennes, des habitants doivent fuir, des animaux meurent, et les risques nucléaires planent autour de Zaporijjia.

Cascade de dangers. Le barrage de Nova Kakhovka, qui enjambe le fleuve Dniepr dans le sud de l’Ukraine, a explosé ce mardi 6 juin. La Russie et l’Ukraine se sont mutuellement rejeté la responsabilité de cette attaque, qui pourrait avoir des conséquences humaines et environnementales « catastrophiques » selon Kiev.

Depuis le début de l’invasion russe en février 2022, ce barrage -alimentant une centrale hydroélectrique - de 16 mètres de haut et 3850 mètres de long est la cible privilégiée des Russes, car elle alimente la péninsule de Crimée, annexée par Moscou.

Sa destruction va également provoquer des inondations dans des dizaines de localités, détruire en partie le riche écosystème du delta du Dniepr, et fait planer des risques sur la centrale nucléaire de Zaporijja.

Combien de villages sous les eaux ?

Situé sur fleuve Dnierp, en amont de Kherson, ce barrage retenait une quantité d’eau astronomique, 18 millions de mètres cubes d’eau, qui menacent désormais de se déverser dans les villes situées en aval. « Des dizaines de villages des deux côtés [du fleuve] devraient être affectés. Peu de chance qu’ils soient détruits par une vague brutale, mais plutôt inondés par la montée du niveau des eaux », analyse Sébastien Gobert, journaliste spécialiste de la guerre en Ukraine.

Une course contre la montre a donc débuté ce mardi matin. Vladimir Leontiev, le maire de Nova Kakhovka, a annoncé l’évacuation d’habitants d’« environ 300 maisons » situées directement sur les rives du Dniepr. Au total, les « territoires côtiers » de 14 localités où résident « plus de 22 000 personnes » sont menacés d’inondation, a pour sa part déclaré Andreï Alekseïenko, chef du gouvernement de la région de Kherson.

Le niveau des eaux dans la zone à risque, qui comprend une partie de la capitale régionale Kherson, est devenu critique dès 11 heures du matin. D’après un premier bilan des secours à la mi-journée, « l’eau est montée (...) à un niveau d’entre 2 et 4 mètres ce qui ne menace pas les grandes localités » en contrebas, a indiqué sur Telegram Andreï Alekseïenko, chef du gouvernement de la région de Kherson.

Le « World Data Center for Geoinformatics and Sustainable Development », une ONG ukrainienne citée par l’AP, a estimé que près de 100 villages et villes seraient inondés cette semaine. Elle a également jugé que le niveau de l’eau ne commencerait à baisser que dans cinq à sept jours.

Hécatombe de la faune

Le zoo local de Nova Kakhovka est aussi inondé, selon le maire de la ville. « Beaucoup d’animaux sont morts », relate le correspondant du quotidien ukrainien KyivPost, qui a publié sur Twitter une vidéo de l’eau déferlant dans les abris des animaux. Dans le centre-ville, des Ukrainiens tentent de sauver des animaux, comme ce policier, dans la vidéo ci-dessous, relayée par de nombreux médias locaux, cherchant à secourir un chien. Des castors ont aussi quitté le lit du fleuve et ont été repérés se baladant en pleine rue.

Mykhailo Podolyak, conseiller principal du président Volodymyr Zelenskyy, a également mis en garde qu’« une catastrophe écologique mondiale se joue maintenant [...], et des milliers d’animaux et d’écosystèmes seront détruits dans les prochaines heures. » La noyade, mais aussi des intoxications, risquent de les tuer. 150 tonnes d’huile moteur se sont en effet déversées dans le Dniepr après la rupture, et l’exécutif ukrainien craint un « risque de fuite supplémentaire » à « plus de 300 tonnes ». « Nous assistons à un écocide », a déploré le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba.

Outre les animaux de compagnie, d’élevage et de parcs piégés dans les zones inondables, tout un écosystème est en danger sur le long terme après la rupture de ce barrage, qui régulait le delta du Dniepr accueillant une riche réserve naturelle.

Une baisse importante du niveau d’eau du réservoir de Kakhovka, pourrait entraîner une « catastrophe écologique », avait déjà alerté en février le ministre ukrainien de la Protection de l’environnement. « Un niveau d’eau inférieur à 12 m [le niveau normal est de 16 m ndlr] provoquerait la disparition de nombreuses espèces de poissons et de la biodiversité », pointait-il. Parmi les spécimens présents, on peut citer des colonies de hérons, des milliers de fauvettes et des centaines de cygnes nichant dans les roseaux.

L’ombre d’une catastrophe nucléaire

Le faible niveau d’eau du réservoir fait aussi planer l’ombre d’une catastrophe nucléaire, alors que la centrale de Zaporijjia, située à 150 km en amont, puise son eau dans ce lac artificiel. « Le monde se retrouve une fois de plus au bord d’une catastrophe nucléaire, car la centrale nucléaire de Zaporijjia a perdu sa source de refroidissement. Et ce danger augmente désormais rapidement », s’est inquiété à ce sujet le conseiller à la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak, dans un message adressé à des journalistes.

Mais pour le moment, L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) se veut plus rassurante : « Il n’y a pas de danger nucléaire immédiat », a affirmé sur Twitter l’AIEA, dont les experts présents sur le site « surveillent de près la situation ». « Le niveau d’eau dans le réservoir était d’environ 16,4 m à 8 heures ce matin. Si elle descend en dessous de 12,7 m, elle ne peut plus être pompée », a toutefois nuancé l’agence.

« Cinq blocs sont arrêtés à froid, l’un est à l’arrêt à chaud. Le niveau de l’eau du bassin de refroidissement n’a pas changé », a aussi rassuré sur Telegram le directeur de la centrale, Iouri Tchernitchouk. Selon lui, pas d’inquiétude pour la suite non plus, car le système de refroidissement peut être rempli avec l’eau de « plusieurs sources alternatives ». La centrale dispose notamment d’un grand bassin de refroidissement qui peut fournir de l’eau « pendant plusieurs mois ».

L’approvisionnement en électricité pourrait tout de même devenir un problème majeur dans de grandes parties de l’Ukraine. En plus de la potentielle mise à l’arrêt de Zaporijjia et de le centre de Nova Kakhovka, la puissance du barrage hydroélectrique était de 334,8 mégawatt (MW), selon le site internet de la société ukrainienne exploitante, Ukrgidroenergo. Cet exploitant juge que la situation est encore « contrôlable » dans la plus grande centrale d’Europe, mais reste à surveiller très sérieusement.

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